n°37 : La parole : origines, développement, structures

 

Résumés / Abstracts

 

Présentation générale : Louis-Jean Boë & Jean-Luc Schwartz (p. 5)

1. La parole dans son environnement phylogénétique

Louis-Jean Boë, Jean-Luc Schwartz, Antoine Serrurier, Pierre Badin, Jean Granat, Guillaume Captier & Pierre Bessière : L’émergence de la parole : aspects historiques et épistémologiques d’une nouvelle réarticulation (p. 15)

RESUME : La fin du XXe et le tout début de ce siècle révèlent une véritable réarticulation des recherches dans le domaine de l’émergence de la parole et du langage. Le naturalisme, qui est au centre de cette approche, se propose de décrire les relations entre la biologie (au sens très large du terme) d’une part, la parole et le langage, d’autre part, par une accumulation d’hypothèses, de données et de preuves formulées et établies grâce à de multiples collaborations interdisciplinaires.

Comme pour les travaux sur l’origine de l’Homme, on assiste à un foisonnement théorique qui entraîne parfois des développements très hypothétiques, s’appuyant sur des résultats fragiles et sur trop peu de données, proposés dans des disciplines connexes mais non maîtrisées ou trop simplifiées. C’est pourquoi les bilans réguliers, les mises en perspectives critiques ne nous semblent pas superflus.

Dans un premier temps nous procéderons à une mise en perspective historique des controverses sur l’origine des langues dans le cadre de la linguistique et de l’anthropologie. Nous proposerons une classification qui permet une lecture des différentes théories proposées depuis un demi-siècle. Nous présenterons ensuite nos travaux qui participent à la nouvelle réarticulation avec une approche véritablement axée sur la pluridisciplinarité. Ils s’inscrivent dans le domaine des relations entre la morphologie des organes de la production de la parole et son contrôle, avec tout particulièrement, un focus sur l’ontogenèse et la phylogenèse. De nouvelles pistes de recherche sont proposées qui tendraient à montrer qu’il y a vraisemblablement plusieurs centaines de milliers d’années que le conduit vocal présente une morphologie favorable à l’émergence et à la production de la parole. Un cadre est proposé dans lequel les capacités orofaciales nécessaires à la parole sont reliées au mécanisme précurseur d’ingestion (mastication-déglutition).

 

ABSTRACT : The end of the XXth century and the beginning of this century saw a reorganization of the researches in the field of speech and language emergence. Naturalism is the kernel of this new approach. It consists in describing the relations between biological aspects (in every sense of the word) on the one hand and speech and language, on the other hand, by an accumulation of hypotheses and evidence derived from a huge range of data collected thanks to interdisciplinary collaborations.

As is the case for researches on the origin of Man, a theoretical profusion of hypotheses has arisen which sometimes leads to very hypothetical developments, based on fragile results and on too little data, and proposed in related but not fully mastered or too much simplified disciplines. This is why regular critical overviews do not seem superfluous.

First, we present historical elements concerning the debate on the origin of speech and language in the frame of linguistics and anthropology. We propose a classification that provides a new reading of the various theories which have been proposed for half a century. Then we present our works, which are well grounded in this new organization, and which use an approach based on pluridisciplinarity. They concern relations between morphology and control of the speech organs as well as speech ontogenesis and phylogenesis. New lines of research are proposed which tend to show that the vocal tract morphology has been favorable to the emergence and production of speech since several hundreds of thousands of years. A framework is proposed in which orofacial abilities necessary to the emergence of speech are linked to a precursor mechanism dedicated to feeding (masticating-swallowing movements).

 

Alban Lemasson et Stéphanie Barbu : L’origine phylogénétique du langage : apports des travaux récents sur la communication vocale des cercopithèques (p. 69)

RESUME : La communication vocale des primates non-humains a longtemps été considérée comme déterminée uniquement génétiquement et émotionnellement, encourageant les théoriciens de l’origine du langage à en rechercher les précurseurs ailleurs. Pourtant, les études menées au cours des dix dernières années sur les cris des cercopithèques forestiers démontrent un parallèle avec plusieurs caractéristiques du langage (plasticité, apprentissage social, sémantique, syntaxe, prosodie). La vie sociale et la structure de l’habitat apparaissent comme des facteurs clés de l’évolution de la communication des primates.

