n°27 : Les langues chamito-sémitiques (afro-asiatiques) (volume 2)

 

Résumés / Abstracts

Présentation générale : Amina Mettouchi et Antoine Lonnet (p. 5)

1. D’un volume à l’autre

Entretien avec David Cohen (p. 9)

Antoine Lonnet : Les langues sudarabiques modernes (sémitique) (p. 27)

Resume : On propose ici un aperçu sur un groupe de langues aussi représentatif que possible du chamito-sémitique. Ce groupe est, de plus, très repré­sentatif de la branche la plus connue de cette famille, la branche sémitique, dont il est en même temps un des rameaux les moins connus. Il est situé géographiquement (depuis plus de 3000 ans) à la charnière afro-asiatique, à la rencontre de l’océan Indien et de la mer Rouge. L'examen d'un ensemble de traits répandus dans l’ensemble des groupes chamito-sémitiques, traits particuliers ou faits de structure, montre que le sudarabique moderne est parfaitement conforme. Une esquisse descriptive résume cet examen. Elle contient aussi des données inédites et quelques hypothèses nouvelles.

Abstract : The present paper offers an outline of a group of languages as representative as possible of the Hamito-Semitic phylum. This group is, moreover, highly representative of the best known branch of this phylum, the Semitic branch, of which it is at the same time one of the least known branches. It is located geographically (since more than 3000 years) at the Afro-Asian hinge, where the Indian Ocean and the Red Sea meet. The examination of a set of features, widespread within all the Hamito-Semitic groups, particular features or structural facts, shows that Modern South Arabian is perfectly in conformity. A descriptive sketch summarizes this examination. It contains also new data and some new hypotheses.

2. Structuration syntaxique et prédication

Lionel Galand : Le "participe" berbère (p. 45)

Resume : Quand le premier actant ("sujet") d'une proposition relative renvoie à la même personne ou au même objet que l'antécédent, le verbe de cette proposition prend la forme traditionnellement dite "participe". En dépit de son nom, le participe berbère appartient totalement au système verbal et n'a rien de commun avec les noms. En principe on peut le former sur chacun des thèmes verbaux (aoriste, inaccompli, accompli et, là où ils existent, thèmes négatifs). Le présent chapitre soutient que, contrairement à une opinion courante, le participe n'est pas une forme impersonnelle du verbe, mais une forme défective, obtenue à l'origine par l'adjonction d'une marque n à la 3ème personne. Cependant les faits ne sont pas aussi simples. Dans certains parlers, si la proposition relative comporte une particule de négation, la marque n précède le verbe; des changements analogues se produisent après les particules modales. De plus, par suite de la grammaticalisation et des effets de l'analogie, l'évolution de la langue laisse clairement percevoir une tendance à neutraliser les oppositions de nombre et de genre au profit de la forme participiale du masculin singulier, la moins marquée. Le détail des faits varie naturellement beaucoup d'un parler à l'autre, mais en définitive la description du berbère ne peut pas faire l'économie du "participe" au nom malheureux.

Abstract : Whenever the "first actant" (the "subject") of a relative clause refers to the same person or object as the antecedent, the verb of that clause takes on the form traditionally called "participle". Notwithstanding its name, the Berber participle wholly belongs to the verbal system and has nothing in common with nouns. In principle it can be formed on every verbal stem (i.e. aorist, imperfective, perfective, and negative stems if any). The present chapter bears out the idea that, contrary to a current opinion, the participle is not an impersonal form of the verb, but a defective one, originally obtained by adding the mark n to the 3rd person. However, facts are not so simple. In some dialects, if the relative clause includes a negative particle, the mark n precedes the verb, and similar changes take place after modal particles. Moreover, as an effect of grammaticalization and analogy, the course of evolution clearly shows a tendency to level out the number and gender oppositions and to favour the least marked, singular masculine form of the participle. Of course the particulars greatly vary from dialect to dialect, but on the whole the description of Berber cannot spare the ill-named "participle".

