n°25 : L'exception

 

Résumés / Abstracts

 

Irina Vilkou-Poustovaïa : Présentation générale (p. 5)

 

1. Variations sur l’exception

Christine Jacquet-Pfau : Les référents de l'exception : linguistique du terme et validité de la notion (p. 19)

resume : L’exception n’a aucune réalité en soi : elle n’existe qu’au sein d’un système structuré dont ont été dégagées les lois, ou normes, ou règles – selon le type de système dans lequel on se trouve. Après avoir examiné le champ lexical de l’exception, nous en analyserons le concept à travers un parcours pluridisciplinaire qui empruntera plus particulièrement les voies des mathématiques, de l'informatique, du droit, de la sociologie, du biomédical et de la linguistique. Nous nous interrogerons sur le statut de l’exception dans ces différents domaines et tenterons d’en cerner les limites de validité.

abstract : Exception has no reality by itself. It only exists within a system structured by its own laws, or standards, or rules according to the type of system in which we are. We intend in this article to investigate the lexical field of exception, then analyse the concept under a pluridisciplinary approach including mathematics, computer science, law, sociology, biomedical and linguistic. We shall question the status of exception in these various motters and find out validity limits.

 

Didier Nordon : L’exception qui infirme la règle (p. 31)

resume : En mathématiques, les règles n'ont pas d'exceptions. Le mot "règle" n’est guère utilisé par les mathématiciens et n’a pas pour eux de sens spécifique. Quand ils l’emploient, c’est avec le sens de "recette". Les règles logiques ne sont en général pas l’objet de leur attention.

En mathématiques, l’exception est ce qui échappe au cas général, non ce qui échappe à la règle. Tel objet paraît exceptionnel à une époque, naturel à une autre. Evaluer la taille d’un ensemble d’objets exceptionnels est une tâche fréquente ("ensemble de mesure nulle", "théorème vrai presque partout", "inégalité vérifiée pour tout x assez grand", etc.).

La multiplication d’exemples d’un phénomène peut suggérer l’énoncé non d’une règle, mais d’une conjecture, qu’il s’agit ensuite de démontrer pour en faire un théorème. Le contre-exemple n’est pas utilisé pour réfuter ou nuancer une règle, mais pour réfuter ou nuancer une conjecture.

Abstract : The exception which invalidates the rule

In mathematics, there is no exception to the rule. Mathematicians seldom use the word "rule". Such a word has no special meaning to them. They just use it to mean "a useful tool". Mathematicians rarely think about rules of logic.

In mathematics, the term "exception" is meant as an exception to the general case, not as an exception to the rule. Such-and-such an object may seem exceptional during such-and-such a time but appear natural during another such time. The evaluation of the size of a set of exceptional objects is a task, frequently required ("set of measure zero", "theorem true almost everywhere", "inequality verified when x is large enough", etc.)

Discovering many examples of a phenomenon will not lead a mathematician to state a rule. He will propose a conjecture and then try to produce a theorem to prove this conjecture. He will not use a counterexample to invalidate or modify a rule, but to invalidate or modify a conjecture.

 

Georges Kleiber : Comment se "règle" linguistiquement l’exception : petite sémantique des constructions exceptives (p. 39)

 

2. Des normes

Claude Hagège : Le défi de la langue ou la souillure de l’exception (p. 53)

resume : On suggère ici de partir du cadre général des phenomènes récurrents des langues. Dans ce cadre, les notions de non-application, de contre-exemple et d’exception sont vues comme les faces négatives, respectivement, de celles de loi, d’universal et de règle. Une langue dont les règles soient sans exception, c’est ce que s’efforça de construire, comme tous les inventeurs de langues artificielles, celui de l’espéranto. Il n’est pas facile de satisfaire cette exigence, sauf à maintenir consciemment la langue inventée hors de portée de l’évolution naturelle et de l’acquisition par l’enfant.

abstract : Starting from the framework of recurrent linguistic phenomena, it is suggested to consider the notions of non-application, counter-example and exception as the negative faces, respectively, of the notions of law, universal and rule. A language with rules that have no exceptions, such was the scope of all those that created artificial languages, including the inventor of Esperanto. This requirement is not easy to meet, unless the language is consciously maintained beyond the reach of natural evolution and acquisition.

 

Cécile Canut : L’exception dans les discours épilinguistiques en Afrique : une absence instructive (p. 61)

resume : Dans le cadre de la dynamique plurilingue des sociétés africaines, et plus particulièrement de l’Afrique de l’Ouest, la notion d’exception est très délicate à utiliser pour une analyse linguistique tant l’entrelacement des micro-systèmes varie et se transforme. À partir d’une étude des pratiques langagières et des discours épilinguistiques des locuteurs, il apparaît que cette notion est absente car inappropriée. En effet, le contexte discursif, politique et social empêche de traiter ces situations à l’aide des concepts normatifs, ou linguistiques, telle qu’ils opèrent vis-à-vis des langues écrites et "grammatisées".

 

 

Evangelia Adamou : Contexte sociolinguistique et exception dans deux grammaires du grec moderne (p. 71)

resume : Dans cet article il s’agit de considérer le contexte sociolinguistique parmi les facteurs qui favorisent l’exception dans les grammaires. L’étude de deux grammaires du grec moderne illustre nos propos.

abstract : Sociolinguistic factors push grammars to present language in a more or less prescriptive way (prescription is closely related to exception). Following,the study of two modern greek grammars illustrates this position.

 

Peter Lauwers : Les stratégies d’analyse de phénomènes marginaux dans la grammaire française ‘traditionnelle’ (p. 75)

resume : Cette contribution historiographique et – surtout – épistémologique traite des principales stratégies exploitées par les grammairiens ‘traditionnels’ (du français) dans l’analyse de phénomènes qui leur sont apparus comme irréductibles. Elle s’appuie sur l’examen de 25 grammaires (et syntaxes) de référence du français publiées au cours de la 1re moitié du 20e siècle. Il en résulte une typologie qui montre à la fois la variété et les limites des stratégies développées.

abstract : This historiographical and epistemological contribution deals with the principal strategies developped by ‘traditional grammarians’ (of French) in the analysis of phenomena which appeared to them as irreductible. The study is based on the analysis of a corpus of 25 reference grammars (and syntaxes), published in the first half of the 20th Century. The result is a typology which shows both the variety and the limits of the strategies that have been developed.

