n° 53-1 : VariaRésumés / Abstracts

 

Présentation générale par Anaïd Donabédian et Reza Mir-Samii (p. 5)

1. Langues une à une

Agabalian Grigory : « Êtes-vous la victime d’un “isme” ? » : emploi nominal et référentiel du suffixe -isme [“Are you a victim of an ‘isme’ ?” : nominal and referential use of the suffixe -isme] (p. 9)

Résumé : Cet article s’intéresse à l’emploi nominal du suffixe -isme en français, comme dans la phrase « êtes-vous la victime d’un isme ? ». En explorant les données d’un corpus journalistique, nous observons d’abord qu’il existe des occurrences où le suffixe -isme est bien un nom avec un sens référentiel (« référentiel » au sens de désignant un objet extralinguistique), désignant les objets que sont les doctrines, mouvements, religions ou attitudes. Puis, nous observons que, dans son emploi nominal, le suffixe -isme est associé à des réalités axiologiquement négatives (en particulier le conflit). À partir de ces informations, nous essayons de répondre à deux questions : de quoi isme est-il le nom et comment décrire l’évaluation négative qui lui est associée ?

Abstract : This article addresses the nominal use of the suffix -isme in French, as in the sentence “êtes-vous la victime d’un isme ?” (“are you the victim of an ism?”). Using data from a media corpus, first I observe that there are occurrences where the suffix -isme is indeed a noun with a referential meaning (i.e. referring to extralinguistic objects), refering to doctrines, movements, religions or attitudes. Then, I observe that the suffix -isme is associated with axiologically negative realities (especially conflict) in its nominal use. From this information, I try to answer two questions: what is isme the name of and how to describe the negative assessment associated to it?

 

Ramos Sañudo Ana María : Il n'y a pas à dire, un marqueur discursif du refus de contestation [Il n'y a pas à dire, a discourse marker of the refusal of dissent] (p. 45)

Résumé : Ce travail présente une analyse du marqueur il n'y a pas à dire sous différents aspects. D'abord, nous étudions son traitement lexicographique dans neuf dictionnaires et sa présence dans un corpus d'exemples écrits de français contemporain. Ensuite, sont considérées ses propriétés morphosyntaxiques et sémantico-pragmatiques, qui en font un marqueur épistémique du refus de contestation. Il n’y a pas à dire laisse voir que le locuteur considère le contenu énoncé comme quelque chose d'indiscutable : lorsqu'il emploie cette unité, il se protège derrière un savoir censé être partagé par la collectivité à laquelle il appartient pour présenter une affirmation personnelle comme s’il s’agissait de quelque chose de déjà admis, à laquelle on ne pourrait rien objecter. La prise en charge du contenu modalisé par il n’y a pas à dire est ainsi intensifiée, car le locuteur, qui s’engage à l’égard de ce qu’il dit, veut se montrer assertif aux yeux de son interlocuteur pour faire admettre ce contenu.

Abstract : This work presents an analysis of the marker il n’y a pas à dire from different perspectives. First, we study its lexicographical treatment in nine dictionaries and its presence in our corpus of written examples of contemporary French. Then, we consider the morphosyntactic and semantic-pragmatic attributes that make it an epistemic marker of the indisputable. With il n’y a pas à dire speakers consider the enunciative content as something undeniable: by using this linguistic unit they protect themselves behind the knowledge that is supposed to be shared with the community they belong to, so a personal assertion can be presented as if it were something already accepted, to which there could be no objection. The commitment to the content modalised by il n'y a pas à dire is thus intensified, because the speakers, who are committed to what they are saying, want to be assertive in the eyes of their interlocutors in order to have this content admitted.

 

Skaff Rola : Système numéral et Neutralisation du genre numéral en soureth [Numeral system and Neutralization of the numeral gender in Soureth] (p. 63)

Résumé : L'objectif de cet article est de décrire le système numéral dans plusieurs variétés soureth, une des langues modernes issues de la branche orientale de l’araméen, langue sémitique du Nord-Ouest.

Historiquement, elle est parlée en Irak, en Syrie, en Iran et dans le sud-est de la Turquie ; et en diaspora depuis le début du 20e siècle.

Après avoir décrit le système en général, l'article va étudier un phénomène particulier concernant l'accord du genre entre le numéral et le nom compté. L'araméen moderne, comme la langue classique, le syriaque, présente un marquage de genre binaire sur le nom (masculin ou féminin), ce qui affecte les relations d'accord. Le système numéral contient, lui aussi, des formes marquées en masculin et féminin, qui s'accordent avec le nom (Coghill 2004 & 2018, Poizat 2008). Cependant, il y a un processus de neutralisation du genre du numéral qui se produit (Khan 2009). En effet, les numéraux ne changent pas toujours selon le genre du nom compté. Ils ont ainsi une seule forme qu'on pourrait appeler une forme "neutre".

