n°s 35-36 : Linguistique de terrain sur langues en danger : Locuteurs et linguistes

 

Résumés / Abstracts


Hommage à Naïma Louali

Préface : Vie et mort des langues : par Claude Hagège (p. 7)

Présentation générale : par Colette Grinevald (p.11)

1. LED : Terrains Théorie Méthodologie

Colette Grinevald et James Costa : Langues en danger : le phénomène et la réponse des linguistes (p. 23)

RESUME : Cet article introductif relate la manière dont le thème des langues en danger a émergé comme champ de la linguistique dans les années 1980, et comment il en est arrivé à une reconnaissance internationale au cours des années 1990 et 2000. Il est écrit à la fois d’un point de vue de l’intérieur, l’une des co-auteurs ayant participé de manière décisive au développement du champ, et de l’extérieur, l’autre co-auteur étant un sociolinguiste ayant récemment soutenu sa thèse. L’article présente enfin les diverses manières dont linguistes, sociolinguistes et anthropologues ont réagi face à l’amplification du phénomène des langues en danger à travers le monde.

ABSTRACT : This introductory article deals with the way in which language endangerment emerged as a field of linguistics in the 1980s, and how it grew to be recognised worldwide through the 1990s and the 2000s. It presents both an inside perspective, as one of the co-authors was instrumental in the development of the field, and an outside view by a junior sociolinguist. The article finally presents the various ways in which linguists, but also sociolinguists and anthropologists have responded to the growing phenomenon of language endangerment throughout the world.

Colette Grinevald : Quarante ans de perspective sur deux langues en danger : le jakaltek popti’ du Guatemala et le rama du Nicaragua (p. 39)

RESUME : Cet article met en parallèle les évolutions du monde de la linguistique et celles de deux terrains en Amérique Centrale, sur quarante ans de carrière académique. Il montre dans quels contextes sociopolitiques a émergé la thématique des langues en danger autour de l’année 1992, sur le continent américain, en écho au vaste mouvement de protestation des populations indigènes. L’article évoque les passés récents tumultueux des deux pays et le changement de statut de leurs langues ethniques. Il décrit le contraste entre les conditions d’un travail de terrain, sur le jakaltek popti’, langue du Guatemala qui semblait vivace, avant guerre interne et "violencia" des années 80, et les nouvelles conditions, vingt ans plus tard, après les Accords de Paix et la reconnaissance de toutes les langues mayas, dans un contexte de revitalisation nécessaire pour la langue devenue très en danger. Il note un contraste similaire entre les débuts du travail de terrain pendant les mêmes années 80, au Nicaragua, dans le cadre de la Révolution sandiniste et de la guerre de la Contra, et la situation consécutive au nouveau statut d’Autonomie régionale marquant la reconnaissance de toutes les langues ethniques. Il décrit l'évolution de la situation du rama, une langue autrefois très dévalorisée et presque abandonnée, et le développement d’un projet de description et de revitalisation, motivé par des raisons identitaires dans une première phase, puis comme soutien à la défense d’un territoire aujourd’hui. Dans les deux cas, l’article évoque comment des réseaux de linguistes se sont organisés pour répondre aux défis des descriptions des langues de ces pays et aux demandes de leurs communautés linguistiques.

ABSTRACT : This article retraces in parallel ways the evolutions of the discipline of linguistics and that of two field situations in Central America over a forty year academic career. It shows the socio-political contexts in which the theme of language endangerment emerged around 1992 on the American continent echoing a vast movement of indigenous protest. The article evokes the tumultuous recent past of the two countries and the changing status of their ethnic languages. It describes the contrast between the conditions of fieldwork in Guatemala on Jakaltek Popti’ an apparently vital language before the internal war and the violencia of the 80ies, with the new conditions twenty years later after the Peace Accords and the recognition of all the Mayan languages, in the context of the revitalization of the same language now very endangered. It makes a similar contrast between the origins of a fieldwork project in Nicaragua at the time of the Sandinista Revolution and the Contra war during the same 80ies at the time of the establishment of Regional Autonomy granting recognition to all its ethnic languages. It describes the evolution of the status of Rama a very devalued and agonizing language, and the development of description and revitalization project motivated by ethnic identity issues in a first phase, then as support for the defence of a territory. In both cases, the article evokes how networks of linguists were organized to respond to the challenge of the description of the languages of these countries and the demands of their linguistic communities

