n° 22 : Dynamiques de l’écriture : Approches pluridisciplinaires

Résumés / Abstracts

 

Jean-Pierre Jaffré : Présentation générale (p. 5)

1. Écritures et acquisition

Laurence Rieben : Écritures inventées et apprentissage de la lecture et de l'orthographe (p. 27)

Résumé : Cet article se propose de faire un bilan des recherches sur les écritures inventées chez les enfants de 4-5 ans. Il comporte quatre sections : la première est consacrée à la définition des écritures inventées; la deuxième présente les arguments avancés pour en promouvoir la pratique; la troisième apporte une synthèse des recherches sur les écritures inventées (leur développement, leurs relations avec la conscience phonologique, la connaissance des lettres, et l'acquisition de la lecture et de l’orthographe); la quatrième apporte quelques remarques conclusives. Compte tenu des lacunes existantes, de futures recherches comparant les effets de diverses pratiques de l'écriture précoce devraient être encouragées.

Abstract : The present paper reviews the research on invented spellings in 4-5 year old children. It is divided into four sections: the first aims at defining invented spellings; the second presents arguments used to promote their practice with young children; the third reviews research on the development of invented spellings and their relationships with letter knowledge, phonological awareness, learning to read and spell; finally, the fourth brings up some conclusive remarks stressing the need of future research aimed at comparing the effects of different types of precocious spelling activities.

 

Jacques David : Linguistique génétique et acquisition de l’écriture (p. 37)

Résumé : Pour apprendre à écrire, il faut que les apprenants soient en contact avec les formes écrites conventionnelles, mais il faut surtout qu'ils les ajustent à leurs savoirs empiriques et aux principes fondamentaux des écritures. La présente contribution analyse cette rencontre et décrit les principales procédures déployées par de jeunes scripteurs de 5-6 ans confrontés aux fonctionnements spécifiques du français écrit, et aux principes sous-jacents à tout système d'écriture. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les éléments saillants d’un large corpus d’ "écritures inventées" et surtout sur les explications métagraphiques énoncées à partir de ces productions. Nous privilégions deux problèmes majeurs : la phonographie et la morphographie, pour montrer comment ces enfants découvrent et tentent d’organiser leurs savoirs sur l’écriture. Nous concluons en montrant le caractère nécessairement évolutif et dynamique des apprentissages engagés.

Abstract : To learn writing, children have to be in contact with the conventional written forms, but it is more important that they adjust their empirical knowledges and the fundamental principles of written languages. This article analyzes this meeting and describes the main procedures used by young writers of 5-6 years old compared with specific operations of French writing, and with the principles underlying any writing systems. So, this study stands on the projecting elements of a large corpus of "invented spellings" and especially with metagraphic explanations about these productions. Two major problems —phonography and morphography — have been privileged to show how these children discover and try to organize their knowledges on writing. We conclude by showing the evolutionary and dynamic character of this acquisition.

 

Michel Fayol : L’apprentissage de l’accord en genre et en nombre en français écrit. Connaissances déclaratives et connaissances procédurales" (p. 47)

Résumé : Cet article rapporte une série de données empiriques concernant l’acquisition de la morphographie du genre et du nombre en français par des enfants de 7 à 10 ans. Il cherche à montrer que, dans ce domaine, l’acquisition des marques graphiques et de leur signification est relativement précoce mais que leur mise en œuvre dépend très étroitement de la nature des tâches dans lesquelles ces emplois sont sollicités. Une expérience conduite à l'école primaire permet ainsi de constater que les accords en genre et en nombre du français écrit relèvent d’un apprentissage procédural qui présente trois caractéristiques majeures. Les élèves, même les plus jeunes (ici CE1), recourent à des procédures déclaratives plutôt qu'à un mécanisme de récupération en mémoire d’associations entre items et flexions. L'application de ces procédures transparait en outre dans la fréquence des erreurs d’emploi des marques, générant notamment de nombreuses omissions. Enfin, et à certaines conditions, ces performances s'améliorent avec une pratique qui permet d'aboutir à l’automatisation de l’accord.