Ce papier présente les différents usages du numéral dans un corpus oral constitué avec des locuteurs soureth vivant en France. Quelques hypothèses seront proposées afin d'analyser le processus de neutralisation qui n'existe pas d'une manière absolue dans toutes les variétés.

Abstract : This article describes the numeral system in several varieties of Soureth, one of the modern languages derived from the eastern branch of Aramaic, a Semitic language of the Northwest.

Historically, it has been spoken in Iraq, Syria, Iran, and southeastern Turkey; and in the diaspora since the early 20th century.

After describing the system in general, the article will study a particular phenomenon concerning the gender agreement between the numeral and the counted name. Modern Aramaic, like the classical language, Syriac, has a binary gender marking on the noun (masculine or feminine), which affects the relations of agreement. The numeral system also contains marked masculine and feminine forms that agree with the noun (Coghill 2004 & 2018, Poizat 2008). However, there is a process of gender neutralization of the numeral that occurs (Khan 2009). Indeed, numerals do not always change according to the gender of the name counted. They thus have a single form that could be called a "neutral" form.

This paper presents the different uses of numerals in an oral corpus made up with Soureth speakers living in France. Some hypotheses will be proposed in order to analyze the neutralization process which does not exist in an absolute way in all varieties.

 

Urban Matthias : Agouti historiography: the problem of widespread lexical forms and deep linguistic history in Central and South America [L'historiographie de l'agouti : le problème des formes lexicales généralisées et de l'histoire linguistique profonde] (p. 83)

Résumé : En Amérique centrale et en Amérique du Sud, des mots similaires pour désigner les principales espèces de rongeurs, principalement les agoutis (Dasyprocta spp.), remontent loin dans les phylogénies de certaines des plus anciennes familles linguistiques. Il s’agit notamment des familles caribes et tupi, mais d’autres familles telles que les langues chibcha, barbacoa et le chocó présentent également des formes comparables. À moins que ces similitudes ne soient considérées comme un simple hasard, elles constituent une preuve aussi intéressante que problématique de l'existence d'une histoire linguistique profonde. Toutefois, quels sont les mécanismes qui expliquent ces similitudes frappantes et qui doivent remonter loin dans la préhistoire ? Une possibilité est que ces mots soient des preuves lexicales de connexions généalogiques très anciennes. Une autre hypothèse, peut-être moins coûteuse, est celle d'emprunts très anciens concernant les proto-langues en question ou leurs ancêtres. Cependant, s'agit-il d'un scénario plausible ? Un point général de cet article est que les étymologies de contact, tout comme les revendications de connexions généalogiques, ne devraient pas être proposées à la légère, mais nécessitent un ensemble de contrôles de validité pour être convaincantes. Adoptant une riche approche empirique, je montre, sur la base d'un large ensemble de données portant sur près de 400 langues d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud, que les langues voisines se sont relativement fréquemment emprunté des termes désignant l'agouti. Cela montre qu'il est naturel de s'attendre à des emprunts. Dans un cas comme dans l'autre, les similitudes démontrent probablement des interactions très anciennes entre certaines des familles linguistiques mentionnées, avec des implications intéressantes concernant leurs origines géographiques et leurs premières dispersions.

Abstract : Throughout Central and South America, similar words for salient rodent species, the agoutis (Dasyprocta spp.), reconstruct to some of the most ancient known languages families in the species’ range, including Chibchan (*'kuri), Cariban (*akuri), Tupian (*akutˀi), and others. Unless these are dismissed as mere chance, this makes for as interesting as problematic evidence for deep linguistic history: what mechanisms account for the striking similarities that must go back far into prehistory? One possibility is that the words are lexical evidence for very old genealogical connections. While this is a possibility worth bearing in mind also in light of current and past suggestions that involve some of the relevant groups, we cannot conclude that this is indeed the case on the basis of the available evidence. Another, and perhaps less costly, hypothesis is very old borrowing involving relevant proto-languages or their ancestors However, is this a plausible scenario? On the basis of a large set of data featuring more than 400 languages from Central and South America, I show that neighboring languages have relatively frequently borrowed agouti-words from one another, involving reflexes of the above forms, but also others. This shows that it is natural to expect borrowing my. In either case, the similarities likely demonstrate very old interactions between the mentioned lineages, something with interesting implications on homeland hypotheses and scenarios of early spread.