 

Vermondo Brugnatelli : La négation berbère dans le contexte chamito-sémitique (p. 65)

Resume : Parmi les caractéristiques de la négation en berbère on examine quelques questions ayant trait à la comparaison chamito-sémitique : la différentiation entre négation verbale et négation nominale, l'étymologie de la négation préverbale, l'origine des formes verbales négatives (accompli négatif, inaccompli négatif), les négations "emphatiques" provenant d'un subordonnant "si", ainsi qu'une ancienne négation presque disparue dans les parlers modernes.

Abstract : Among all the features of Berber negation, this article deals with some questions related to Hamito-Semitic comparison : the differentiation of nominal versus verbal negation, the etymon of the preverbal negative particle, the origin of negative verbal forms (negative perfect, negative imperfect), the "emphatic" negations derived from a subordinating conjunction "if", as well as an ancient negation almost disappeared in dialects nowadays.

 

Jean Winand : La prédication non verbale en égyptien ancien (p. 73)

Resume : La prédication non verbale est attestée en égyptien ancien depuis les premiers textes conservés jusqu'en copte. En fonction de la nature du prédicat et de la construction syntaxique utilisée, on distingue une prédication substantivale, adjectivale et adverbiale. Sur le plan sémantique, ces constructions effectuent respectivement une opération de classification/ identification, de qualification ou de localisation. Bien qu'elles se situent fondamentalement en dehors des oppositions de tam, l'égyptien peut mobiliser plusieurs stratégies pour dynamiser ces constructions et les inscrire dans le flux temporel.

Abstract : Non-verbal predication is attested in ancient Egyptian from the earliest written records down to Coptic. The predicate can be a substantive, an adjective or an adverbial phrase. Syntactic patterns can change according to the nature of the predicate. From a semantic viewpoint, these constructions express an operation of classification/identification, qualification and localisation, respectively. Although they are prototypically unable to convey tam features, Egyptian has several strategies at its disposal to make these constructions dynamic and to insert them into the temporal flux.

 

Jean-Marie Kruchten : De l'ordre "Verbe – Sujet – Objet" à l'ordre "Sujet – Verbe – Objet" : le cas de l'égyptien ancien (p. 103)

Resume : Passage d’un ordre v/s prédominant en ancien égyptien à un ordre s/v quasi-exclusif suite à l’apparition de constructions pseudoverbales bipartites (fin 5e dynastie), puis de formes verbales périphrastiques construites avec le verbe iri, "faire" (à partir du milieu de la 18e dynastie).

Abstract : The emergence of two pseudo-verbal constructions (5th dynasty) and that of a complete set of new verb-forms built by means of iri "to do" (from the 18th dynasty onwards) happened to the detriment of the former suffix conjugation. It led in two stages from the word-order v-s used in Old Egyptian to the opposite order as it is known in Demotic and Coptic.

 

Amina Mettouchi : "Sujet" postverbal et état d'annexion en kabyle (berbère) (p. 113)

Resume : Le kabyle est une langue berbère à configurationalité discursive, et à arguments pronominaux. Dans cet article nous nous intéressons aux lexèmes postverbaux coréférents aux affixes ou clitiques personnels, qui portent l’état d’annexion. Nous montrons que ces lexèmes sont de deux sortes : soit ils sont coréférents à l’affixe de sujet, et forment bloc avec le verbe pour créer un énoncé thétique, soit ils sont disloqués à droite, et peuvent coréférer à plusieurs types d’arguments. Cette étude nous amène à faire l’hypothèse que l’état d’annexion est une ancienne marque casuelle originellement ablative ayant évolué vers un génitif, avant d’étendre sa portée aux relations de dépendance en général.