 

Ivan Evrard : L’intermédiaire diathétique dans les grammaires anciennes : de l’exception au principe? (p. 79)

resume : Dans cet article, nous montrons comment des faits linguistiques reçoivent un statut exceptionnel du fait des tâtonnements de la méthode, comment ils déplacent les cadres produits par cette méthode et comment les principes généraux qui guident cette méthode, mais président aussi à la sélection des faits linguistiques retenus comme normaux, exercent une influence déterminante sur cette dynamique. La diathèse était l’exemple parfait, qui force à la prise en compte de plusieurs domaines des sciences du langage en train d’éclore : la forme, le sens et la syntaxe.

abstract : In this paper, we show how linguistic facts receive an exceptional status due to the hesitating method, how they cause a transformation of the frames designed by this method and how the general principles, that lead this method but also the selection of normal linguistic facts, have their influence on this dynamic. Diathesis was the perfect example of this, which obliges to consider more than one aspect of the developing language sciences : form, sense and syntax.

 

Dominique Lagorgette : De l’indicible à l’indistinct - étude de quelques GN blasphématoires en diachronie (p. 85)

resume : A partir de l’étude diachronique de certains blasphèmes nominaux (par le saint sang de Dieu, vain Dieu), nous montrerons comment la notion d’exception peut mener au figement par le biais de l’euphémie, suite à une répression des blasphèmes nominaux, termes tabous. Ce phénomène entraîne une modification de la valeur pragmatique. Notre hypothèse est que ce qui amène dans ce cas une exception à devenir formule figée vient de la perte de la principale force illocutoire initiale (blasphème), dominée par une seconde qui devient centrale (expressivité).

Abstract : Based on the diachronic study of nominal blasphemes (i.e. par le saint sang de Dieu, vain Dieu), this paper examines how exceptions may become fossilized. Euphemia is the first process leading to this change, following a strong repression of the taboo words. A change of the pragmatic value derives from this evolution.

Our hypothesis is that what changes, in this case, an exception into a fossilized expression is the loss of the initial principal illocutionary force (blaspheme), whilst a second one emerges as central (expletive).

 

Laurence Beaud et Clément De Guibert : La pathologie comme seule "exception qui confirme la règle"? Exemple de l’autisme (p. 93)

resume : Si les faits normaux ne peuvent être en eux-mêmes exceptionnels, la pathologie occupe par contre une place spécifique et scientifiquement unique dans le sens où celle-ci révèle le normal en dissociant et caractérisant des processus qui sont normalement liés et indistincts. Elle peut finalement constituer la seule véritable "exception qui confirme la règle", ou défaillance qui révèle l’existence et la nature des processus normaux. Nous évoquerons ici à titre d’illustration de cette thèse les troubles autistiques à travers leur accomplissement interactionnel (rencontres entre un enfant autiste et des cliniciens). L’analyse de "dialogues" avec un enfant autiste, mise en contraste avec d’autres pathologies, permet de décomposer les processus en cause dans l’interlocution : notamment elle atteste la distinction conceptuelle entre capacité de langage et capacité de communication. De plus, au sein du problème de la communication, elle permet de dissocier une simple interaction d’une communication véritablement coopérative.

abstract : As normal facts are not exceptional on their own value, on the contrary, pathology scientifically occupies a specific and singular place because it reveals the normal fonctionnary by dissociating and characterizing processes which normally are indistinctly together. Actually clinicis may constitute the only true "exception which confirms the rule", in others words, the failure who shows the existence and the nature of those normal processes. In support of this thesis, we evoke here the autistics disorders within their interactional achievement. The analysis of face-to-face interactions between an autistic child and clinicians, compared to others pathology, makes it possible to break up the processes involved in interlocution : it attests particulary the conceptual distinction between language ability and communication ability. Moreover, within the question of communication, this clinical analysis makes it possible to dissociate a simple interaction and a real participative frame.

 

Christiane Riboni : L’écart et la règle : analyse des conditions de production du discours dans un cas de pathologie autistique (p. 97)

resume : Nous proposons d’aborder la question de l’exception, sur le registre de l’écart par rapport à la règle, dans le cadre des pathologies du langage, plus précisément en nous appuyant sur l’analyse de productions langagières d’une jeune fille autiste.

Sur l’emploi des adverbiaux contextuels argumentatifs (Ducrot) : la jeune autiste manifeste une incapacité à gérer des adverbiaux argumentatifs (en l’occurrence même) dans le contexte d’une interaction avec un interlocuteur; en revanche, dans un contexte différent - une rédaction qu’elle écrit dans le cadre de l’école - elle écrit un dialogue dans lequel les interlocuteurs utilisent de façon pertinente ces mêmes adverbes.

Les directions d’analyse proposées sont les suivantes :

Si on admet que l’énonciation se caractérise par "l’accentuation de la relation discursive au partenaire" (Benveniste, 1974, 85), et que cette relation à l’autre est fragile, voire défaillante, dans la pathologie autistique, la déficience dans ce cas serait à interpréter par rapport à la compréhension, au sens de Benveniste.

Autre registre d’analyse, en référence à Banfield (1995), analyse de l’écart entre le traitement de situations différenciées de production langagière : la jeune autiste se révèle capable de produire des éléments d’énonciation, mais dans une situation d’écriture. Plusieurs hypothèses sont à explorer, l’une en lien avec la distinction amorcée par Benveniste entre énonciation écrite et énonciation parlée; l’autre s’appuyant sur la définition de la narration proposée par Banfield.

Abstract : We approach the theme of exception by the way of the gap in relation to the rule, in the field of langauge pathology, precisely autistic pathology.

The young autist who is the speaker subject of analysis, is not able to use contextual adverbial (Ducrot) when she is talking with a person, but, in a different frame, she wrote a dialogue where the speakers use regularly the same adverbial.

The analysis concerns the relation to others, decisive in verbal interactions (Benveniste), and failing in autistic pathology.

On the other hand, we suppose that the difference of ability refers to the writing frame, according to Banfield, and the question of narration.