ABSTRACT : Nonhuman primate vocal communication has long been considered as uniquely determined by genetic and emotional factors, encouraging theorists working on the origin of language to investigate its precursors elsewhere. However, studies done during the last decade on forest guenons’ calls demonstrate parallels with several characteristics of language (plasticity, social learning, semantics, syntax, prosody). Social life and habitat structure appear as key factors of the evolution of communication in primates.

Jacques Vauclair : Du geste à la parole. De la communication des primates au langage humain (p. 85)

RESUME : Les relations entre la communication gestuelle des primates non humains et la communication orale qui prédomine chez l'homme sont examinées dans cet article. La latéralisation des gestes chez les primates (chimpanzés et babouins) est comparée à la latéralisation des fonctions linguistiques chez l'homme. Les éléments disponibles à propos des ressemblances concernant l’organisation cérébrale et comportementale des gestes communicatifs entre plusieurs espèces de primates (homme inclus) permettent de soutenir l’hypothèse du rôle de la communication gestuelle au cours de la phylogenèse comme précurseur des systèmes de communication ayant conduit au langage.

ABSTRACT : The paper aims at examining the relations between gestural communication in nonhuman primates and the vocal (linguistic) system that predominates in human communication. To that purpose, lateralization of communicative gestures in apes (mostly chimpanzees) and monkeys (baboons) will be compared with the patterns of hemispheric specialization specific to the human linguistic system. The evidence of a similarity in the cerebral and behavioural organization of communicative gestures among various primate species (man included), is in favour of the role of gestural communication as a phylogenetic precursor of the communicative systems that ultimately led to language.

Marion Dohen, Hélène Lœvenbruck, Benjamin Roustan et Coriandre Vilain : Pointage manuel et vocal : corrélats sensorimoteurs et neurocognitifs, coordination geste manuel / parole (p. 97)

RESUME : Les gestes manuels occupent une place importante dans la communication parlée. Ils semblent en effet avoir joué un rôle particulier dans l’apparition de la faculté de langage chez l’être humain et sont très importants dans le développement du langage chez l’enfant. Le but de cet article est de mieux comprendre comment parole et gestes manuels sont combinés dans un cadre naturellement multimodal : celui de la désignation. Il est ainsi possible de désigner en pointant du doigt mais aussi avec la parole, en utilisant la focalisation prosodique, l’extraction syntaxique, une combinaison des deux ou un démonstratif. La première partie de cet article vise à étudier les corrélats acoustiques, articulatoires et perceptifs du pointage prosodique (focalisation). Les travaux présentés suggèrent que la focalisation prosodique impose un contrôle fin et précis des articulateurs et du larynx et qu’elle fait intervenir des représentations sensorimotrices très élaborées, tant au niveau de sa production qu’au niveau de sa perception. La deuxième partie présente deux expériences en Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf) visant à étudier les circuits cérébraux des différentes modalités du pointage (manuelle, oculaire, prosodique et syntaxique). Les résultats montrent que le pointage vocal prosodique et les pointages gestuels (manuel et oculaire) sont ancrés dans le même réseau cérébral. Enfin, la troisième partie présente une étude de capture de mouvement sur la coordination entre pointage manuel et pointage prosodique. Les résultats montrent que la coordination la plus fine entre gestes manuels et parole est observée pour le geste de pointage (vs. geste de battement vs. geste contrôle). Il apparaît de plus que l’apex du geste de pointage est aligné avec une des cibles articulatoires du mot focalisé prosodiquement. Ces travaux permettent de mieux comprendre comment les différentes modalités de pointage se combinent et de montrer qu’elles sont profondément liées.

ABSTRACT : Manual gestures are very important in spoken communication. They are considered to have played a specific role in the emergence of language in humans and they are crucial in the development of language in children. This paper aims at better understanding how speech and manual gestures are combined in a naturally multimodal framework: designation. It is possible to designate using index finger pointing, as well as using speech, through either prosodic focus or syntactic extraction, or a combination of both, or demonstratives. The first part of this paper aims at examining the acoustic, articulatory and perceptual correlates of prosodic pointing (focus). The presented data show that prosodic focus requires a fine control of the speech articulators and the larynx. They suggest that prosodic focus involves elaborate sensorimotor representations for its production as well as its perception. In the second part, two functional Magnetic Resonance Imaging (fMRI) studies are presented, exploring the neural circuits involved in the different pointing modalities (manual, ocular, prosodic and syntactic). The results show that vocal prosodic pointing and both types of gestural pointing (manual and ocular) involve the same neural circuits. The third part deals with a motion capture study on the coordination between speech and several manual gestures. The results show that coordination is the most accurate for pointing (vs beats vs control gestures). Moreover, the apex of the pointing gesture is aligned with one of the articulatory targets of the prosodically focused word. Put together, these studies provide a better understanding of how the different pointing modalities are combined and show that they are deeply linked.