Abstract : Taqbaylit Berber is a discourse-configurational, pronominal-argument language. This paper investigates postverbal NPs coreferent with personal affixes and clitics. We show that those NPs, which bear a mark called ‘annexion state’ are of two sorts: those which are coreferent with the subject affix form a unit with the verb, thus creating sentence-focus, thetic sentences. Other postverbal NPs are right-dislocated and are coreferent with various types of arguments. The study of such postverbal NPs allows us to hypothesize that the annexion state is a former case mark, originally an ablative case having evolved towards genitive functions, before extending its scope to dependency relations in general.

 

Elgar-Paul Magro : Le maltais oral et la notion de "décondensation" : cas d’étude sur deux récits (p. 131)

Resume : Dans Grammaire de l'intonation, Morel et Danon-Boileau (1998) utilisent le terme "décondensation" en évoquant le fait que les énoncés oraux sont souvent introduits par un certain nombre de segments d'ordre essentiellement modal et thématique qui permettent à celui qui parle de ne pas donner d'emblée le fond de sa pensée mais plutôt de procéder par touches successives. Ces segments, qui forment ce que les auteurs appellent "préambule", sont typiquement juxtaposés et dépourvus d'une relation de dépendance syntaxique les uns par rapport aux autres. Les auteurs affirment qu'une des particularités du français oral est sa très grande décondensation. Ils s'appuient sur plusieurs exemples tirés d'un très vaste corpus, sans quantifier leurs données. Une analyse quantitative récente (Conway, 2005) portant sur un corpus de français et de suédois oral a démontré que la décondensation en français est nettement supérieure à celle en suédois. Le but de la présente étude est d'évaluer l'incidence de ce phénomène en maltais à partir d'un corpus de deux récits oraux dans cette langue. En comparant nos données avec celles de Conway (2005), nous arrivons aux conclusions suivantes : a) la décondensation en maltais, tout comme celle en français, semble plus importante que celle observée pour le suédois; b) en revanche, rien ne permet d'affirmer que la décondensation en maltais est moins forte que celle qui a pu être observée pour le français.

Abstract : In their Grammaire de l’intonation, Morel & Danon-Boileau (1998) use the term "decondensation" to describe how spoken utterances are frequently introduced by a number of modal and thematic segments which allow the speaker to express his or her thoughts in successive strokes rather than doing so straight away. These segments are typically juxtaposed to one another and lack any sort of syntactical inter-dependence. Together, they form the "preamble". The authors state that spoken French is characterized by a very extensive decondensation. They give several examples from a very large corpus to support their claim without supplying numerical data. A recent quantitative analysis (Conway, 2005) based on a corpus of spoken French and Swedish shows that decondensation in French is indeed much more extensive than in Swedish. The aim of the present study is to evaluate the extent of this phenomenon in Maltese upon observation of two oral narratives in this language. A comparison of our data with those of Conway (2005) leads us to the following conclusions : a) decondensation in both Maltese and French seems stronger than that observed in Swedish; b) on the other hand, nothing justifies claims that the extent of decondensation in spoken Maltese is any smaller than that observed in French.

 

Mena Lafkioui : Complémentarité syntactico-énonciative entre morphèmes et intonèmes. Le cas du berbère (p. 141)

Resume : Cet article se veut une argumentation de l'hypothèse — née au cours de notre recherche sur l'énoncé non-verbal berbère — suivant laquelle il existerait en syntaxe un lien d'interdépendance (et parfois de suppléance) structurale et fonctionnelle entre les unités lexématiques (morphèmes) et les unités prosodiques (intonèmes).

Pour ce faire, nous présenterons plusieurs cas de figure provenant du tarifit, variété berbère du Maroc du Nord.

Abstract : In this paper is developped the hypothesis — which was first emitted in our research on non-verbal Berber utterances — that in syntax there would be an interdependant (and even sometimes a substitute) structural and functional link between lexical units (morphemes) and prosodic ones (tone units). In order to confirm the hypothesis, we present different examples from Tarifit, a Berber dialect from northern Morocco.