Michel Bert : Qui parle une langue en danger ? Locuteurs de francoprovençal et d’occitan en région Rhône-Alpes (France) (p. 79)

RESUME : En France, le francoprovençal est aujourd’hui dans une situation critique : le nombre de locuteurs diminue et la langue n’est plus transmise aux enfants depuis au moins deux générations. Cet article retrace 20 ans de travail de terrain sur cette langue, depuis une première étude en maîtrise dans les années 1980, qui décrivait un parler local, jusqu’à un rapport récent piloté par l’auteur, réalisé à la demande de la Région Rhône-Alpes pour obtenir un tableau de la vitalité sociolinguistique des deux langues régionales parlées sur son territoire, le francoprovençal et l’occitan, afin de mettre en place une politique linguistique en leur faveur. L’article dresse le portrait de locuteurs de profils très différents, décrit le type de travail qu’il a été possible de réaliser avec eux, et montre les difficultés liées à la diffusion des données recueillies auprès d’eux.

ABSTRACT : Francoprovençal, a minority language spoken in France, is now in a critical position: its number of speakers is dwindling, and it has not been passed on to children for at least two generations. This article recounts twenty years of fieldwork with speakers of the language, from a BA dissertation in the 1980s, which described a local variety, to a recent report for the Regional government in Rhône-Alpes coordinated by the author. The report aimed at describing the sociolinguistic vitality of the two regional languages spoken in the regional territory, Francoprovençal and Occitan. It was to serve as a basis for local government language policy plans. The article describes two very different types of speakers, and recounts the type of work the author completed with each of them. Finally, it discusses the difficulties encountered when publishing data collected with those speakers.

Michel Bert et Colette Grinevald : Proposition de typologie des locuteurs de LED (p. 117)

RESUME : Dans les contextes spécifiques de langues en danger, les linguistes sont contraints de travailler avec des locuteurs de profils très variés. Dans cet article, nous proposons d’établir une typologie de ces profils, modulable en fonction de la vitalité de la langue considérée et des dynamiques de terrain. L’article présente d’abord les finalités possibles d’une typologie de locuteurs, puis, à partir des propositions déjà existantes, il dresse la liste des paramètres à prendre en compte. Différents types de locuteurs sont ensuite décrits. En conclusion, une discussion soulève les problèmes terminologiques et les enjeux éthiques liés à une typologie de locuteurs.

ABSTRACT : Within the specific contexts of endangered languages, linguists need to work with very different types of speakers. In this article, the authors propose a typology of the different types of profiles they encountered. Their proposal can be adapted according to the vitality of the language studied or to the specific dynamics of the field. The article first presents the possible aims of such a typology of speakers, then, drawing on the research already published, addresses the various parameters to be considered. Different types of speakers are then described. The authors conclude with a discussion of terminological problems encountered in French when addressing such questions; they also consider the ethical issues arising from the very constitution of a typology of speakers.

Colette Grinevald : Linguistique de terrain sur deux langues en danger : locuteurs et méthodes (p. 133)

RESUME : Cet article traite de la manière dont les linguistes de terrain travaillent pour collecter les données pour une grammaire de langue à tradition orale.   Il pose de manière contrastive les conditions des enquêtes de terrain et du travail linguistique à proprement parler sur deux langues, le jakaltek popti’ du Guatemala et le rama du Nicaragua. L’article illustre l’adaptation des méthodologies de linguistique de terrain à des situations qui ont beaucoup évolué sur les quarante ans de pratique de terrain de l’auteur. Il considère les différents processus qui ont amené à la grande vulnérabilité de ces langues et les différents contextes de leurs programmes de revitalisation. Il dresse également les portraits de deux locutrices hors pair, linguistes "naturelles" de leur langue, dont les talents ont permis à la linguiste de produire des descriptions fines de leurs langues.