Abstract : This paper reports a set of empirical data about the acquisition of morphography (number and gender) by 7 to 10-year-old children. It try to show that, in this particular field, the acquisition of written marks and of their meaning comes relatively early while its implementation depends heavily on the nature of tasks into which they are sollicitated. An experience held at primary school helps to notice that gender and number agreements are related with a procedural learning which present three main characteristics. First, even the youngest pupils (here 2nd grade) use declarative procedures instead of cognitive mechanisms supposed to retrieve in memory associations between items and flections. Second, the use of these applications is visible through the mistakes that concern the graphical marks and especially through omission. And third, under some conditions, these performances are improving through practices that permit to reach the automatisation of agreement.

 

Jean-Pierre Chevrot, Catherine Brissaud et Pascale Lefrançois : Norme et variations dans l’acquisition de la morphographie verbale en /E/ : tendances, conflits de tendances, résolution (p. 57)

Résumé : Cet article concerne l’acquisition d’une zone complexe de l’orthographe du français, le secteur homophonique des formes en /E/. L'expérimentation transversale conduite du CE2 à la classe de 4e (621 sujets) précise les interactions développementales (conflit et résolution) entre deux tendances : écrire -é à la place de -er et marquer dans tous les cas la forme verbale avec le genre et le nombre du sujet. Les résultats montrent que les plus jeunes choisissent -é pour des raisons phonographiques à un moment où -er apparait comme une forme prototypique de la catégorie du verbe. La réponse -é est ensuite progressivement recyclée pour porter les marques de genre (-e) et de nombre (-s) induites par le sujet. Nous émettons l'hypothèse que cette utilisation de -é pour satisfaire à la contrainte morphosyntaxique de l'accord constitue une étape importante de la grammaticalisation d'une séquence phonographique.

Abstract : This article is concerned with the acquisition process of a complex area of French spelling, the homophone sector of /E/ verbal endings. A cross sectional study carried out with 621 students from year 4 to year 9 noted the developmental interactions (conflict and resolution) between two tendencies: to write –é instead of –er and to mark the verbal form for the gender and the number of the subject. The results show that the youngest pupils choose –é for phonographic reasons at the time when –er appears as a prototypical form for the verb. The answer –é is then progressively reused to signify the gender (-e) and the number (-s) indications of the subject. We make the assumption that using –é in order to satisfy the morphosyntactical constraint of the agreement is a significant stage in the grammaticalisation of a phonographic sequence.

 

Jean-Pierre Jaffré : Les commentaires métagraphiques (p. 67)

Résumé : Cet article montre comment de jeunes enfants — en l'occurrence de CE1 et CM1 — apprennent progressivement à commenter leurs productions graphiques, de façon à justifier leurs options. Cette approche, qui utilise la fonction métalinguistique du langage — d'où l'appellation "commentaires métagraphiques" — semble tout spécialement adaptée quand les orthographes comportent une dimension morphographique, ce qui est le cas du français.

Abstract : This paper describes the way young children — in this case from 2nd and 4th grades — learn progressively to comment their own graphical productions, in order to justify their options. This approach, which relies heavily on the metalinguistic function of the language, seems particularly well adapted when orthographies have a morphographic dimension, like in French.

 

Jonathan Grainger, Joseph Dichy, Mohamed El-Halfaoui, Mohamed Bamhamed : Approche expérimentale de la reconnaissance du mot écrit en arabe (p. 77)