 

3. Reconstruction génétique

Gabor Takács : Werner Vycichl and his Contribution to Afro-Asiatic (Semito-Hamitic); Comparative Phonology and Etymology (p. 151)

Resume : Cet article présente une évaluation ce qui est dû à Werner Vycichl (1909-1999), un des très grands noms de la vieille école de recherche étymologique dans le domaine chamito-sémitique (afro-asiatique). Après un bref aperçu de la carrière de cet éminent savant de la Wiener Schule de linguistique égyptienne et africaine, on trouvera des commentaires sur quelques unes des plus remarquables œuvres de Vycichl en  étymologie égyptienne : son étude fondamentale de 1934 sur les affinités phonologiques, lexicales et morphologiques du hausa et de l’égyptien, intitulée Hausa und Ägyptisch : Ein Beitrag zur historischen Hamitistik, son long article fournissant de nouvelles étymologies égyptiennes (“Grundlagen der ägyptisch-semitischen Wortvergleichung”, 1958), et enfin son très renommé Dictionnaire étymologique de la langue copte (1983). L’analyse étymologique critique se fait dans le contexte du matériel comparatif fourni par les autres branches du phylum (le berbère, le couchitique et le tchadique), ainsi que sur la base des plus récents résultats en linguistique comparative afro-asiatique.

Abstract : The article evaluates the achievements of Werner Vycichl (1909-1999), one of the greatest figures of the "old school" in the field of Semito-Hamitic (Afro-Asiatic) etymology. After a brief overview of the career of this eminent scholar from the Wiener Schule of Egyptian and African linguistics, the paper comments on some of Vycichl's most significant works on Egyptian etymology: his fundamental study on the phonological, lexical, and morphological affinities of Hausa and Egyptian entitled “Hausa und Ägyptisch: Ein Beitrag zur historischen Hamitistik” (from 1934), his long paper with new Egyptian etymologies (“Grundlagen der ägyptisch-semitischen Wortvergleichung”, 1958), and finally his celebrated Coptic etymological dictionary (1983). The critical etymological analysis has been carried out in the context of the comparative material provided by further cognate branches (such as Berber, Cushitic, and Chadic) as well as on the basis of recent results in comparative Afro-Asiatic linguistics.

 

Felice Israël : Tradition(s) et classement des langues syro-palestiniennes : observations déconstructionnistes (p. 173)

Resume : Cet article présente l'histoire parallèle du classement de trois langues sémitiques syro-palestiniennes, le yaoudien, l'ougaritique et la langue de l'inscription sur plâtre de Deir Alla. On y voit comment leur classement généalogique a posé bien des problèmes aux sémitisants. Les difficultés se sont présentées parce qu'il y avait non seulement un manque de méthode, mais aussi des préconceptions relatives au cananéen et à l'araméen viciées par le poids de la tradition didactique de l'hébreu – et de la Bible – et de l'araméen. Ces préconceptions ne permettaient pas de supposer un état de langue différent et plus ancien par rapport aux grandes langues littéraires précédemment attestées. Dans son approche déconstructiviste, l'auteur invite à suivre l'histoire des études, avec l'ambition que ce point de vue puisse révéler les fautes de méthode précédentes et finalement mener vers la solution correcte du classement de ces trois idiomes.

Abstract : The aim of this paper is to let know the parallel history of the classification of three North West Semitic idioms: Yaudic, Ugaritic and the Deir Alla plaster inscription idiom. In the paper, it is shown how problems arose when using a strict genealogical classification of these dialects, not only for method lacks but also due to the misconceptions of Canaanite and Aramaic. The origin of these misconceptions is analyzed as a result of the weight of the didactic tradition of Hebrew –of course of the Bible too– and of Aramaic. This scholarly tradition prevented scholars from supposing a different previous état de langue for the great historical Semitic languages. It is the author's hope that this deconstructive approach will by itself show the previous lacks of method and lead to the correct way in classifying these three idioms.