ABSTRACT : This article deals with the way field linguists work to collect data for grammars of oral tradition languages.  It contrasts the field conditions and the linguistic fieldwork proper on two languages, jakaltek popti’ of Guatemala rama of Nicaragua. The article illustrates how linguistic field methodologies had to be adapted to situations that greatly evolved over the forty years of field experience of the author. It considers the different processes that led to the great vulnerability of these languages and the different contexts of their programs of revitalization.  It also offers portraits of two extra-ordinary speakers, natural linguists of their languages, whose talents provided the the linguist with the possibility of producing fine descriptions of the languages.

Marianne Mithun : Merci aux derniers locuteurs pour leur précieuse contribution (pomo central, Californie) (p. 179)

RESUME : Les derniers locuteurs d’une langue sont loin de former une entité homogène : ils diffèrent dans leurs goûts, leurs talents, leurs savoir-faire. Ils peuvent de ce fait apporter des types d’aides très différents aux entreprises de documentation et de revitalisation de langues en danger. Certains possèdent un riche répertoire lexical, d’autres des compétences interactionnelles particulières. Certains sont de bons conteurs, d’autres sont de fins connaisseurs des variations de sens subtiles entre différents mots ou expressions. Dans cet article, nous exposons une histoire qui relate le travail d’un groupe de locuteurs du pomo central, une langue indigène du nord de la Californie.

ABSTRACT : The last speakers of a language can vary widely in their interests, talents, and abilities. They can, accordingly, offer a wide range of contributions to language documentation and revitalization projects. While some may have rich vocabularies, others may be talented at animating lively conversation. While some may be gifted storytellers, others may have a fine sense of shades of meaning and be able to articulate these well. Here a story is told of the work of a core of speakers of Central Pomo, a language indigenous to Northern California.

Nancy Dorian : Les embûches de la documentation. Aspirations et réalités (gaélique écossais, Highlands d’Ecosse) (p. 189)

RESUME : Dans cet article, N. Dorian traite d'un cas d'hétérogénéité linguistique foisonnante, présentant d'importantes variations individuelles au sein d'une communauté linguistique minoritaire pourtant très homogène, sans classes sociales différenciées. L'article propose d'expliquer pourquoi ce type de données linguistiques n'apparaît pas dans la littérature scientifique en linguistique descriptive. L’auteure montre que le choix de pratiques de terrain particulières peuvent favoriser un certain type d'informateur, et donc la collecte de certaines données plutôt que d’autres, et discute les conséquences de tels choix.

ABSTRACT : Encounters with linguistic data of a type unanticipated in the literature (linguistic heterogeneity in the form of rampant, socially neutral, individual variation within a small, unusually homogeneous, face-to-face, and single-class minority-language community, in the case dealt with here) raises questions about what may have caused similar data from similarly structured minority-language speech communities to go unrecognized in field linguists’ descriptive records. Established fieldwork practices that favor consultants of certain types over others, favor some kinds of data over others, and exclude some kinds of data are identified and their effects discussed.

James Costa : Des derniers locuteurs aux néo-locuteurs : revitalisation linguistique en Europe (p. 205)

RESUME : Cet article s’intéresse à la problématique de la revitalisation linguistique, d’abord d’un point de vue de politique linguistique en Europe puis en France, puis du point de vue des pratiques. Pour cela, l’auteur, aujourd’hui chargé de recherche à l’Institut National de Recherche Pédagogique (ENS de Lyon), analyse sa propre expérience d’enseignant d’occitan en Provence, considérée comme une forme particulière de travail de terrain.

ABSTRACT : This article deals with some questions linked to the theme of language revitalisation in Europe and in France. It first takes the point of view of language policy, proposing an overview of the diversity of linguistic situations in Europe, and then from a more situated point of view. In order to do this, the author, now a researcher at the National Institute for Research in Education (ENS de Lyon), looks back at his own experience as an Occitan language teacher in Provence.