 

2. La parole dans ses systèmes de perception et d’action

Jean-Luc Schwartz, Marc Sato et Luciano Fadiga : Le langage commun de la perception et de l’action dans la communication parlée : une perspective neurocognitive (p. 117)

RESUME : Comment parvient-on à traiter le signal de parole pour extraire les invariants phonologiques et décoder l’information linguistique ? Plus de 50 ans après l’apparition de la théorie motrice de la perception de la parole, la mise en évidence des "neurones miroir" remet en cause l’idée d’une perception de parole purement auditive, suggère que le système moteur pourrait jouer un rôle dans la compréhension du langage, et à tout le moins impose de repenser les relations entre perception et action dans la communication parlée. L’objectif de ce chapitre est, aux vues de la littérature récente – ou moins récente -, de tenter de mieux cerner ce que pourrait être un "langage commun de la perception et de l’action".

ABSTRACT : How do listeners process the speech signal to extract acoustic cues and recover phonetic information? More than 50 years after the appearance of the motor theory of speech perception, recent neurophysiological discoveries challenge the view that speech perception only relies on perceptual auditory mechanisms and suggest that the motor system is also crucial for speech recognition. The aim of the present chapter is to review and discuss these findings in an attempt to define what could be a “common language of perception and action”.

Willy Serniclaes & Jacqueline Salinas : Perception of vowels and consonants: from acoustic to cognitive isotropy (Perception des voyelles et des consonnes : De la diversité acoustique à l’isotropie cognitive) (p. 137)

RESUME : L’objectif de cette recherche est de mettre en évidence des points communs dans la perception des distinctions de lieu d’articulation entre les consonnes occlusives et de celle entre les voyelles fermées du français. Les contrastes de lieu correspondent à des déplacements sur la dimension articulatoire antérieur-postérieur tant pour les occlusives que pour les voyelles, la série b/d/g correspondant à i/y/u. Cependant, les conséquences acoustiques du déplacement antérieur-postérieur sont inversées pour les occlusives et les voyelles, les fréquences initiales des transitions de F2 et F3 augmentant ou diminuant en fonction de la classe phonologique. Des données d’identification ont été recueillies pour des syllabes /b?, d?, g?/ and /i?, y?, u?/ variant le long d’un continuum circulaire dans l’espace des fréquences initiales des transitions de F2 et F3. Les résultats montrent que les frontières perceptives entre consonnes ne coïncident pas avec celles entre voyelles dans l’espace acoustique. Cependant les frontières des consonnes coïncident presque parfaitement avec celles des voyelles après rotation et la correspondance articulatoire entre deux classes phonologiques est restaurée. Ceci montre que les frontières de lieu d’articulation entre occlusives et celles entre voyelles sont isotropes (invariantes par rotation), une propriété qui semble se fonder sur l’intégration de l’inversion acoustico-articulatoire entre les deux classes phonologiques dans les processus de perception. Les implications de ces résultats pour la théorie des traits et pour les modèles de perception sont esquissées dans la discussion.

ABSTRACT : The aim of this paper is to explore possible common points in the perception of place-of-articulation distinctions between stop consonants, on the one hand, and between French closed vowels, on the other hand. Place-of-articulation contrasts correspond to changes along the front-back articulatory dimension for both stops and closed vowels, the b/d/g ordering for the stops corresponding to the i/y/u ordering for the vowels. However, the acoustic consequences of front-back changes are inverted for stops and vowels: the onsets of the F2 and F3 transitions either decrease or increase with a backward articulatory change depending on the phonologic class, vowels vs. stops. Identification data were collected for /b?, d?, g?/ and /i?, y?, u?/ syllables varying along a circular continuum in the F2-F3 transition onset space. Results show that the perceptual boundaries for vowels and consonants do not coincide in the F2-F3 acoustic space. After rotation, however, vowel and consonant boundaries almost coincide, and the articulatory correspondence between the two classes of sounds is restored. This shows that the place boundaries both between stops and between vowels are isotropic (invariant by rotation), a property which is seemingly based on the integration of the articulatory-acoustic inversion between the two classes of sounds into perceptual representations. Implications for feature theory and models of speech perception are outlined.