 

Joachim F. Quack : En route vers le copte. Notes sur l'évolution du démotique tardif (p. 191)

Resume : La langue égytienne démotique a été utilisée pendant plus d'un millénaire. Elle est généralement divisée en trois étapes. La phase tardive du Démotique a toujours été considérée par les chercheurs comme proche du Copte, mais sans élaboration des détails. Mon étude donne une analyse détaillée de quelques constructions qui sont au coeur de la transition du Démotique et du Copte. Comme corpus de base, j'ai utilisé le papyrus magique de Londres et Leide, avec seulement quelques rares citations d'autres sources, pour ne pas compromettre l'uniformité linguistique. Même à l'intérieur du papyrus magique de Londres et Leide, des sections dérivent visiblement de modèles antérieurs qui, linguistiquement, ne sont pas vraiment du Démotique tardif. En regardant de près, on peut montrer comment le Démotique tardif montre bien des changements qui préfigurent l'usage Copte. Par contre, il y aussi des divergences, et quelquefois des étapes intermédiaires qui ne sont ni du Démotique traditionel ni du Copte.

Abstract : The Demotic Egyptian language was used for a long time, and it is usually divided into three different phases. The late phase of Demotic Egyptian has always been considered to be already linguistically close to Coptic, but the details have rarely been worked out. This study provides an in-depth analysis of some constructions which are crucial for the transition from Demotic to Coptic. As a corpus, mainly the magical papyrus of London and Leyden is used. Other manuscripts are but rarely cited in order to achieve a more homogenous result. Even for the magical papyrus of London and Leyden, it can be shown that some sections derive from older models and are linguistically not on a par with the standard of late Demotic. By a detailed study, it can be demonstrated how in many cases late Demotic shows changes in language which prefigure Coptic usages, but there are also evident divergencies, and sometimes intermediate stages which are neither traditional Demotic nor Coptic.

 

4. Préhistoire, histoire, et contacts de langues

Paolo Marrassini : Le sud-sémitique, entre généalogie, géographie et développement parallèle (p. 217)

Resume : En utilisant certains principes de critique textuelle (erreur conjonctive, erreur séparative, lectio singularis, contamination), on parvient à une évaluation un peu plus rigoureuse des isoglosses proposées jusqu'ici pour le sud-sémitique. On s'aperçoit qu'en fait aucune de ces isoglosses n'a de valeur génétique, et toutes peuvent s'expliquer ou par contact géographique (sauf l'éthiopien, pour des raisons évidentes) ou par développement parallèle. On est alors amené à imaginer l'arrivée dans la Péninsule d'une population sémitique d'agriculteurs, à peu près indifferenciée, avant le iiie millénaire. D'autre part, l'hypothèse de C. Renfrew d'une pénétration lente d'agriculteurs (appliquée par lui aux origines indo-éuropéennes), pourrait être employée dans le domaine sémitique aussi; de plus, elle aurait l'avantage d'éliminer, dans la pratique, la contradiction entre généaologie, géographie linguistique et développement parallèle.

Abstract : By utilizing some principles of textual criticism (connecting error, separating error, lectio singularis, contamination), one can obtain a more rigorous valuation of the isoglosses which have been proposed for South-Semitic until now. It becomes apparent that in fact none of these isoglosses has a genetic weight, and all of them can be explained through geographical contacts (except Ethiopic, for obvious reasons) or through parallel development. So, it is possible to imagine the arrival in the Peninsula of (an) agricultural Semitic-speaking people(s), linguistically almost undifferentiated, before the 3d millennium; and accordingly, in the field of Semitics one could make use of the hypothesis brought forward by C. Renfrew for Indo-European, of a slow penetration of agricultural peoples; this could also present the advantage of eliminating the conflict between genealogy, linguistic geography, and parallel development.

 

Salem Chaker : Aux origines berbères : préhistoire et linguistique. Allochtonie/Autochtonie du peuplement et de la langue berbères ? (p. 235)

Resume : La question des origines berbères — du peuple et de la langue, a fait couler beaucoup d'encre depuis le XIXe siècle.