2. Récits de terrains d’Amériques, d’Afrique et d’ailleurs

Section A : langues d’Amériques

Ana María Ospina Bozzi : Chez les Yuhup, nomades de Colombie (p. 225)

RESUME : Cet article met en valeur le poids des éléments contextuels et historiques, et des forces sociales et culturelles qui ont agit sur la vie du peuple yuhup (l’un des six peuples à tradition nomade du nord-ouest amazonien), afin d’évaluer le danger de disparition de sa langue. On présente le contexte des peuples nomades, l’histoire du peuple yuhup, et une évaluation sur la vitalité de la langue. Cette langue (famille macú-puinave) est parlée par environ cinq cent cinquante personnes localisées sur les territoires compris entre les rivières Apaporis et Tiquié, à la frontière entre la Colombie et le Brésil. Sur la base d’une description de l’expérience sur le terrain on souligne l’importance des facteurs qui entourent la réalisation d’une recherche linguistique dans un milieu difficilement accessible et dans le contexte d’une crise socioculturelle. On propose quelques résultats d’une réflexion sur les rapports entre linguistes et locuteurs des langues étudiées, ainsi qu’autour du travail linguistique de documentation des langues en danger.

ABSTRACT : This paper assesses contextual and historical factors together with social and cultural forces which impact the life of the Yuhup (one of the North-Western Amazon region’s six nomadic peoples), with an aim at evaluating the degree in which their language might be endangered. We present the context for the region’s nomadic peoples, the history of the Yuhup, and an evaluation on their language’s vitality. This language (makú-puinave family) is spoken by about five hundred persons who dwell between the Apaporis and the Tiquié rivers, on the borderline between Colombia and Brazil. Based on a description of the author’s own fieldwork experience, notice is given of the importance of factors that prevail as conditions under which such a linguistic research is carried out: a hardly accessible environment and a context of socio-cultural crisis. Some results are forwarded of an ongoing reflection concerning the relations between linguists and speakers of studied languages, as well as on the linguistic documentation work on endangered languages.

Françoise Rose : Dialectes en danger : les derniers locuteurs du mojeño javeriano de Bolivie (p. 255)

RESUME : Lors de l'étude sur le terrain du mojeño trinitario en Amazonie bolivienne, une première évaluation de la variation dialectale entre les quatre dialectes du mojeño (le trinitario, l'ignaciano, le loretano, le javeriano) a été menée. Les deux premiers dialectes sont encore bien vivaces, le troisième déjà éteint, et le quatrième n'est plus connu que de quelques locuteurs. Ce chapitre veut rendre compte d'une situation de première enquête du dialecte moribond javeriano, sur fond d'expérience préalable d'un dialecte de la même langue maîtrisé par plusieurs milliers de locuteurs, le trinitario. La situation de dialecte en danger, voisin d'un autre dialecte de la même langue au statut dominant, s'est traduit lors de la collecte des données par l'insécurité des locuteurs, et a suscité chez la linguiste un questionnement sur la fiabilité des données.

ABSTRACT : While doing fieldwork on Mojeño Trinitario in Amazonian Bolivia, I completed a first evaluation of the dialectal variation between the four dialects of Mojeño (Trinitario, Ignaciano, Loretano and Javeriano). The former two dialects are still actively spoken, the third one is already extinct while the latter is known only by a few speakers. This chapter tells about a first fieldwork experience on the dying Javeriano dialect, building on prior experience with Trinitario, a close dialect of the same language spoken by thousands of people. Working on an endangered dialect, geographically close to another dialect of the same language with a higher status, resulted in speaker’s insecurity during data collection and in the linguist’s questioning of the reliability of the data she had collected.