 

Martirosyan Hrach : Vocative strategies and accent in Armenian: synchrony and diachrony [Stratégies vocatives et accent en arménien : synchronie et diachronie] (p. 111)

Résumé : Le vocatif, cas de l’adresse directe, est une forme utilisée pour attirer ou maintenir l’attention de l’interlocuteur. Il n’est pas représenté en arménien classique comme catégorie casuelle indépendante (§1b). A différentes époques de l’histoire de la langue, le vocatif est souvent marqué par une accentuation initiale, mécanisme répandu dans les langues indo-européennes (§2). Les particules vocatives accentuées sont utilisées tant en arménien classique que dans les dialectes (§3). Dans les dialectes surtout, certains mots, notamment les termes de parenté et les anthroponymes, ont des terminaisons dont certaines peuvent être considérées comme des traces d’une ancienne désinence de vocatif (§4). Dans les dialectes arméniens de Syrie, on trouve quelques termes de parenté ayant des vocatifs formés avec ayr ‘homme (mâle)’ or tikin ‘dame’ (§ 5).

Abstract : The vocative, the case of direct address, is a form used for calling out and attracting or maintaining the addressee’s attention. It is not represented in Classical Armenian as an independent case category (§ 1b). At different stages of Armenian the vocative is often characterized by initial accentuation, which is comparable to other Indo-European traditions (§ 2). Accented vocative particles are used both in Classical Armenian and dialects (§ 3). Mostly in dialects, several words, particularly kinship terms and anthroponyms, take endings, one or a few of which may be regarded as relics of older vocative case endings (§ 4). In the Armenian dialects of Syria, one finds a few kinship terms the vocatives of which are compounds with ayr ‘man’ or tikin ‘mistress, lady’ (§ 5)

 

2. Langues entre elles

Chériaa Najah : Approche sémantique et contrastive des connecteurs français en fait et italien infatti : la proximité morphologique révèle-t-elle une proximité sémantique ? [Semantic and contrastive approach of the French connector en fait and the Italian connector infatti: does the morphological proximity reveal a semantic proximity?] (p. 125)

Résumé : Nous essayons dans cet article de répondre à la question suivante : dans quelle mesure la proximité morphologique entre en fait et infatti révèle-t-elle une proximité sémantique ? Nous y interrogeons, dans le cadre d'une analyse lexicale, en et in ainsi que fait et fatti et vérifions que la possibilité d’emploi d’un connecteur peut être déterminée par différents paramètres combinant les niveaux sémantique, lexical et morphologique. Nous y démontrons également que le connecteur français et le connecteur italien, ne se partagent pas tous les contextes et que les sèmes contenus dans le noyau nominal et dans la préposition persistent plus dans en fait que dans infatti.

Abstract : This article is focusing on the following question: to what extent the morphological proximity between the french linguistic connector en fait and the italian linguistic connector infatti reveals a semantic proximity? In the framework of a lexical analysis, the prepositions en and in, as well as fait and fatti, it is needed to verify that the possibility of use of a connector can be determined by various parameters combining the semantic, lexical and morphological aspects. It is also important to highlight that both the French and Italian connectors are not always used within similar contexts and that the semes in the nominal core and in the preposition persist more in en fait than in infatti.

 

Nelly Foucher Stenkløv, Hans Petter Helland & Larrivée Pierre : Regard sur quelques facteurs de sélection des subordonnants relatifs du français par des apprenants norvégiens [A look at factors in the selection of French relative markers by Norwegian learners] (p. 143)

Résumé : L’acquisition des relatifs est soumise à l’échelle de hiérarchie dégagée par Keenan et Comrie (1977), et ne devrait pas être sujette à des effets de transfert de la langue maternelle, même si ceux-ci sont attestés. La tension entre transfert et hiérarchie est donc explorée à partir de l’acquisition des relatifs du français par des apprenants norvégiens. Ceux-ci sont intéressants parce que le norvégien a un système de relatif différent du français, et que les locuteurs du norvégiens sont généralement multilingues, multipliant les sources de transfert. Les productions guidées et libres d’apprenants norvégiens de niveaux débutant et intermédiaire permettent de vérifier non seulement le taux d’erreurs, mais aussi la position du relatif erroné sur la hiérarchie d’accessibilité. Or, le relatif utilisé erronément n’est pas nécessairement plus accessible dans la hiérarchie que le relatif qui devrait être utilisé. En outre, des effets potentiels d’interférence se manifestent quant à l’animacité de l’antécédent.

Abstract : Acquisition of relative is subject to the Accessibility Hierarchy developed by Keenan and Comrie (1977), and should not be subject to mother tongue transfer effects, even if these are documented. The tension between transfer and hierarchy is therefore explored on the basis of the acquisition of French relatives by Norwegian learners. These are interesting because Norwegian has a different relative system from French, and Norwegian speakers are generally multilingual, multiplying the sources of transfer. The guided and free productions of beginner and intermediate Norwegian learners make it possible to establish not only the error rate, but also the position of the erroneous relative on the accessibility hierarchy. However, the relatives used incorrectly are not necessarily more accessible in the hierarchy than the relative which should be used. There are nonetheless potential interfering effects from the animacy value of the antecedent.