La thèse classique de l'origine moyen-orientale a longtemps prévalu, cette région étant considérée comme le berceau du monde méditerranéen. Au cours des 50 dernières années, cette théorie a été puissamment relayée par les préhistoriens, à travers la thèse dite "capsienne" : les Proto-Méditerranénens seraient apparus en Afrique du Nord vers le 8 ou le 7e millénaire avant JC, et auraient apporté du Moyen-Orient un nouveau type physique (les Méditerranéens qui remplacent peu à peu le type "mechtoïde"), une nouvelle culture (Néolithique) et une langue (le proto-berbère).

Plus récemment, les tenants d'une origine africaine, dans le cadre de la théorie d'un berceau africain du chamito-sémitique (ou de l'afro-asiatique) — et de la néolithisation qui serait le moteur de l'expansion d'un peuple et d'une langue, ont consolidé leurs positions. Diakonoff, Behrens, Ehret, parmi bien d'autres, ont proposé des localisations et des dynamiques d'expansion à partir de berceaux africains, situé dans le Sahara central ou, plus souvent, en Afrique orientale (Soudan, Nubie-Kordofan…).

Notre contribution voudrait être une approche critique des différentes thèses et arguments utilisés, en adoptant un point de vue interne au domaine berbère.

Dans une synthèse préliminaire, on rappellera les arguments avancés par les préhistoriens en faveur d'une origine extérieure du peuplement berbère, de la culture néolithique, et de l'art préhistorique. On montrera, qu'en dehors des options "idéologiques", il n'existe aucune démonstration solide d'une origine "extérieure" du peuplement de l'Afrique du Nord.

Du point de vue de la linguistique, on interrogera le matériel linguistique pour y rechercher des indices allant dans un sens (allochtonie) ou dans l'autre (autochtonie). On essayera notamment de répondre aux questions suivantes :

Existe-t-il des traces concrètes d'un substrat pré-berbère en Afrique du Nord ?

Le vocabulaire fondamental de l'agriculture, de l'élevage et des techniques connexes, permet-il de déceler une origine extérieure; recoupe-t-il celui des autres langues chamito-sémitiques ou est-il de formation spécifique ?

Le système grammatical et le matériel morphologique du berbère autorise-t-il la thèse (nécessairement diffusioniste) d'une formation à partir d'une source extérieure ?

De cet examen des données, tant préhistoriques que linguistiques, on tire, si ce n'est à une démonstration, du moins le sentiment très fort, qu'il n'existe aucun argument positif en faveur d'une origine extérieure — moyen-orientale ou africaine — des Berbères et/ou de leur langue. Au contraire tous les indices vont dans le sens d'une très grande stabilité et d'une continuité du peuplement et de la langue berbère dans leur aire d'extension actuelle.

Tout semble bien montrer que les Berbères et leur langue ont des racines fort anciennes en Afrique du Nord, très certainement bien antérieures au Néolithique.

Abstract : The issue of the Berber origins — the people and the language —, has received much attention since the 19th Century.

The classical thesis of the Middle Eastern origin has long prevailed, this region being considered as the cradle of the Mediterranean world. Over the last fifty years, this theory has been powerfully promoted by pre-historians, through the so-called "Capsian" thesis : the proto-Mediterraneans would have appeared in North Africa around the 7th or 8th millennium BC, and would have brought from the Middle East a new physical type (the Mediterraneans who replace little by little the "Mechtoid" type), a new culture (Neolithic), and a language (proto-Berber).

More recently, the supporters of an African origin, within the framework of the theory of an African cradle of Chamito-Semitic (or "Afro-Asiatic"), and of the "neolithisation" that would be the engine of the expansion of a people and a language, have consolidated their positions. Diakonoff, Behrens, Ehret among many others, have proposed locations and expansion dynamics from African cradles located in Central Sahara, or more often, in Eastern Africa (Sudan, Nubia, Kordofan, etc.).

Our contribution would like to be a critical approach of the different theses and arguments used, by adopting a point of view that is internal to the Berber domain.