Antoine Guillaume : Documentation du reyesano de Bolivie : portraits des derniers locuteurs (Bolivie) (p. 265)

RESUME : La documentation d’une langue est une tâche complexe qui implique plusieurs phases, allant de la collecte de données sur le terrain, jusqu’à leur archivage, en passant les divers stades de transcription, de traduction, d’annotation et de mise en forme. La phase de collecte des données, surtout lorsqu’elle s’effectue auprès de locuteurs de langues en danger, peut être l’une des étapes les plus compliquées et aléatoires d’un projet de documentation, du fait que dans ces situations, il n’y a souvent qu’un nombre très réduit de locuteurs, que ces locuteurs sont généralement âgés et de santé fragile, qu’ils ont souvent des attitudes très variables et parfois ambivalentes envers leur langue, et que leur maîtrise de la langue est souvent imparfaite. Dans cet article je relate mon expérience de terrain auprès des derniers locuteurs du reyesano, une langue moribonde de l’Amazonie bolivienne, dans le cadre d’un projet de documentation financé par le programme des langues en danger de la fondation Hans Rausing de la SOAS à l’Université de Londres. Je présente la communauté linguistique reyesano à travers ses derniers locuteurs et je montre comment la prise en compte de la grande variabilité qui existe entre eux est un des facteurs cruciaux de la réussite du projet.

ABSTRACT : Language documentation is a complex task that implies several phases, from the collection of the data in the field to their archiving, through the different stages of transcription, annotation and formatting. The data collection phase, in particular when it is done with speakers of endangered languages, can be one of the most complicated and unpredictable part of a documentation project, due to the fact that in these situations, typically, there is a very small number of speakers, that these speakers are old and fragile, they have unexpected and ambivalent attitudes toward their language, and that their mastery of the language is imperfect. In this article, I relate my field experience with the last speakers of Reyesano, a moribund language from Amazonian Bolivia, in a documentation project funded by the Hans Rausing Endangered Languages Documentation Programme from SOAS at the University of London. I present the Reyesano community through its last speakers and I show that the taking into account of the great variability that exists among them is a crucial factor in the success of the project.

Ana Kondic : Travail de documentation d’une langue en danger : le huastèque de San Francisco (Mexique) (p. 287)

RESUME : Cet article relate une première expérience de travail de terrain sur la langue huastèque de San Francisco Chontla parlée au nord-est du Mexique. Ce projet de documentation a été réalisé auprès d'une cinquantaine de locuteurs différents pour collecter, dans le contexte naturel de la langue, des données diversifiées révélant toutes les variétés possibles de la parole. L'article décrit les données collectées ainsi que les attitudes des locuteurs, peu sensibles à la menace qui pèse sur leur langue.

ABSTRACT : This article tells about a first experience doing fieldwork on Huastec of San Francisco Chontla, a language spoken in the Northeast of Mexico. This fieldwork was part of a documentation project that involved 50 different speakers. The recordings were done in a natural context in order to collect data representing variation in language use. This article describes the data and the attitude of speakers, many of whom were not fully aware of the language's endangered status.

Connie Dickinson : Quand les Tsachila (Equateur) eux-mêmes documentent leur langue et leur culture (p. 303)

RESUME : Cet article présente le cas d'un projet de documentation d'une langue menacée, la langue tsafiki d'Equateur, financé par la fondation Volkswagen. Le récit de cette expérience montre qu’une entreprise de documentation réalisée de manière collaborative, dans laquelle les locuteurs eux-mêmes contrôlent et effectuent la majeure partie du travail, est non seulement plus efficace et moins coûteuse, mais que cela augmente de beaucoup la qualité et la quantité des données recueillies tout en ayant des répercussions favorables en termes de maintien de la vitalité de la langue et de sa revitalisation.

ABSTRACT : This article deals with an endangered language documentation project centered around the case of Tsafiki in Ecuador, a project financed by the Volkswagen Foundation. This article shows that a collaborative documentation enterprise, in which speakers themselves control and complete most of the work is not only more efficient and less expensive, but also that the quality of the data collected is greatly enhanced while still bearing favourable repercussions in terms of language maintenance and revitalisation.

Scott DeLancey : Les langues d’Oregon : derniers locuteurs et revitalisation (p. 323)

RESUME : Les langues indiennes d’Orégon (ouest des Etats-Unis) ont presque toutes disparu. Beaucoup sont totalement éteintes; quelques-unes sont encore parlées par un faible nombre de locuteurs âgés. La disparition de ces langues a des causes multiples, mais elle résulte pour une large part d’une politique gouvernementale délibérée. Dans ce chapitre, nous évoquerons les derniers locuteurs de ces langues aujourd’hui décédés, nous honorerons ceux qui sont encore vivants, et nous décrirons certaines tentatives menées par des locuteurs et des linguistes pour tenter de préserver les dernières langues indiennes d’Orégon.