 

Dominique Delomier : Les "fautes" des enfants : exceptions du système intériorisé par l’enfant? (p. 103)

resume : Les fautes des enfants se produisent sur les exceptions du système de la langue et nous renseignent sur celui qu’ils ont intériorisé. Pour les enfants, au moment de leur production verbale, sont des exceptions les formes irrégulières au regard de leur système. Elles varient donc d’un enfant à l’autre et sont fonction de la stabilisation du système propre à un enfant.

abstract : Children’s mistakes, which occur on exceptional forms, make clear their own inner system. To understand what exception is for a child, we have to take into account irregular forms towards his own system at the time of a verbal production. Therefore, exception varies from one child to the other as well as, for a specific child, from one stage of his language development to the other.

 

Kierszenbaum Francis : Comportement prétendu et comportement réel des logiciels selon l’utilisateur: un petit monde systémique (p. 107)

resume : Le présent article s’intéresse au système d’informations constitué par le triplet de référence (locuteurs-logiciels * énoncés-logiciels *contexte-de-référence).

Locuteurs-logiciels : collaborateurs qui améliorent l’exercice de leur métier par des énoncés-logiciels.

Enoncés-logiciels : développements spécifiques qui décrivent en partie la "réalité" ou la "définissent" à leur manière.

Contexte de référence : locuteurs-logiciels + lignes de cohérence des activités + énoncés-logiciels + environnement.

Le problème posé : Le locuteur-logiciels poussé par le contexte de référence (en particulier les missions de sa hiérarchie) est conduit à la production de résultats partiels avec plusieurs logiciels engendrant la présence redondante et non contrôlée d’une même information : les interfaces deviennent la norme.

La conclusion : La praxis logicielle conduit à ce que les modes de communication du triplet de référence glissent de l’exceptionnel à l’exception acceptée.

Par la rareté personnelle des solutions ultimes que chacun construit le triplet de référence est un système d’informations dont une masse d’énoncés est faite de pidgins ou d’argots enclavés.

 

Abstract : Expected and actual conduct of software according to its user : a small systemic world

This article concerns an information system created by the reference triplet (software-speaker * spoken-software * contextual-framework).

software-speakers : staff who improve work capacity through spoken-software.

spoken-software : specific developments which partly describe or establish "reality" in their own way.

contextual-framework : software-speaker + operational cohesion of task+ spoken-software + environment.

Problem : Software-speaker driven by contextual-framework (especially tasked by superiors) tends towards the production of partial outcomes through the use of several different software packages, resulting in unnecessary duplication and unverified information : interfaces become the norm.

Conclusion : Software praxis leads to a situation in which reference triplet communication methods move from being exceptional to an accepted exception..

By virtue of the individual solutions which are eventually arrived at by each member of staff, the reference triplet thus becomes an information system producing a large amount of output which has its own pidgins or group slang.

 

3. Des modèles

Sumikazu Nishio : Une exception qui n'en est pas une? : l'ordre atypique [Nom+Quantificateur] en japonais (p. 111)

Résumé : Dans la construction postnominale (Cpost ) en japonais, le nominal N peut être suivi par un quantificateur Q pour former un constituant [N+Q]. Or, c'est un ordre atypique, car partout ailleurs, les modifieurs du nom précèdent le Ntête dans cette langue strictement à tête-finale. Le présent article discute cette construction et montre que cette 'exception' constitue un élément de réflexion intéressant pour notre choix du modèle grammatical. D'abord, la particularité sémantique du quanfiticateur cardinal (Qcl) postnominal est décrite dans la section [1]. En effet, la position atypique du Qcl dans la Cpost: [N+Qcl] est corrélée à un effet de 'spécificité'. Dans la section [2], notre examen porte sur les éléments autres que Qcl qui apparaissent dans cette même position. Ce travail permet de constater que l'effet de 'spécificité' résulte du fonctionnement particulier de la Cpost dans laquelle l'élément postnominal joue un rôle prédicatif par rapport au GN qui le précède. Dans la dernière section [3], nous comparons deux modèles de grammaire: l'un qui adopte le procédé de composition strictement bottom-up, l'autre qui s'appuie sur les valeurs non-compositionnelles de certaines constructions idiosyncrasiques. Cette comparaison illustrera que le caractère exceptionnel de la Cpost peut être "motivé" selon le modèle de grammaire qu'on choisit.

Abstract : In the postnominal construction (Cpost ) in Japanese, the noun N can be followed by a quantifier Q to form a constituent [N+Q]. This word order is an exception for this strictly head-final language, in which all noun modifiers precede the head noun. In this paper, we propose an account of this construction and show that this "exception" provides us with an opportunity for reflexion on the model of grammar. In the section [1], the semantic property of cardinal quantifiers (Qcl) in the Cpost is analysed. The analysis shows that the occurrence of a Qcl in the Cpost: [N+Qcl] gives rise to a 'specificity' effet. In the section [2], we examin two lists: that of prenominal quantifiers and that of postnominal modifiers. The distribution of noun modifiers in these two positions suggests that the prenominal constituent should be a determiner, where as the postnominal slot can be occupied only by a descriptive predicate. In the last section [3], two models of grammar are compared: the first which preserves the principle of compositionality at all steps of the semantic interpretation and the second which leaves room for the semantic treatment of some idiosyncratic constructions. The comparison suggests that the Cpost, no more than an "exception" in the former, may viewed as "motivated" in the latter frame work.

 

Elizaveta Khatchatourian : Skazat’ – govorit’ (en russe): une paire aspectuelle? (p. 119)

resume : Pourquoi la forme imperfective govorit’ employée en tant que verbe de remarque de l’auteur dans le dialogue peut remplacer la forme perfective skazat’ dans le même contexte, tandis que d’autres paires aspectuelles des verbes dicendi sont soumis aux conditions d’emploi formelles de l’aspect? C’est l’analyse de la sémantique verbale, en particulier la description des components de skazat’ (le préverbe s- et la base kaz- ), qui nous permettra de répondre à cette question.

abstract : Why the imperfective form of the Russian verb govorit’ used as a verb of author’s remark can substitute the perfective form skazat’ in the same context, while others aspectual pairs of dicendi verbs are submitted to formal conditions of use of the aspect? The analysis of the verbal semantics in particular the description of the components of skazat’ (preverb s- + base kaz-) will help us to answer to this question.