Résumé : Ce travail porte sur la reconnaissance du mot écrit en arabe. Deux approches complémentaires sont en jeu : la description linguistique de l'écriture arabe et la modélisation de cette langue pour le traitement automatique de ses textes écrits; la psycholinguistique cognitive, notamment le paradigme expérimental de l’amorçage rapide (masked-priming). Une première partie présente la structure du mot graphique en écriture arabe courante, i.e., "non-vocalisée". La conception de la morphologie de l’arabe comme système de connaissances linguistiques incluant des réseaux de dérivation ouvre à la démarche expérimentale des perspectives particulièrement intéressantes. La deuxième partie de cette contribution présente deux expérimentations menées en avril 2002 à Fès (Maroc). Elles font appel à l'amorçage rapide associé à une procédure de décision lexicale. La première fait usage d'amorces orthographiques. La seconde, qui manipule la fréquence des mots et des racines (au sens sémitique), a recours à des amorces morpho-lexicales (racine). La manipulation des fréquences a constitué une application originale de la base de données DIINAR.1.
Les résultats font apparaître, pour la 1e expérience, une quasi absence d’effet de l’amorçage orthographique avec des mots arabes triconsonantiques. La 2e expérience montre un effet très net de la racine dans la reconnaissance des mots. Ce travail, qui doit être poursuivi, fait apparaître des résultats qui convergent avec ceux de Frost & al. pour l'hébreu, et différents de ceux qui ont été obtenus dans les langues à alphabet latin, où la présence de lettres majuscules et minuscules semble, d'après des travaux récents sur la lecture de textes en lettres capitales, influer négativement sur la perception de "l'enveloppe" du mot. Le rôle de cette dernière paraît central en arabe, ce qui devra, naturellement, faire l'objet de recherches expérimentales ultérieures.

Abstract : The present contribution is concerned with the recognition of written word-forms in Arabic. Two complementary approaches are brought together: a) linguistic description of Arabic writing and related elaboration of modelled representations of the Language for the automatic processing of its written utterances, and b) cognitive psycholinguistics, with special reference to the masked-priming experimental paradigm. The structure of Arabic written word-forms in standard writing (commonly described as "unvowelled") is exposed in the first part of this work. Arabic morphology is considered as a knowledge system that encompasses various sets of derivational connections, which opens the way to promising experimental work. The second part introduces two experimental procedures which went on in Fez (Morocco) in April 2002. Both are based on masked-priming associated to lexical decision. The first experimental test is based on orthographic priming. The second test manipulates the frequency of words and roots (in the Semitic meaning of the term), and uses morpho-lexical priming (based, in this case, on roots). Word frequency as well as root frequency have been established using linguistic resources drawing on the DIINAR.1 Arabic lexical database.
Test 1 shows that there is almost no effect of orthographic priming with tri-consonantal Arabic words. Test 2 shows on the other hand a clear effect of the consonantal root on the recognition of words. The research should be carried on, but its results already appear to be consistent with that obtained by Frost & al. on Hebrew data, and to be different from what has been observed in languages using the Roman alphabet. In the latter, recent experimental results suggest that the use of capital and ordinary letters may have a negative influence on the perception of the "envelope" of words. The same perception seems to play a crucial role in Arabic, which will, of course have to be discussed in the light of further experimental results.

 

Dorit Ravid and Edna Kubi : What is a spelling error? The discrepancy between perception and reality (p. 87)

Résumé : Cette étude analyse la perception et la réalité d'un ensemble d'erreurs typiques de l'orthographe de l'hébreu, en comparant des erreurs naturelles et des erreurs intentionnelles selon des perspectives multiples. Les raisons pour lesquelles ces erreurs se produisent sont dues à la présence de graphèmes homophones et aux diverses représentations des voyelles et des consonnes en hébreu. Les unités orthographiques pouvant remplir des fonctions phonologiques ou morphologiques, les sujets hébreux utilisent des indices morphologiques. Cette étude reprend le point de vue de Karmiloff-Smith qui veut qu'une fois qu'un système cognitif est en place, les sujets peuvent l'altérer ou le violer délibérément. Cette analyse peut en outre nous apprendre ce que les scripteurs savent du système.