ABSTRACT : The Native languages of Oregon, in the western United States, are almost all gone. Most are completely extinct; a few are still spoken by a small number of elderly speakers. The loss of these languages has many causes, but in large part is a result of intentional government policies. In this chapter we recall some of the last speakers of languages now lost, honor the last speakers who are still living, and describe some of the attempts being made by speakers and linguists to try to preserve the last native languages.

Section B : Langues d’Afrique

Sophie Manus : Le símákonde des communautés d’origine mozambicaine en Tanzanie : entre conservatisme linguistique et échec de la transmission (p. 335)

RESUME : Mon témoignage retrace quinze ans de travail de terrain au sein de communautés makonde d'origine mozambicaine installées en Tanzanie, depuis le moment où j'ai découvert leur existence en 1993 jusqu'en 2008. Ces communautés bilingues immigrées sont le jeu d'un double mouvement paradoxal puisque, bien qu'étant remarquablement conservatrices, elles assistent malgré tout - impuissantes - à une diminution sans précédent de la transmission intergénérationnelle de leur langue et de leur culture pourtant si jalousement préservées.

ABSTRACT : My text recounts fifteen years’ fieldwork among Makonde communities originally from Mozambique but currently living in Tanzania. This article begins with the moment when I found out about their existence in 1993 up until 2008. Those migrant bilingual communities are confronted with a double, paradoxical, movement: although outstandingly conservative, and while they remain staunchly attached to their language and culture, they nevertheless witness, powerless, a modification in the intergenerational transmission patterns of their language, one leading to gradual language shift.

Alain-Christian Bassène : Perte de vitalité du jóola banjal (Sénégal) : révélations d’un linguiste locuteur (p. 363)

RESUME : Cet article présente l’histoire d’un jeune linguiste qui jette un regard sur sa langue maternelle, le jóola banjal. Après une brève présentation de ses premiers contacts avec cette langue, mais également d’autres langues utilisées dans son environnement, il parle de sa prise de conscience de la situation de langue en danger du jóola banjal et propose des moyens afin de préserver cette langue ou à défaut de retarder sa disparition.

ABSTRACT : This article presents the history of a young linguist who looks at his native tongue, Jóola Banjal. After a short presentation of his first contacts with this language, but also with other languages spoken in his environment, he speaks about his awakening of the situation of endangerment which characterises Jóola Banjal, and then suggests some possibilities for action in order to preserve this language or to delay its death.

Pascale Paulin : En quête du locuteur baka idéal au Nord Gabon (p. 373)

RESUME : C’est lors d’un premier terrain au Gabon que j’ai fait la rencontre des Baka, peuple de chasseurs-cueilleurs, encore en partie nomade, localisés au nord du pays. Cette communauté minoritaire, faisant l’objet d’une sédentarisation imposée, risque rapidement de perdre ses spécificités linguistiques (langue oubanguienne) et culturelles au profit de celles de la population bantu voisine : les Fang. Dans un des villages baka, il s’est trouvé un jeune homme très curieux de la "rencontre" et désireux de travailler avec des linguistes. Celui-ci s’est avéré un excellent informateur non seulement de sa langue mais également de sa culture, et il est devenu, d’autant plus rapidement, mon informateur de référence qu’il était capable de faire le lien entre les différentes générations en présence, profitant ainsi du savoir des Anciens. Le travail qui a déjà pu être accompli au sein de cette communauté est essentiel et ne doit être considéré que comme le début d’un projet de documentation plus vaste des pratiques linguistiques et culturelles menacées des Baka du Nord Gabon.