In a preliminary synthesis, the arguments put forth by the pre-historians in favor of an external origin of the Berber peopling, of the Neolithic culture, and pre-historic art, will be restated. It will be shown that, except for "ideological" options, there is no solid proof of an "external" origin of the peopling of North Africa.

From the point of view of linguistics, the linguistic material will be examined in order to search for clues pointing to one direction (allochtony) or the other (autochtony). In particular, we will attempt to answer the following questions :

Are there concrete traces of a pre-Berber substrate in North Africa ?

Does the fundamental vocabulary of agriculture, breeding, and related technology allow us to detect an external origin ? Does it intersect that of the other Chamito-Semitic languages, or is it of a specific formation ?

Does the grammatical system and the morphological material authorize the — necessarily diffusionist — thesis of a formation from an external source ?

From this examination of the data, both pre-historic and linguistic, one leads, if not to a proof, at least to the very strong feeling that there is no positive argument in favor of an external origin, either Middle Eastern or African, of the Berbers and of their language. To the contrary, all the clues support a great stability and continuity of the Berber peopling and language in the area where they currently exist.

Everything tends to indicate that Berbers and their language have very ancient roots in North Africa, most certainly anterior to the Neolithic period.

 

Robert Nicolaï : Aux marges de l'espace chamito-sémitique : songhay et apparentements "non-linéaires" (p. 245)

Resume : Les langues songhay qui s'étendent de part et d’autre de la Boucle du fleuve Niger ont été traditionnellement rattachées à la famille nilo-saharienne, or aujourd'hui, cet apparentement a été remis en question. En effet, on a pu montrer tout d'abord que ces langues ne peuvent pas être rattachées à cette famille et ensuite qu'elles ont un rapport particulier avec les langues chamito-sémitiques avec lesquelles elles sont en contact.

Après avoir présenté l'historique des hypothèses d'apparentement du songhay, je ferai l'état de la question du point de vue morphologique, lexical et aréal. Dans un deuxième temps, je développerai l'hypothèse actuelle qui postule que, dans son état le plus ancien, le songhay résulte d'une formation non-généalogique induite par le contact : nous avons affaire à un apparentement non-linéaire qui fait intervenir des langues mandé du nord-ouest et des variétés véhiculaires d'arabe et de berbère parlées dans cette région du Sahel.

On tire de cette approche une réflexion générale sur l'importance qu'il y a à s’'intéresser aux phénomènes de contact lorsque l'on traite de l'évolution des langues. Corrélativement cela suggère la nécessité d'un cadre théorique adapté dans lequel "contact" et "genèse" des langues s'articulent et où la dynamique de l'évolution non-linéaire des langues puisse trouver le cadre de sa description.

L'apport à venir est probablement, grâce à des études lexicales et au développement de recherches aréales, d'appréhender plus en détail la (ou les) forme(s) véhiculaire(s) arabe(s) et berbère(s) qui, dans des configurations différentes, ont dû marquer l'ensemble des langues subsahariennes non chamito-sémitiques du contact et, dans une configuration particulière ont permis la constitution en lingua franca pré-songhay d'une variété mixte "pré-songhay". L'on conclut sur la nécessité de reprendre les études lexicales en tenant compte de cette donnée nouvelle.

Abstract : The Songhay languages which spread out on both sides of the Niger bend have traditionally been attached to the Nilo-Saharan family, but today this family bond has been called into question. We have indeed been able to show that these languages cannot be attached to this family and that they have an unusual link with Hamito-Semitic languages with which they are in contact.

After having presented the history of hypotheses on Songhay's family bonds, I will treat the issue from a morphological, lexical and areal point of view. Secondly, I will develop the current hypothesis that in its most ancient state, Songhay results from a non-genealogical contact-induced formation : we are dealing with a non-linear bond which concerns North-Western Mande languages and vehicular Arabic and Berber varieties spoken in this Sahel region.