Les graphies produites par des scripteurs adolescents et des adultes ont été testées dans une double condition : "naturelle", à l'aide d'un texte dicté, et "provoquée", les sujets étant mis en situation de commettre ces erreurs. Dans la condition naturelle, les erreurs diminuent avec l'âge, et elles portent surtout sur des voyelles internes de mots. Dans la situation provoquée, l'âge ne produit plus de différences et la plupart des erreurs affectent les lettres consonantiques de la racine. Ainsi, le problème le plus important de l'orthographe de l'hébreu concerne les voyelles internes de mots mais, dans la perception qu'en ont les locuteurs, on constate une augmentation massive des erreurs sur les racines, qui deviennent le lieu par excellence des erreurs d'orthographe.

Abstract : The study examines the perception and reality of the typical site of spelling errors in Hebrew by comparing naturally occurring with deliberate errors from multiple perspectives. The potential for spelling errors in Hebrew derives from a number of homophonous graphemes and from the differential representation of consonants and vowels. Since orthographic units represent both phonological and morphological constructs, Hebrew spellers use morphological cues. The conceptual basis for this study comes from Karmiloff-Smith’s idea that once a certain cognitive system is mastered, it may be tampered with and deliberately violated by its possessors. Analyzing such deliberate errors can tell us what their producers know about the system.

The spelling of children, adolescents and adults was tested in a "natural" condition, where errors were analyzed in a text dictation, and in a "deliberate" conditions, where subjects were asked to commit deliberate spelling errors. In the natural condition, spelling errors declined with age, and most of them were in word-internal vowels. In the deliberate condition there were no age differences, and most errors were in consonantal root letters. Thus the most acute problem in Hebrew spelling is in word-internal vowel letters, but in the perception of Hebrew speakers, there is a massive magnification of root errors as the site of spelling errors.

 

Terezinha Nunes, Antonio Roazzi, Lair Levi Buarque : Learning to mark stress in written Portuguese (p. 99)

Résumé : En portugais, l'accentuation distingue des mots ayant une même séquence sonore, ce qui nécessite une représentation graphique de l'accent. Ce texte examine la façon dont les enfants brésiliens s'y prennent pour marquer cet accent à l'aide des voyelles "e", "o", "i" et "u", en position finale. Dans cette position, les voyelles "e" et "i" représentent le son /i/, et "o" et "u", le son /w/, mais les mots qui se terminent par "i" et "u" sont accentués sur la dernière syllabe alors que ceux qui se terminent en "e" et "o" sont accentués sur la pénultième. Or au Brésil cette règle simple n'est pas enseignée.

Les auteurs décrivent ici, à l'aide d'une étude transversale, les processus de marquage de l'accent en finale de mots terminés par /i/ et /w/. Ils font l'hypothèse qu'en lecture comme en écriture, trois facteurs influencent les enfants : une connaissance implicite des structures les plus usuelles, une connaissance lexicale spécifique et l'apprentissage de règles d'accentuation. Les prédictions sur l'aise relative avec laquelle les enfants lisent et écrivent les différentes formes de mots accentués sont validées. En effet, les mots et pseudomots accentués sur la syllabe finale sont significativement plus difficiles à orthographier que ceux qui sont accentués sur la syllabe pénultième mais c'est l'inverse qui se produit en lecture. Bien que la connaissance de la règle augmente avec les niveaux scolaires, au bout de quatre années d'enseignement, une moitié seulement des enfants semble maitriser cette règle simple.

Abstract : In Portuguese, words that have the same sequence of sounds are phonologically distinguished by stress. Consequently written Portuguese represents stress. This paper examines how Brazilian children use the vowels "e", "o", "i" and "u"‚ in final position, to mark stress. In the final position, the vowels "e" and "i" represent the sound /i/, and "o" and "u" represent the sound /w/, but words ending in "i" and "u" are stressed on the last syllable while those ending in "e" and "o" are stressed on the second last syllable. This simple rule is not taught in Brazilian schools.