ABSTRACT : I first met the Baka (a partly nomadic people of hunter-gatherers) when completing my first fieldwork in Northern Gabon. This minority community, in the process of being settled by the government, might be losing its linguistic and cultural characteristics very fast in the process of adopting the neighbouring language, Fang. In one Baka village, I met a young man who became very interested in working with linguists. He became an excellent informant, not only linguistically but also culturally. Being also able to connect various generations of speakers together, he quickly became my reference informant. The work he completed in his community can only be considered as the beginning of a larger documentation project for the threatened cultural and linguistic practices of the Baka in Northern Gabon.

Lolke J. Van Der Veen : "Le Dictionnaire" de la langue geviya au Gabon (p. 387)

RESUME : L’article présente les conditions de réalisation d’un documentaire sur la communauté ethnolinguistique eviya du Gabon et sur le travail d’élaboration d’un dictionnaire scientifique pour cette communauté. Ce dernier est le fruit d’un travail entre Sébastien Bodinga-bwa-Bodinga, lexicographe amateur et locuteur du geviya, et Lolke van der Veen, enseignant-chercheur et linguiste spécialisé dans la description des langues du Gabon. L’article dresse également un profil détaillé de Sébastien Bodinga, comme l’un des derniers locuteurs d’une langue très fortement menacée de disparition.

ABSTRACT : This article presents the making of a documentary film about the Eviya community of Gabon and the slow process of working out a dictionary for this ethnolinguistic community using scientific standards. This dictionary is the results of a longstanding collaboration between Sébastien Bodinga-bwa-Bodinga, amateur lexicographer and speaker of the Geviya language, and Lolke van der Veen, linguist specialized in the description of the languages of Gabon. The article also provides a detailed profile of Sébastien Bodinga as one of the last speakers of a severely endangered language.

Hadrien Gelas : Enquête auprès d’un locuteur du Gisir (Gabon) à Lyon : réflexion sur l’origine de la variation (p. 401)

RESUME : Lors d’un cursus universitaire en linguistique, une première approche du terrain a été effectuée. Portant sur le système verbal du gisir, langue bantu (B40) parlée au Gabon, cette première étude a eu lieu dans ma ville, en France, avec un locuteur doctorant en anthropologie. Ce chapitre veut rendre compte de cette situation particulière, différente de terrains plus traditionnels. Il présente d’abord brièvement mon cursus universitaire, mais surtout, le profil du locuteur. Ensuite, il est décrit l’impact de son propre statut de locuteur sur les données recueillies. Et finalement, une discussion avec le locuteur sur des questions amenées par la relation entre le locuteur et le linguiste est présentée.

ABSTRACT : Fieldwork is a mandatory experience in the course of linguistics training at the University of Lyon. My own was centred on the verbal system of a Bantu language (B40), Gisir, spoken in Gabon. This first study took place in my own town in France, with a speaker who was a doctoral student in anthropology. This chapter recounts this specific situation, which is different from traditional fieldwork. It first briefly presents my academic training but then more specifically, the profile of the speaker I worked with. It then describes the impact of his own status as a speaker on the data (and the description). Finally, conversations with the speaker are presented, introduced by an analysis of the relationship between the speaker and the linguist.

Section C : Ailleurs dans le monde

Réjane Vincent-Falquet : Une famille, deux pays, trois langues : une famille immigrante berbère à Lyon (p. 413)

RESUME : Cet article traite des usages et comportements linguistiques des membres d'une famille d’origine berbère ayant vécu plusieurs migrations entre France et Algérie. Il pose la question du rapport liant choix de langue chez les individus plurilingues et définition de leur identité.
Des variations importantes de dynamique des langues chez des individus pourtant liés par une même structure familiale sont observées. Elles nous font nous interroger sur les mécanismes impliquant la perte d’une langue mais surtout sur les effets de cette perte pour l’individu vis-à-vis de sa communauté.
Il est aussi l’occasion d’un questionnement sur le rapport que le chercheur entretient à son terrain d’étude lorsqu’il est plus qu’un observateur extérieur mais un membre à part entière du réseau familial.