 

Georgette Dal et Fiammetta Namer : Les référents de l'exception : linguistique du terme et validité de la notion (p. 123)

resume : La notion de règle est binaire (conformité ou dérogation), et engendre celle d’exception. L’exception, peu satisfaisante, entraîne alors soit la révision des propriétés des données récalcitrantes (on tente de prouver que l’exception est apparente) soit la révision de la règle elle-même (en définissant une nouvelle règle, on aboutit donc à de nouvelles exceptions).

La théorie de l’optimalité (OT) rejette la notion de règle au profit de celle d’ordonnancement de contraintes. L'article se donne pour objectif d’évaluer les services que peut rendre l'OT en matière de description du lexique construit, où la question d’exception constitue un problème central. Dans cette perspective, nous présentons deux types d'exemples relevant apparemment de procédés morphologiques exceptionnels, et que nous expliquons dans un cadre inspiré de cette théorie: le cas du nom avionneur, et le cas de noms de propriété sélectionnant des toponymes en position de base (belgicité).

abstract : The notion of rule is binary (there is either conformity to a rule or derogation from it), and it entails that of exception. Exception, hardly satisfying, implies thus either to reanalyse the properties of recalcitrant data (attempting to prove that exception is only apparent), or to review the rule itself (defining consequently a new one, and leading to new exceptions).

Optimality theory (OT) rejects the notion of rule, preferring that of constraints ordering. This paper aims to evaluate OT contribution in terms of description of the morphologically constructed lexicon, in which exception constitutes a central issue. In this perspective, we present two types of examples having apparently to do with exceptional morphological processes, and which receive an explanation within an OT-inspired framework: the case of the noun avionneur, and that of property nouns which select toponymic base nouns (belgicité).

 

Catherine Fuchs : De l'"exception à la règle" au conflit d'indices : étude de quelques cas "anomaux" de postposition du sujet nominal dans des relatives en français (p. 131)

 

resume : D’après les grammaires du français, la postposition du sujet nominal après le verbe de la relative est réputée être "anomale" dans deux configurations syntaxiques : après le relatif dont complément du nom sujet (??? J’ai félicité mon collègue dont s’est mariée la fille), et lorsque le verbe est suivi d’un complément d’objet direct nominal (??? J’ai participé au vote par lequel ont élu les députés les citoyens). Nous proposons ici de rendre compte d’exemples attestés de ce type, non pas en termes d’"exception" à une règle, mais comme résultant d’un conflit entre indices co-textuels divergents dont les poids respectifs sont susceptibles d’ajustements subjectifs.

abstract : French grammars consider that it is "anomalous" to place the noun subject after the verb in a relative clause which is introduced by a genitive dont (??? J’ai félicité mon collègue dont s’est mariée la fille), or whose verb governs a noun object (??? J’ai participé au vote par lequel ont élu les députés les citoyens). However, many examples of such "anomalous" sentences are actually produced, which can be accounted for in terms of conflicting co-textual parameters, rather than as "exceptions" to a given rule.

 

Iva Novakova : "Bouge ta ville! De l’emploi transitif des verbes intransitifs avec un sens causatif (p. 141)

resume : Cet article étudie les emplois transitifs de verbes intransitifs avec un sens causatif. Cette modification du schéma actanciel habituel du verbe peut être examiné dans le cadre de la problématique de l’exception car les trois paramètres, à savoir le changement linguistique, le paramètre qualitatif et le paramètre quantitatif, relatifs à la notion d’exception, sont applicables à l’analyse des cas en question. De plus, le phénomène reste marginal du fait de la haute fréquence en français du factitif faire + Vinf.

Une analyse de la concurrence entre la forme synthétique transitive et la périphrase faire + Vinf est proposée, et ce, sur les trois plans : syntaxique, sémantique et pragmatico-énonciatif, ce qui permet de faire ressortir qui les nuances de sens que les deux formes véhiculent. La tendance à la transitivation causative est observable dans d’autres langues aussi, comme l’anglais, le russe, le bulgare, l’espagnol, et ce, avec la même classe sémantique de verbes, à savoir les verbes de mouvement et de changement d’état qui forment un sous-ensemble au sein des verbes intransitifs (cf. l’hypothèse inaccusative, Levin & Rappaport, 1995).

abstract : This paper deals with the transitive uses of some intransitive verbs, which take, in this case, a causative meaning. The modification of the usual verb valency concerns the problematic of the exception, because the three parameters - the linguistic change, the quantitative parameter and the qualitative one, essential for the notion of the exception -, can be applied to the analysis of these uses. The phenomenon is also marginal because of the high frequency of the French periphrastic causative construction faire + Vinf.

The paper analyses moreover the concurrence between faire + inf and the synthetic intransitiv verb in a transitive construction. These analysis involves syntactic, semantic and pragmatic components and showes the shade of meaning between the two forms. The causative transitivation exists in different languages, like English, Bulgarian, Russian, Spanish and operate with the same semantic classes of verbs: verbs of manner of motion and verbs of change of state (The examples of the corpora confirm the results of the Unaccusative Hypothesis, Levin & Rappaport, 1995).

 

Mojca Schlamberger Brezar : Mais – inverseur d'orientation argumentative. Mais justement? (p. 147)

Résumé : Selon la théorie de la grammaire fonctionnelle (Dik, 1998), l'exception se définit par rapport au cadre d'analyse qu'on choisit. D'après la théorie d'argumentation dans la langue de O. Ducrot (1983), c'est surtout l'inverseur d'orientation argumentative et le marqueur d'opposition, même si, en prenant en considération le contexte, il constate qu'il y a plusieurs mais en français (1980). Dans les années qui suivent, Adam en fait le recensement (1990) et le nombre remonte à cinq, mais tous liés à l'expression de l'opposition.

Dans un autre systeme, établi par M. A. Morel et L. Danon-Boileau (1998), mais représente aussi l'indice d'une démarche coopérative.