A cross-sectional investigation of the acquisition of stress marking in words ending in /i/ and /w/ sounds is described. It was hypothesised that three trends influence children‚s stress marking in reading and spelling: implicit knowledge of the most common pattern, specific lexical knowledge, and learning stress-based rules. This led to the prediction of different patterns for reading and spelling concerning the relative ease of words stressed on the final or on the second last syllable. Results supported these predictions: spelling words and pseudowords stressed on the last syllable was significantly more difficult than those stressed on the second last syllable whereas the opposite was true of reading. Although the number of children showing rule knowledge increased with grade level, only about half of children seemed to master this simple rule after four years of instruction.

 

Sílvia Dinucci Fernandes : L'apprentissage de l'orthographe en portugais : les signes et les représentations graphiques (p. 109)

Résumé : Cet article s'intéresse au statut fonctionnel des unités graphémiques, asymétries comprises, dans le système graphique du portugais du Brésil. Il spécifie la diversité des opérations qui sont à la base de son apprentissage en décrivant les points les plus fragiles et les plus difficilement accessibles. Dans la dynamique d'un tel système, les unités graphiques ont des poids relatifs qu'il s'agit de détecter pour pouvoir les maîtriser. L'orthographe du portugais regroupe ainsi des phénomènes divers qui vont de la biunivocité entre un son et une lettre, à une polyvalence difficile à maîtriser (comment écrire le son /s/ par exemple), en passant par le contexte de la lettre ou de la syllabe dans le mot et les relations grammaticales. En mettant en évidence les spécificités du système ainsi que la perspective d'un apprentissage dynamique, l'étude des procédures graphiques peut aider à comprendre ce qui se passe au moment de l'acquisition.

Abstract : This article presents the functional status of graphemic units, asymmetries included, of the orthography of Brazilian Portuguese. It specifies the diversity of operations which are the basis of the learning process, differentiating the most fragile aspects from the most difficult ones. In order to describe the dynamics of such a system, it is necessary not only to take in account its basic mechanisms but also to detect the phenomenon that determines the difficulties. The orthography of Brazilian Portuguese groups together different aspects, from the biunivocity between sounds and letters to a more opaque polyvalence (how to spell the sound /s/ for example), to the position of a letter, or a syllable, in a word, to the grammatical relations. Stressing on the specificities of a particular orthographic system but also on the perspective of a dynamic learning, the study of these graphic procedures may help to better understand what happens during the process of acquisition.

 

Christine Nguyen Tri : Discours sur l’apprentissage de l’écriture chinoise (fin du xixe, fin du xxe siècle) (p. 117)

Résumé : Cet article analyse et met en parallèle les discours que des pédagogues chinois ont développé à un siècle d’intervalle (fin du xixe et fin du xxe siècle) autour de la question de l’écriture chinoise et de son apprentissage. À la fin du xixe siècle, à partir du moment où l’enseignement ne se limite plus aux Classiques et s’ouvre à un public plus large, les caractères chinois ont pu apparaître à certains comme inadaptés. Tandis que les premiers pédagogues modernes cherchent à simplifier la tâche des petits écoliers chinois, d’autres prônent l’abandon des caractères au profit d’une transcription phonétique alphabétique. Projet repris, puis très rapidement abandonné par les communistes chinois. Un siècle plus tard, après une réforme de l’écriture dans les années 1950, en RPC, les pédagogues continuent à chercher désespérément LA méthode qui permettrait à la majorité des enfants chinois d’apprendre sans difficulté leur écriture. Mais la difficulté est-elle vraiment plus grande pour eux, par rapport à leurs homologues français ou anglais ?

Abstract : This article compares and analyzes Chinese pedagogical discourses developed a century apart (at the end of the xixth and the end of xxth centuries) concerning the nature and teaching of Chinese writing. At the end of the xixth century, from the moment when teaching was no longer limited to the classics and opened to a larger public, Chinese characters appeared to some as obstacles to literacy. While one group of modern pedagogues tried to simplify the difficulties for Chinese schoolchildren of learning characters for Chinese, others favored the elimination of characters in favor of a phonetic alphabet. This project was taken up again, and then quickly abandonned, by the Chinese Communists. After a writing reform in the 1950s in the PRC, pedagogues continued to search despondently for THE method which would permit the majority of Chinese children to learn writing without difficulty. But is the difficulty of writing really greater for Chinese children, compared to their French or English peers?