Pascal Perrier, Yohan Payan, Stéphanie Buchaillard, Mohammad Ali Nazari & Matthieu Chabanas : Biomechanical models to study speech (Des modèles biomécaniques pour étudier la production de la parole) (p. 155)

RESUME : Cet article présente les travaux développés à Gipsa-lab dans le domaine de la modélisation biomécanique des articulateurs de la parole, et plus spécifiquement de la langue et des lèvres. Ces travaux sont une étape à nos yeux indispensables pour étudier et comprendre le contrôle de la production de la parole. La méthodologie de modélisation est explicitée, les modèles les plus récents sont décrits, et les implications de ces travaux pour l’étude de la parole sont illustrés par deux exemples, l’un portant sur la stabilité du contrôle lingual lors de la production d’un /i/, et l’autre sur les phénomènes de réduction vocalique (centralisation de la voyelle) associés à un débit rapide d’élocution.

ABSTRACT : In this paper, the methodology elaborated in our group for the design of biomechanical models of speech articulators (more specifically tongue and lips) in the aim to study speech production is explained. Examples of the most recent models are presented, together with some of the results that were obtained with simulations run with the models. Implications for the study of languages are proposed.

 

3. La parole en développement

Mélanie Canault et Rafael Laboissière : Le babillage et le développement des compétences articulatoires : indices temporels et moteurs (p. 173)

RESUME : L’émergence du contrôle articulatoire de la parole est un processus long impliquant différents paramètres. Atteindre une cible articulatoire, dans le but qu’elle soit bien perçue et décodée, implique la coordination spatiale et temporelle des articulateurs orofaciaux. Dans le processus d’acquisition du langage, le stade du babillage (7 mois-12 mois) pourrait être entrevu comme le tremplin de l’émergence des aptitudes articulatoires. Au stade précoce de cette période, de fortes contraintes pèsent sur le système de production du jeune locuteur. Mais plusieurs changements notoires s’opèrent et semblent conduire le bébé sur la voie de la parole mature, même s’il est encore loin du niveau de production contrôlé de l’adulte. Nous discuterons ici des indices temporels (rythme oscillatoire mandibulaire) et moteurs (dissociation des déplacements des articulateurs) sous-jacents au développement de l’habileté articulatoire à ce stade.

ABSTRACT : The emergence of articulatory control in speech is a long processinvolving various parameters. Reaching an articulatory target, in the aim that it will be well perceived and decoded, implies spatial and temporal coordination of the orofacial articulators. During the language acquisition process, the babbling stage (7 months-12 months) could be seen as the springboard towards the emergence of articulatory abilities. At the early stage of this developmental period, strong constraints are imposed on the production system of the young speaker. However, several
noticeable changes take place and seem to lead the infant towards mature speech, even if she remains far from the level of production control of adults. This paper addresses a temporal cue (the oscillatory rhythm of the jaw) and a motor cue (the dissociation of articulatory) which could be at the origin of the development of speech abilities at this stage.

 

Lucie Ménard et Aude Noiray : The development of lingual gestures in speech : Comparing synthesized vocal tracts with natural vowels (Le développement des mouvements linguaux en parole : une approche expérimentale à l'acquisition du langage) (p. 189)

RESUME : L’objectif de cet article est d’étudier les stratégies articulatoires exploitées par les enfants pour produire les cibles de la parole. Ces cibles peuvent être considérées comme des buts phonologiques. Sachant que (i) les enfants de 4 ans sont en mesure de produire des phonèmes intelligibles, (ii) leurs capacités de contrôle moteur sont encore immatures et (iii) l’anatomie de leur conduit vocal diffère grandement de celle du conduit vocal de l’adulte, nous posons l’hypothèse qu’ils utilisent différentes stratégies articulatoires par rapport aux adultes pour produire les cibles phonologiques. Ce travail fait partie d’un projet de plus grande envergure que nous menons depuis les dernières décennies avec nos collaborateurs (Ménard et al., 2000; 2004). Pour la première fois, cet article présente des données de parole produite par des enfants francophones de 4 ans enregistrés par échographie. Les données recueillies sont comparées à des simulations conduites avec un modèle articulatori-acoustique de la parole (VLAM model).