Après avoir analysé le corpus oral, qui consiste de 5 heures d'enregistrements des débats télévisés français (Polémiques, Bouillon de culture), nous avons découvert quelques exemples où mais, combiné d'un marqueur modal et toujours dans des phrases exclamatives, n'avait pas de sens d'inverseur d'orientation argumentative, mais fonctionnait plutôt en tant que renforceur d'affirmation. C'était le cas de mais justement et mais bien sûr. Comme le nombre d'occurrences de ce type de mais était très réduit (moins de 1% de tous les mais du corpus analysé), ce mais pourrait être traîté en tant qu'exceptionnel. Comme il ne présente pas de problèmes du décodage pour un locuteur de langue naturelle, nous proposons le changement du cadre d'analyse au celui proposé par M. A. Morel et L. Danon-Boileau (1998).

Abstract : Mais – converting argumentative orientation. Mais justement?

According to the theory of functional grammar, the exception is defined within the framework of the chosen analysis. The French connector mais conveys, according to the theory of argumentation in the language of O. Ducrot (1983), the idea of opposition and conversion of argumentative orientation in spite of the recognized fact that there are several mais in French (Ducrot, 1980). J. M. Adam (1990) counts 5 occurrences of them, all expressing opposition..

In another system, established by M. A. Morel and L. Danon-Boileau (1998), mais is a sign of cooperation among the speakers.

After the analysis of oral corpus consisting of 5 hours of recordings of French TV debates (Polémiques, Bouillon de culture) we discovered some examples where mais, combined with a modal marker appearing in exclamative clauses, did not convey the meaning of convertor of argumentative orientation but functioned as a reinforcement of argumentation. It was a case of mais justement and mais bien sûr. The number of the occurrences was very small (presenting less than 1% of analysed mais in corpus) and therefore we could treat it as exceptional. As its occurrence did not present any problem of decoding for natural language users, we propose to change the framework of the analysis to the one proposed by M. A. Morel and L. Danon-Boileau.

 

Christine Rouget : Exception et linguistique sur corpus (p. 151)

Résumé : L’exception n’occupe pas une place importante dans la linguistique sur corpus. L’approche statistique de la Longman Grammar of Spoken and Written English se propose de décrire et d’expliquer le succès des structures les plus fréquentes de l’anglais. Les analyses plus artisanales de l’équipe de Cl. Blanche-Benveniste font intervenir plusieurs niveaux pour pouvoir rendre compte de la complexité des données réelles. Une brève présentation de 3 études (sur l’accord du participe passé, le futur et l’impersonnel) montre comment les exemples bizarres ou exceptionnels, loin de gêner l’analyse syntaxique, l’affinent et l’enrichissent.

Abstract : The concept of exception is not central as far as corpus linguistics is concerned. The statistical approach in the Longman Grammar of Spoken and Written English aims at describing and explaining the popularity of the most frequent English-language structures. More finely detailed analysis such as Cl. Blanche Benviniste team’s works present different layers in order to accommodate the complexity of real data. A brief presentation of 3 studies (on past participle, future and impersonal construction) shows how anomalous and exceptional examples, far from disturbing the syntactic analysis, make it finer and richer.

 

Cappeau Paul : Quand on ne trouve pas ce que l'on cherche... (p. 157)

resume : Pourquoi certains exemples que l’on attendait sont-ils si peu présents dans les corpus oraux? Cette recherche de "faits exceptionnels" montre que plusieurs facteurs sont en cause : les limites dues aux corpus (le caractère formel de la langue, l’absence de certaines situations), celles liées à nos représentations de la langue (comme la sous-estimation de la position syntaxique ou notre attente de séries homogènes en négligeant le poids propre à l’unité décrite).

abstract : Why do we find so few examples in oral corpora whereas they were expected to be more frequent? The search for such phenomenona shows that several factors are involved : the constraints of the corpora (the register of the language, the absence of some recorded situations), those related to our language representation (such as the fact that we underestimate the syntactic position of the term described or the fact that we expect it to produce homogenous series while neglecting its properties).

 

Gilles Boyé et Patricia Cabredo : L'irrégularité des paradigmes verbaux : deux types d'exception (p. 161)

resume : Nous proposons de distinguer deux types d'irrégularité parmi les formes verbales irrégulières :les formes irrégulières mais analysables en thème et affixe telles que buv-ons d'une part (supplétion de thème), et les formes irrégulières entièrement supplétives telles que sommes (supplétion de forme fléchie). En effet, nous montrons que la distribution des supplétions de thème à travers les formes fléchies d'un verbe obéit à son tour à des sub-régularités qui restreignent les supplétions de thème possibles dans la langue. Le modèle proposé ici vise à rendre compte de l'observation que les verbes irréguliers ne sont pas irréguliers de manière arbitraire.

abstract : We argue that among irregular verb forms morphologically analysable forms such as buv-ons, "we drink" have to be systematically distinguished from unanalysable suppletive forms like sommes, "we are". We show that suppletion of the theme gives rise to (language-specific) subregularities restricting the possible patterns of theme-suppletion across the inflectional forms of a verb. According to the analysis sketched here, knowledge of the verbal morphology of a language includes knowledge of the possible patterns of theme-suppletion.

 

Rebuschi Georges : Les exceptions en GGT des origines au début des années 80 (p. 165)

resume : Ce travail montre qu'à chaque nouveau "modèle" ou nouveau programme de recherche génératif correspond une manière distincte d'aborder la question des don­nées récalcitrantes. Dans les années 1950, il n'y avait en fait pas de place pour elles, la grammaire devant dériver toutes et rien que les phrases grammaticales. Dans les années 60, la distinction entre compétence et performance a permis de rejeter en dehors des considérations grammaticales certaines données difficiles. Dans les années 70, ce sont les "filtres" qui ont permis d'aborder ces questions de la manière la plus frontale. Enfin, avec l'émergence des Principes et paramètres dans les années 80, et l'élimination de la notion de construction, ces filtres, trop spécifiques, ont dû, être remplacés par des principes plus généraux.

abstract : "The treatment of exceptions in TGG from the beginnings to the early" 80's

Each TGG model, research program or paradigm has dealt in a specific way with refractory data. In the 50's, there was in fact no room for them, since the grammar was meant to generate all and only the grammatical sequences of the language. In the 60's, the distinction between competence and performance allowed the linguist to evade certain difficult cases by ascribing some rejected sentences derived by the grammar to some aspect of performance. In the late 70's, on the other hand, counter-examples were dealt with explicitly with the help of "filters", a notion the next program (GB / Principles & Parameters) had no room for, since it relinquished the very notion of ‘construction’ on which they were based: more general principles were thus sought to account for the facts they were supposed to elucidate.

