Présentation générale
par Anaïd Donabédian et Reza Mir-Samii
SeDyL (UMR 8202), Inalco, CNRS, IRD. Courriel : adonabedian@inalco.fr
Université du Mans, Laboratoire 3L.AM. Courriel : Reza.Mir-Samii@univ-lemans.fr
Avec cette livraison de Faits de langues, nous poursuivons la formule qui fait alterner des numéros thématiques et des varia, construits autour de deux rubriques (Langues une à une, Langues entre elles), qui sont autant d’éclairages de la question de la diversité des langues[1].
La rubrique Langues une à une comprend cinq contributions consacrées au français, au soureth, à l’agouti et à l’arménien.
La première contribution de cette section est l’article de Grigory Agabalian consacré aux emplois fréquents des termes suffixés en -isme (écologisme, populisme, trumpisme, véganisme, macronisme…) et aux emplois autonymiques de ce suffixe avec une tendance à avoir un emploi nominal. S’appuyant sur 147 occurrences relevées dans 124 documents de presse extraits de la base de données Factiva entre décembre 2018 février 2021, Grigory Agabalian examine minutieusement les conditions qui permettent de dissocier les emplois autonymiques de ceux référentiels, et interroge sur les propriétés du référent des noms et en quoi ces derniers se différencient des autres noms, pour parvenir à dégager les valeurs sémantiques négatives et modales véhiculées.
Ana María Ramos Sañudo étudie, à partir des occurrences issues des deux bases de données Frantext, et Europresse qui enregistre une forte fréquence au XXIème, les valeurs du marqueur discursif il n’y a pas à dire en tant que l’expression d’une modalité épistémique qui indique le degré de certitude du locuteur à l’égard du contenu de l’énoncé. Pour ce faire, outre le traitement que lui réserve les dictionnaires, ses propriétés morphosyntaxiques (figement, autonomies prosodique et syntaxique) et sémantico-pragmatiques, Ana María Ramos Sañudo montre que le locuteur cherche à présenter le contenu de l’énoncé modalisé qui suit ou qui précède la séquence il n’y a pas à dire comme « prétendument indiscutable ».
Rola Skaff s’intéresse au système de numération en soureth (néo-araméen) parlé dans plusieurs pays (Irak, Iran, Turquie). Après avoir introduit les particularités du soureth, langue à genre binaire (féminin/masculin) qui impose également un système d’accord, et du système de numération décimal et les formations par addition, multiplication ou composition, Rola Skaff s’intéresse particulièrement aux alternances entre formes longues pour les noms masculins, et formes coutres pour ceux féminins ou aux neutralisation d’opposition, qui ne s’observent pas dans toutes les variétés dialectales et susceptibles d’être due aux contacts de langues.
Dans son étude extensive de lexicographie historique sur l’agouti en Armérique latine, qui présente des similitudes interlangues frappantes, Matthias Urban discute la pertinence relative de l’approche privilégiant la reconstruction et donc, le rôle central d’une protolangue, et de celle mettant en avant des emprunts anciens. L’approche, fondée sur des données empiriques, est également une proposition méthodologique, qui lui permet d’explorer plusieurs scenarii, tant au plan de la phylogénie que du contact.
L’arménien est une langue dont la profondeur diachronique (16 siècles) et la variation dialectale (une soixantaine de variantes) sont très bien documentées. Hrach Martirosyan, dans son article sur le vocatif, met en perspective pour la première fois les données de l'arménien ancien, mais surtout moderne et dialectal, portant à la connaissance des non spécialistes des données peu connues. Outre la morphologie flexionnelle du vocatif à proprement parler, il aborde également les différents procédés utilisés pour exprimer les termes d'adresses (suffixes de diminutif, termes d’adresse, particules), ainsi qu'un développement intéressant sur le recul de l'accent, qu'il considère en l'occurrence comme un héritage de l'indo-européen.
La rubrique Langues entre elles comprend deux contributions, l’une consacrée à d’étude contrastive de en fait en français et en italien (infatti), l’autre à l’apprentissage des relatifs français auprès d’apprenants norvégiens.
La contribution de Najah Chériaa est consacrée aux composés en fait et infatti en français et en italien comme marqueurs de reformulation. Partant des similitudes sur le plan syntaxique en tant qu’adverbes de phrase, ces marqueurs partagent aussi, sur le plan lexical, des éléments identiques entrant en composition (prépositions et noms) mais des différences sont notables dont la soudure en italien de la préposition in et du pluriel fatti du nom fatto, soudure qui peut être interprétée comme étant à l’origine de la « perte du sens propre des éléments initiaux », et la cause de la proximité partielle des deux connecteurs. Najah Chériaa cherche aussi à démontrer que bien que tous deux renvoient à « l’ordre du réel » (au même titre que de fait, en réalité, di ffetti, in realtà) avec le sème « certitude » indiquant une opposition, des différences sont remarquables sur le plan sémantique. Sans qu’il existe une équivalence parfaite entre les deux connecteurs, en fait établit entre p et q un lien d’opposition, de certitude et de véracité. Ils introduisent aussi une reformulation ou une rectification, un lien de « confirmation » (observable dans l’emploi seul de infatti équivalent de « effectivement ») ou de consolidation de p en introduisant une explication.
Nelly Foucher Stenkløv, Hans Petter Helland et Pierre Larrivée, en s’appuyant sur les différences typologiques entre les relatives du novégien (marqueur unique) et du français (marqueurs multiples), et l’évaluation des erreurs d’apprenants norvégophones du français, montrent que chez des locuteurs plurilingues, la hiérarchie d’accessibilité largement reprise depuis Keenan et Comrie (1977) est moins pertinente pour expliquer ces erreurs que les mécanismes de transfert entre langues.
[1] Outre le Comité de lecture international de la revue, nous remercions vivement, au nom du Comité de rédaction, les rapporteurs anonymes sollicités pour leurs compétences particulières qui ont contribué à la qualité scientifique de ce numéro.