ABSTRACT : The objective of this paper is to study the articulatory strategies used by children to produce speech targets. Those targets can be considered as phonological goals, implemented by phonetic articulatory gestures. Considering the facts that (i) 4-year-old children can produce intelligible phonemes, (ii) their motor control capacities are still immature, and (iii) their vocal tract anatomy greatly differs from that of adults, it is hypothesized that compared to adult, they use different phonetic strategies to implement phonological targets. This report is part of a larger research program we have been developing with our collaborators for the last decade (Ménard et al., 2000; 2004). For the first time, this paper reports on articulatory data (4-year-old french speaking children) recorded via an ultrasound system. Data acquired by this method are compared to simulations with an articulatory-to-acoustic model (VLAM model).

 

Bernd Kröger & Stefan Heim : Mapping of functions to brain regions : a neurophonetic model of speech production, perception and acquisition (Cartographie des fonctions de régions du cerveau: un modèle neurophonétique de production, de perception et d’acquisition de la parole) (p. 203)

RESUME : L’article résume les travaux concernant une approche neurophonétique capable de construire un modèle de production, de perception et d'acquisition de la parole pour un ensemble fini d'éléments de parole (sons, syllabes, mots, énoncés courts) qui constitue la langue du modèle. L'objectif est (i) de décrire la structure du modèle neurophonétique et (ii) de relier certaines fonctions du modèle à des régions spécifiques du cerveau.

ABSTRACT : This paper summarizes the work on a neurophonetic approach which is capable of modeling speech production, speech perception, and speech acquisition for a defined set of speech items (sounds, syllables, words, short utterances). The focus of this paper is (i) to describe the structure of a neurophonetic model and (ii) to map specific functions of the model to specific brain regions.

 

4. La parole dans la diversité et la cohérence de ses structures phonologiques

Rachid Ridouane, Yohann Meynadier et Cécile Fougeron : La syllabe : objet théorique et réalité physique (p. 213)

RESUME : Malgré l’abondance des travaux sur la syllabe, et malgré le rôle fondamental qu’elle joue pour les descriptions linguistiques, un flou continue d’entourer cette unité la rendant particulièrement difficile à cerner. Cet article se propose de passer en revue le concept linguistique de "syllabe" en tant qu’unité structurelle de la langue et de la parole. Unité abstraite d’organisation sonore, son statut phonologique repose sur une variété d’arguments phonologiques, prosodiques et morphologiques la positionnant comme centrale dans la plupart des modèles linguistiques. La grande diversité des structures syllabiques observées dans les langues du monde est mis en exemple par le biais du traitement phonologique réservé au cas extrême et assez rare de syllabes sans voyelles, notamment en berbère tachlhit. Unité motrice d’organisation phonétique, l’examen de la nature physique de la syllabe montre que malgré plus d’un siècle de recherches, une définition précise est encore une perspective de recherche. Pourtant, des progrès importants sont accomplis, comme en témoignent les approches théoriques récentes considérant la syllabe comme un patron de coordination gestuelle, notamment dans le cadre de la Phonologie Articulatoire. La confrontation de ce modèle aux syllabes sans voyelles à noyaux consonantiques est une voie de plus pour une compréhension plus précise de la syllabe.

ABSTRACT : The syllable is a fundamental unit of prosodic structure which has always been a key concept in linguistics. Current research continues, however, to raise many basic questions concerning the role of this unit in phonological theory and the relation it has to measurable physical properties. This paper surveys some fundamental aspects related to the syllable both as a phonological unit and as a physical object. Evidence for the existence of the syllable as an essential unit of linguistic organisation is drawn from a variety of phonological, prosodic and morphological phenomena. This has led all major approaches to phonology to recognize it as a central unit of linguistic analysis and to propose various analyses regarding its representation and its internal structure and ways to account for its variability across languages. This variability is illustrated through the presentation of a particular type of syllables found in Tashlhiyt Berber, namely syllables without vowels and without sonorant consonants. Regarding the phonetic make-up of syllables, we survey more than a century of research on its exact physical nature and show that much work still remains to be done. However, through subsequent research, important outcomes have been achieved. A case in point is the recent theoretical approaches considering the syllable as a unit of gestural coordination, such as Articulatory Phonology. This framework provides a way of thinking about the physical properties of syllables and syllable constituents that leads to testable hypotheses. Some of these are tested based on recent data from vowelless syllables, and are bound to provide important insight into the nature of the syllable both as a structural unit and as a physical object

Annie Rialland et Georges N. Clements : Sons africains (p. 235)