 

Louis-Jean Boë, Christian Abry, Marie-Agnès Cathiard, Jean-Luc Schwartz, Pierre Badin et Nathalie Vallée : Comment les exceptions des handicaps révèlent des universaux phonologiques bimodaux : contraintes audiovisuelles des systèmes consonantiques des langues du monde (p. 175)

resume : Depuis que des bases de données des systèmes phonologiques des langues du monde ont été rendues disponibles, les régularités des systèmes phonologiques — remarquées par Troubetzkoy dès 1939 — ont fait l'objet de descriptions détaillées, que ce soit pour les voyelles et, de façon moins extensive, pour les consonnes. Pour les systèmes vocaliques, on dispose actuellement de plusieurs modèles qui permettent de prédire, non seulement les grandes tendances des systèmes existants, mais aussi leurs variantes. Ce n'est encore pas le cas pour les systèmes consonantiques. Mais s'il est un consensus partagé par l'ensemble des chercheurs, c'est bien le fait que les consonnes d'un même système doivent être suffisamment distinctes au niveau acoustique. Si l'on analyse les résultats de nombreuses études menées sur les confusions perceptives des consonnes dans le bruit, on peut noter que les bilabiales et les vélaires (/p/et /k/), les coronales et les vélaires (/d/ et /g/) et, dans une moindre mesure, les bilabiales et coronales nasales (/m/ et /n/) sont confondues. Or ces contrastes sont très majoritairement présents dans les langues, il s'agirait donc de nombreuses exceptions à la règle de distinctivité acoustique. Pour expliquer ce qui peut apparaître comme une exception, nous avons fait appel à la modalité visuelle, une piste peu explorée en phonologie. En effet, la bimodalité de la parole est au centre de nombreuses recherches en perception et en production de la parole visant à mieux comprendre comment l'homme parle en coordonnant ses articulateurs, certains d'entre eux étant entièrement ou partiellement visibles et comment il récupère des informations de cette visibilité. Si l’on prend en compte les résultats du développement phonologique et des confusions faites par les aveugles, par les sourds et, cas rare mais bien réel, par des sujets sourds-aveugles qui perçoivent la parole par le toucher du conduit vocal de l'interlocuteur (méthode TADOMA), il semble bien que les systèmes consonantiques se constituent sur la base d'un principe de distinctivité, pas uniquement acoustique, mais bimodale.

abstract : Since databases on the phonological systems of the world languages have been made available, the regularities of phonological systems, noticed by Troubetzkoy as soon as 1939, have been described in detail, for vowels as well as for consonants, though in a less extensive way for the latter. For the vowel systems, we have at our disposal, at present, several models that can predict not only the gross tendencies of existing systems, but also their variants. This is not yet the case for the consonantal systems. However, if there is a opinion agreed by the whole research community, it is indeed the fact that the consonants of a given system must be sufficiently distinguishable at the acoustic level. The analysis of the results of numerous studies conducted on the perceptive confusion of consonants in noise shows that bilabials and velars (/p/ and /k/), coronals and velars (/d/ and /g/) and, to a lesser extent, nasal bilabials and coronals (/m/ and /n/) are confused. However, these oppositions being very widely present in languages, they would thus be considered as numerous exceptions to the rule of acoustic distinctivity. To explain what could appear as an exception, we called on the visual modality, a track little explored in phonology. Indeed, bimodality in speech lies at the center of numerous studies in speech perception and production, aiming at better understanding how a speaker talks by coordinating his/her articulators, some of them being totally or partially visible, and at extracting information from this visibility. If one takes into account the results of phonological development and of confusions made by blind subjects, by deaf subjects and -rare but well real cases- deaf-blind subjects who perceive speech trough the touch of the interlocutors vocal tract (TADOMA method), it really seems that consonantal systems have also evolved on the basis of a distinctivity that is not only acoustic but bimodal.

 

David Gaatone : L’exception comme empreinte de l’histoire dans la langue (p. 191)

resume : Le terme "exception" véhicule d’une part le sens de "anormalité, irrégularité", et de l’autre, au plan quantitatif, celui de "marginalité". L’exception présuppose la règle. Est exception un élément qui, tout en partageant avec d’autres des traits déclenchant un certain comportement, se soustrait à celui-ci. L’exception, si elle peut paraître parfois un aveu d’échec du linguiste, est inhérente aux langues humaines naturelles. Celles-ci, en effet, sont inscrites dans l’histoire et l’évolution linguistique laisse nécessairement des résidus, tels que, en morphologie, les verbes irréguliers, en phonétique et syntaxe, les phénomènes de jonction (liaison, élision, supplétion), dans le lexique, les expressions figées. C’est donc par la non-productivité, l’imprévisibilité, qu’il convient de caractériser l’exception, plutôt que par un critère quantitatif.

abstract : The term "exception" refers, on the one hand, to "abnormality, irregularity" and, on the other hand, from a quantitative point of view, to "marginality". "Exception" implies "rule". A linguistic element is an exception to a rule if, while sharing with other elements features triggering a certain behaviour, it does not abide by that behaviour. Although an exception may appear sometimes as no more than the admission by the linguist of his failure to formulate a rule, one should recognize that it is inherent in human natural language, which is a historical object and, as such, necessarily carries with it a more or less large amount of residues, inherited from different periods of its history. Examples in French are, in morphology, irregular verbs, in phonology and syntax, junction phenomena (such as: liaison, élision, supplétion), and idioms in the lexicon. Exception seems therefore to be better characterized by unproductiveness and unpredictability, than by a quantitative criterion.