From this approach we draw a general idea on how important it is to consider contact phenomena when dealing with the evolution of languages. Correlatively, this poses the need for an adapted theoretical framework in which language contact and genesis are linked and where the dynamic of non-linear language evolution could find its description's framework.

The contribution to come is probably, with the aid of lexicon studies and areal research development, to comprehend in detail the vehicular Arabic and Berber form(s) which, in different configurations, must have marked the whole of non Hamito-Semitic sub-Saharan contact languages and in a particular configuration allowed the constitution of a "pre-Songhay" mixed variety into a pre-Songhay lingua franca. We conclude by stressing the need to review lexical studies taking this new datum into account.

 

Graziano Savà & Mauro Tosco : La mort des langues en domaine chamito-sémitique (p. 279)

Resume : Cet article dresse un état de l'art des langues en danger parmi les langues chamito-sémitiques. Nous examinons les branches et les régions suivantes : le sémitique, le berbère, le tchadique; la corne de l'Afrique et l'Afrique de l'Est. Parmi les langues sémitiques modernes, nous examinons plus particulièrement la situation et l'avenir de l'arabe du sud et du néo-araméen et abordons plus rapidement le berbère et le tchadique. Nous passons en revue les langues sémitiques, couchitiques et omotiques en danger dans la corne de l'Afrique.

Cet article donne des informations concernant les facteurs contextuels (sociologiques, économiques, religieux, etc.) qui déclenchent ou participent à la disparition des langues chamito-sémitiques. Nous donnons aussi des chiffres approximatifs sur le nombre de locuteurs pour chaque langue (qui détermine le plus souvent le fait qu'une langue soit ou non en danger).

Lorsque les langues chamito-sémitiques se trouvent en situation de contact de langues, la langue de substitution (ou langue "cible") n'est pas une langue européenne officielle, mais plutôt une langue dominante locale, et dans la plupart des cas une langue chamito-sémitique elle-même. Les langues de substitution les plus courantes sont l'arabe (en Asie et partiellement en Afrique de l'Ouest), le haoussa (pour les langues tchadiques), l'amharique (en Ethiopie) et le swahili (en Afrique de l'Est). Les conflits entre différents styles de vie (comme c'est le cas entre les bergers et les chasseurs / cueilleurs en Afrique de l'Est) participent souvent à la mise en danger des langues et à leur disparition. Les guerres de religion et la conversion à la religion d'un groupe majoritaire ont eu de graves conséquences linguistiques par le passé et c'est toujours le cas aujourd'hui (comme parmi les locuteurs des langues couchitiques centrales en Ethiopie). Enfin, nous considérons également le rôle pernicieux que joue la création de nations-états modernes dans la mise en danger des langues et leur disparition.

Abstract : The article offers an overview of language endangerment among the present-day Afroasiatic languages. The following branches and areas are taken into account : Semitic; Berber; Chadic; Horn of Africa and East Africa. Among the modern Semitic languages, the situation and perspectives of South Arabic and Neo-Aramaic are considered; a rather cursory treament is given to Berber and Chadic. The endangered Semitic, Cushitic and Omotic languages of the Horn of Africa are discussed in turn.

The article gives basic information about the contextual (sociological, economic, religious etc.) factors that trigger and contribute to the endangerment of Afroasiatic languages. An approximation about the number of speakers (which often, but not always, determines the endangerment of a language) is also provided.

In many language contact situations involving Afroasiatic languages the replacing (or "target") language is not a European, official medium, but a local dominant language, and quite often another Afroasiatic language itself. Preferred targets of replacement are Arabic (in Asia; partially in West Africa), Hausa (for Chadic languages), Amharic (in Ethiopia), and Swahili (in East Africa). Conflict among different life-styles (as among pastoralists and hunter-gatherers in East Africa) is a common source of language endangerment and death. Religious strife and the adoption of the faith of the majority have had in the past and still have linguistic consequences (as among speakers of Central Cushitic languages in Ethiopia). Finally, the pernicious role of the modern nation-states in bringing about much language endangerment and death is taken into account.

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