RESUME : Ce chapitre est consacré aux "Sons africains", c'est-à-dire aux sons (ou traits prosodiques) inexistants, rares ou beaucoup moins fréquents en dehors de l’Afrique. L’ensemble des sons (ou traits) retenus dans cette étude est le suivant : 1) les battements labiaux, 2) les consonnes labio-vélaires, 3) les implosives et les occlusives non obstruantes, 4) les clicks, 5) les harmonies vocaliques fondées sur le recul de la racine de la langue, 6) l’intonation de question "relâchée". La distribution de ces sons met en évidence des aires linguistiques, qui peuvent regrouper des langues de plusieurs phylum, comme "l’aire soudanique", qui s’étend de l’Ouest de l’Afrique (Sénégal, Libéria) jusqu’au lac Albert au Sud-Est et aux montagnes Erythreo-éthiopiennes au Sud-Est.

Ce chapitre présente une synthèse des travaux sur ces "Sons africains", de leur extension aréale et comporte également une étude nouvelle concernant une catégorie de ces sons africains: les consonnes implosives. Leur distribution de ces consonnes est étudiée dans l’ensemble des langues documentées du delta du Niger et fait apparaître des aires dont les frontières sont naturelles (le fleuve Niger, en particulier) et ne coïncident pas avec les limites entre familles de langues.

ABSTRACT : This chapter is devoted to “African sounds”, that is to the sounds (or features) which either do not exist, or are rare or much less frequent, outside of Africa. The set of sounds (or prosodic features) which have been selected for this study are the following: 1) bilabial trills, 2) labio-velar consonants, 3) implosives and non obstruent consonants, 4) clicks, 5) vowel harmony based on tongue-root retraction, and 6) “lax” question prosody. The geographical distribution of these sounds reveals linguistic areas, which can include languages from various phyla, such as the so-called “Sudanic Area” which extends from Senegal or Liberia to Lake Albert and the Erythreo–Ethiopian highlands.

This chapter does not only present a “state of the art” survey of “African sounds” and their areal distribution; it also includes a new study of one category of these sounds: the implosive consonants. An investigation of the distribution of these consonants in all the documented languages of the Niger Delta reveals linguistic areas with natural, geographically-defined boundaries (the Niger River, in particular) which do not coincide with language family boundaries.

 

Alexis Michaud : Les systèmes de tons en Asie orientale : typologie, schémas évolutifs et modélisation (p. 247)

RESUME : La présente contribution récapitule certaines avancées majeures réalisées dans l’étude des systèmes tonals d’Asie orientale, et discute leurs implications pour la typologie tonale et la modélisation phonologique. Les travaux phonologiques et typologiques accordent une place relativement limitée aux langues dans lesquelles les tons ne sont pas définis simplement en termes de hauteur, et ne se prêtent pas à une décomposition en niveaux tonals (par exemple le tamang et le vietnamien). Ces langues manquent assurément d’attrait au plan morpho-phonologique, étant dénuées d’alternances tonales. Elles n’en présentent pas moins une complexité bien réelle, qui doit être prise en considération dans la modélisation phonologique et les généralisations typologiques. Le panorama présenté ici ramène à une distinction proposée il y a plus d’un demi-siècle (Pike 1948) entre deux types d’organisation tonale : d’une part les systèmes de tons ponctuels*, d’autre part les systèmes de tons complexes. Pour approfondir cette distinction synchronique, une attention particulière est accordée à l’évolution des systèmes tonals : les faits d’évolution sont en effet d’excellents révélateurs de la nature des systèmes phonologiques.

ABSTRACT : This contribution recapitulates major findings about East Asian languages to discuss general issues of tonal typology, diachronic evolution and phonological modeling. Relatively little attention has been paid to Far Eastern languages in which linguistic tone cannot simply be equated with pitch, or be decomposed into tonal levels, such as Tamang or Vietnamese. These languages are admittedly somewhat unattractive for phonologists, since they lack tonal alternations. However, they clearly need to be taken into account in phonological modeling and typological generalizations – and they present highly interesting complexities of their own. The conclusion which emerges in light of a synchronic and diachronic survey is very close to a point of view expressed more than half a century ago (Pike 1948), namely that there exists a major typological divide between two types of tonal organization: (i) level-tone systems and (ii) complex-tone systems. With a view to drawing all the implications of this divide, special attention is devoted to the evolution of tonal systems: diachronic facts provide precious insights into the nature of phonological systems.

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