 

Colette Feuillard : L’exception : un concept linguistique? (p. 199)

resume : Une fois la notion définie, l'objectif de l'étude consiste à examiner si l'exception correspond à un fait de langue inhérent au système, ou si elle résulte de l'analyse, le modèle théorique choisi ou l'application qui en est faite ne permettant pas de rendre compte du fait considéré, ce que tendent à confirmer les exemples observés. Le problème de la validité de la notion en linguistique se trouve ainsi posé.

abstract : After defining the notion, this study proposes to examine if the exception corresponds to a fact of language inherent to the system, or if it results from the analysis, supposing that the theoretical model chosen or its implementation do not make it possible to account for the fact at stake, which the examples considered tend to confirm. The question of the validity of the notion in linguistics is thus raised.

 

Michel Maillard : "Une Histoire d’O" ou La revanche des grands-mères (p. 207)

resume : Cet article concerne principalement une exception phonologique portugaise : la paire minimale avô/avó [?Èvo] / [?Èv] "grand-père" / "grand-mère", presentée dans le cadre d’une approche contrastive du portugais et des autres langues romanes.

On propose également d’établir de nouvelles relations entre cette exception phonique et d’autres unités linguistiques lusitaniennes, à differents niveaux - morphologique, syntaxique et sémantico-référentiel. En ce qui concerne le premier niveau, nous soulignons l’"exotisme" paradoxal des formes familières avô/avó. Sur un plan syntaxique, nous remarquons une syllepse de genre dans le SN os avós "les grands-parents", dont l’article masculin est en discordance avec la forme féminine de avós. Au niveau sémantique, nous soulignons l’usage hypéronymique du féminin, fait extrêmement rare dans les langues à genre grammatical, spécialement dans les langues romanes.

Pour finir, nous montrons que le couple "irrégulier" avô/avó est "régularisé" à un niveau plus élevé du système linguistique en devenant le constituant de base d’un microsystème très productif : le réseau des ascendants de EGO, un champ lexical beaucoup plus complet, économique et "régulier" que celui des autres langues romanes.

 

Abstract : This paper chiefly deals with a Portuguese phonological exception: the minimal pair avô/avó [?Èvo] / [?Èv] "grandfather" / "grandmother", presented within the scope of a contrastive approach between Portuguese and other Romance languages.

It is also aimed at establishing new relations between this phonic exception and other Portuguese linguistic units, on different levels - morphological, syntactical and semantico-referential. Concerning the first one, we emphasize the paradoxical "exoticism" of familiar forms such as avô/avó. On a syntactic level, we realise a gender syllepsis in the NP os avós "the grandparents", whose masculine article disagrees with the feminine form avós. As far as semantics is concerned, we point out the hypornymic use of the feminine, which is extremely rare in languages with grammatical genders, especially in Romance ones.

Finally we show how the "irregular" couple avô/avó is "ruled-based" at a higher level of the linguistic system, by forming the basic constituent of a very productive microsystem: the network of EGO’s family ascendants, indeed a much more complete, economical and "regular" lexical field than the one in other Romance languages.

 

Maria Elisete Almeida : La double tendance du portugais européen actuel à l’oxytonisation et à la monosyllabation (p. 215)

resume : Cet article traite du problème de l’exception dans une perspective contrastive français/portugais, en mettant en rapport, chaque fois que c’est possible, les niveaux phonique, syntaxique et sémantique car nous pensons qu’un certain nombre d’irrégularités syntaxiques apparentes, en portugais moderne, trouvent une explication phonétique.

Au plan phonétique, nous montrons que l’oxytonisation des mots portugais, considérée classiquement comme exceptionnelle, est en progression rapide et rapproche le portugais du français. Ceci a des incidences importantes sur la morphosyntaxe puisque l’appel au pronom personnel de conjugaison, considéré jadis comme une exception, est en train de se généraliser en portugais comme ce fut le cas jadis en français.

abstract : The double trend in contemporary European Portuguese on tonic and monosyllabic stressing process

This paper focuses on the problematic raised by exceptional matters within a French/Portuguese contrastive perspective, by drawing a comparative frame of reference on the phonetic, syntactic and semantic levels whenever possible. Thus, it is our belief that a certain number of seemingly apparent syntactic irregularities in current Portuguese may found a phonetic grounding.

On the phonetic level, it is our aim to show that tonic stressing in Portuguese words, conventionally envisaged as exceptions to the rule, is on a fast evolution and has brought the Portuguese in closer relation with the French language. The latter entails important incidences on morphosyntax since the emphasis on the conjugated personal pronoun, formerly deemed an exception, is about to become of general use in Portuguese in as much as it had happened before in French.

 

4. De l’"erreur" et de l’analogie

Homa Lessan-Pezechki : Un médiatif d’exception (p. 219)

 

 

Irina Vilkou-Poustovaïa : L’exception en phonologie fonctionnelle (p. 227)

resume : Le calcul phonématique se heurte en phonologie fonctionnelle à deux types de cas rebelles : ou bien on ne sait pas de quel phonème il s’agit, dans une position neutralisée, ou bien il est difficile de trancher en faveur d’un phonème ou de deux phonèmes, par rapport à un segment sonore particulier. Cet article se propose d’abord de montrer que la neutralisation n’est qu’une conséquence logique de la définition du phonème : si la marque d’opposition est absente, alors que c’est bien elle qui définit le phonème, ce dernier n’est plus identifiable. Dans le cas du mono-/polyphonématisme, du moins concernant les groupes complexes de sons, comportant du timbre, comme c’est le cas en russe et en roumain, le calcul semble être plus complexe. La présentation des théories qui se sont farouchement affrontées à ce sujet permet de s’apercevoir que la phonologie de Saussure, longtemps inconnue sinon ignorée par la communauté linguistique, propose un cadre d’analyse plus adéquat, se rapprochant quelque part d’une certaine démarche phonétique, au détriment du calcul phonématique, traditionnel.

abstract : In functional phonology, the phonemic calculation comes up against two types of rebellious cases: either you do not know which phoneme it is about, in a neutralised position, or you can hardly decide in favour of one phoneme or two phonemes, in relation to a particular voiced segment. This article primarily sets out to show that neutralisation is only a logical consequence of the definition of the phoneme: if the opposition mark is missing, although it actually defines the phoneme, you can no longer identify the phoneme. In the case of mono/polyphonemicism, at least as far as the complex sound groups – those involving timbre, as in Russian or Romanian – are concerned, the calculation seems to be more complex. The presentation of the theories that have been clashing on this subject leads to the conclusion that Saussure's phonology, which has been unknown to or disregarded by the linguistic community for a long time, proposes a much more appropriate analytical frame, close in a way to a certain phonetic approach, to the detriment of the traditional phonemic calculation.