ABSTRACT : This article is about linguistic uses and behaviors of a Berber family whose members underwent several migrations between France and Algeria. It analyzes the connection between their language choices and the definition of their identity. Significant variations in language dynamics were noticed between individuals connected by the same family structure. These variations lead us to an examination of the mechanisms involved in the loss of one language, but mostly, the effect of that loss on a person and his relationship with the community.
This article finally raises the question of the attitude of the researcher in the field when he is no longer an outside observer but becomes a member of the family network.

Noëllie Bon : Itinéraires d’une apprentie : en route vers les Stieng (Cambodge) (p. 429)

RESUME : Travailler sur les langues menacées est un métier bien singulier. Qu’est-ce qui motive le choix de ce domaine de recherche si peu commun ? Comment choisit-on une langue en particulier, parmi tant d’autres ? Quel visage peut avoir la toute première rencontre avec les locuteurs de cette langue ? Autant de questions simples auxquelles je me propose de donner une "réponse" possible issue de mon parcours à l’université et ma toute première expérience de terrain au Cambodge, où j’ai pour la première fois rencontré les Stieng et leur langue.

ABSTRACT : Working on endangered languages can be seen from the outside as a peculiar choice. Why choose such an unusual research domain? How does one pick out a particular language to study among so many of them? What happens when one first encounters the speakers of the language? These are very simple questions to which I propose to give a possible "answer", resulting from my academic training and my first fieldwork experience in Cambodia where I met the Stieng people and their language for the first time.

Julien Meyer : La parole sifflée dans le monde : variété des locuteurs et de leurs pratiques (p. 443)

RESUME : Pour communiquer à distance ou dans le bruit, de nombreuses populations ont développé une version sifflée de leur langue locale. Il s’agit d’un véritable style de parole qui rend service lors d’activités vitales de la vie rurale car il pallie l´isolement des individus dans certains biotopes (montagnes, forêts denses). Cette forme de parole est menacée d’extinction dans toutes les cultures qui la pratiquent. Le présent article présente la manière dont s’est déroulée la collaboration de l’auteur avec ses informateurs. Il décrit les profils des locuteurs rencontrés ainsi que leur attitude vis à vis de la parole sifflée et du travail de documentation linguistique. Ensuite, il dresse un bilan de la vitalité des langues sifflées dans le monde. Les facteurs de déclin et de maintien de ces modes de communication sont alors expliqués et illustrés avec les exemples des villages visités.

ABSTRACT : For communications through large distance or noisy environments, several populations have developed a whistled version of their local language. It is a true style of speech which helps during vital activities of rural life because it solves the problem of individuals’ isolation in certain biotopes (mountains and dense forests). This form of speech is threatened by extinction in all the cultures that practice it. The present article shows how the collaboration becomes established between the author and his informants. It describes the profiles of the speakers encountered as well as their attitude towards both whistled speech and the process of linguistic documentation. It then assesses the vitality of whistled languages in the world. Simultaneously, the factors of decline or survival of these modes of communication are explained and illustrated thanks to examples of some of the villages the author visited.

Colette Grinevald : Postface: Cadre institutionnel, financements, remerciements, sitographie (p. 469)

RESUME : La postface de ce volume de Faits de Langues présente tout d'abord l'ancrage de la problématique des langues en danger au laboratoire DDL, à travers divers projets de recherche, des activités de formation, d'expertise, de valorisation académique ou de vulgarisation, et son partenariat avec le programme SOROSORO. Elle explique ensuite comment a été préparé ce volume, les soutiens financiers dont il a bénéficié et remercie les personnes qui ont contribué à sa production. Cette postface se termine par une sitographie conçue comme le partage d’outils de travail des chercheurs de ce volume, donnant accès à de nombreuses ressources (conférences vidéo, atlas interactifs, adresses de fondations ou de centres d'archivages).

ABSTRACT : The afterword to this issue of Faits de Langues begins with a presentation of the endangered languages research question at the DDL laboratory, through various research projects, training activities, expertise, academic valorisation or vulgarisation. It then explains how this volume was prepared, the financial support it received, and thanks those who contributed to its putting together. This afterword ends with a listing of websites used by the researchers of this volume and giving access to numerous resources (video conferences, interactive atlases, addresses of foundations and archiving centers).