 

María Isabel González Rey et Montserrat López Díaz : De l’opacité des séquences figées comme exception sémantique (p. ) (p. 239)

resume : Si on considère l’exception comme ce qui est en dehors du général et du commun, l’opacité sémantique de certaines séquences figées peut être étiquetée comme une exception à la compositionnalité et à la transparence du signifié. Les séquences figées opaques sont, en fait, exceptionnelles à double titre, quantitativement et qualitativement. Du point de vue quantitatif, elles sont moins fréquentes que celles à sens propre et surtout que celles à sens figuré. À la suite de dénombrements qui ont été effectués les cas de signifié opaque s'avèrent peu nombreux (Croft, 2001 : 183; Gross, 1996 : 40), les séquences figées à sens figuré étant les plus habituelles (Schapira, 1999 : 11). C’est pourquoi on catalogue les séquences opaques comme sporadiques et périphériques. Du point de vue qualitatif, lorsqu’on les interprète elles sortent du cadre déductif habituel, de telle façon que leur sens particulier demande à être mémorisé. Il est perçu comme illogique en raison du manque de rapport entre signifiant et signifié du fait qu’en général il est redevenu démotivé après avoir passé par un stade de motivation. De ce fait, les séquences opaques ont récupéré, de par l'oubli de leurs origines, leur arbitrariété. Le signe linguistique est arbitraire tant qu'il est pris isolément. Mais son emploi dans la composition des mots ou dans la construction des phrases le soumet aux lois de la dépendance morphosyntaxique et sémantique imposées par son entourage, et de ce fait, il devient motivé. Comme élément nécessaire à une structure, il conditionne à la fois qu'il est conditionné non seulement par les autres éléments mais aussi par toute modification introduite dans l'ensemble. Or, quand on oublie la raison pour laquelle cet élément est là, l'opacité du sens, en l'occurrence dans les séquences figées, entraîne sa démotivation.

Abstract : If exception is considered as everything that does not follow the general and common rules, the semantic opacity of some idioms can be defined as an exception to compositionality and semantic transparency. In fact, opaque frozen sequences are doubly exceptional, quantitatively and qualitatively. From a quantitative point of view, they are less frequent than those with their own meaning and, above all, than those with a figurative one. Through collected data, it is known that the opaque cases are very few (Croft, 2001 : 183; Gross, 1996 : 40), whereas the figurative ones are the most usual of them all (Schapira, 1999 : 11). That is why opaque sequences are classified as sporadic and peripheric. From a qualitative point of view, when fixed phrases are interpreted, they leave their usual deductive frame, so that their particular meaning must be memorized. This sense is considered illogical because of the lack of relationship between significant and meaning due to the fact that it became unmotivated after being motivated. Consequently, frozen phrases are arbitrary again, because of their forgotten origins. The linguistic sign is arbitrary when taken isolated. But its use in word composition or in phrase constructions puts it under the laws of the morphological, syntactic and semantic dependance imposed by its environment, and so it becomes unmotivated. Like a necessary element in a structure, it conditiones at the same time as it is conditioned by the other elements, but also by every modification introduced into the whole system. However, when the reason why that element is there is forgotten, the semantic opacity, eventually in fixed phrases, leads it to its unmotivation.

 

Nicolas Ballier : De l’exception à la régulation des exceptions pour la phonologie de l’anglais : d’un système de métarègles? (p. 245)

 

 

Franck Zumstein : De la règle à l’exception et de l’exception à la règle : le cas des variantes accentuelles et segmentales du lexique de l’anglais britannique contemporain (p. 255)

Résumé : Cet article se veut être l’amorce d’une réflexion sur le statut de la variation accentuelle et segmentale par rapport à la paire règle / exception dans le cadre d’une phonologie du lexique de l’anglais britannique contemporain. Dans chacun des cas, les analyses d’exemples montrent que les représentations issues de ce phénomène sont les résultats de conflits de règles dans un état de langue donné. Selon la logique ou le point de vue adopté, ces représentations naviguent entre les statuts d’exception et de régularité. Elles nous renseignent ainsi sur les changements en cours dans la langue anglaise.

Abstract : This paper briefly examines the phenomenon of stress and segmental variation within the framework of a lexical phonology of present-day British English. Its status is accounted for in relation to the rules and exceptions which make up the pronunciation system. Two case studies show that variant forms are produced by conflicting rules in the language. Whether a variant form follows the rule or is an exception to the rule depends on the point of view or logic taken into account. It is thus argued that stress and segmental variations inform us on the nature of the changes currently taking place in the English language.

 

Catherine Chauvin : Des débats aux textes publiés (p. 259)

Résumé : Cet article propose une synthèse des débats ayant accompagné la préparation du numéro. On y montre entre autres que la notion d’exception est abordée parfois en relation avec la norme, parfois en relation avec le nombre. Deux grands types d’approche, descriptive (exceptions internes à la langue), ou épistémologique (l’exception comme outil dans la construction d’hypothèses) sont également récurrents. On relève certains points de tension cristallisés autour de la notion d’exception, comme le rapport avec la fréquence. L’évaluation de l’exception n’est par ailleurs pas, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, négative. Enfin, un certain nombre de participants s’accordent pour voir dans les approches multifactorielles une solution pour réduire, voire peut-être à long terme, supprimer, le champ d’application de l’exception.

Abstract : In this paper, we try to summarize the debates that took place in the conference that was held while preparing this issue. We show that there seemed to be two different (sometimes coming into contact) ways of using exception: in relation to number vs. in relation to a rule or norm; there was also a possibility of taking the term “descriptively” (presence or absence of exceptional cases within a given language) or epistemologically (how exceptions can be used in the process of describing language). We also point out certain paradoxes and/or oppositions. For reasons we also try and examine, exceptions were not necessarily valued negatively. Multiple-factor approaches, providing an alternative to the exception/ rule dichotomy, were also regularly proposed as a means to eliminate part of, perhaps eventually all, exceptional cases.

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