 

2. Écritures et sociétés

Nelly Andrieux-Reix : Ateliers d’écriture et fabriques individuelles de normes collectives du français au Moyen âge (p. 129)

Résumé : Nous observerons des usages graphiques du français médiéval, antérieurs à toute forme de norme prescriptive, dans le cadre de la question suivante : comment des pratiques individuelles en viennent-elles à converger en usages de groupes et à s’ériger en une forme de norme communautaire ? L’étude porte essentiellement sur la lettre "o" et sur ce qui en a fondé, pendant une longue période, le fonctionnement comme archigraphème; il sera fait l’hypothèse que "o" a dû correspondre à une notation phonématique. Ces observations mettent au jour des mécanismes alors antérieurs à ceux qui ont engendré la norme prescriptive, ces derniers tendant depuis à occulter les autres.

Abstract : We intend to study writing customs of Old French, older than any establishment of writing rules, through the following question : how individual practices do come to converge towards group customs and build community rules? This study focuses on letter "o" as essential line of work and takes notices on which elements its use was set up for a long time as an archigraphem. An hypothese stands out of a phonematic notation as the underground of the use of this letter. These findings make clear the primary mechanisms already present well before those which have founded prescriptive rules and blinded the first ones.

 

Jean-Christophe Pellat : Variation et plurisystème graphique au XVIIème siècle (p. 139)

Résumé : La réflexion sur la dynamique de l'écriture du français au xviie siècle se situe à deux niveaux différents. À un niveau descriptif, on détermine les rapports et on évalue la tension entre la norme officielle et les usages graphiques du français classique, qui débouche sur un paradoxe à la fin du siècle : la contradiction entre la norme (ancienne) choisie par l'Académie française (1694) et les usages imprimés (modernes pour une bonne part) explique l'échec de la fixation de la norme orthographique à la fin du xviie siècle : à côté de certaines zones de stabilité, les hésitations de l'usage graphique restent nombreuses. À un niveau explicatif, on met à jour les principes directeurs de l'évolution des usages imprimés au xviie siècle, pour expliquer cette tension entre la norme et les usages et, partant, les positions et les choix individuels et collectifs. Dans le champ de la confrontation entre le principe phonographique (correspondances graphèmes - phonèmes), défendu par les réformateurs radicaux (minoritaires), et le principe historique (majoritaire), avancé entre autres par l'Académie, la dimension sémiographique (inférences sémantiques à partir des graphèmes) est mieux prise en compte, au point de compléter souvent le principe historique, sans donner lieu toutefois à des choix graphiques systématiques. Autrement dit, la prise de conscience progressive de la complexité de l'orthographe favorise des analyses faisant apparaître la mixité du système d'écriture du français.

Abstract : Reflexion on the dynamic forces driving the spelling of the French language in the xviith century can operate from two standpoints. Description, first, will determine relationships and assess tension between the classical French official norm and actual spelling usage; it reveals a paradox, towards the end of the century: the (old) norm adopted by the French Academy is contradicted by the printing practices (to a large extent innovative), and this accounts for the failure to establish a fixed norm at the end of the century. Amid areas of stability, spelling usage remained fluctuating. Next, explanation will identify the leading principles of changing printing usage in the course of the century and show how they can account for this tension between norm and practice, and hence for individual and collective positions and choices. Within the field of confrontation between the phonographical principle (graphemes standing for phonemes), endorsed by radical reformers (a minority), and the prevailing historical principle, a semiographical approach (a possibility for meaning to be inferred from graphemes) is given increasing scope. It often complements the historical principle, but not to the extent of leading to systematic spelling choices. In other words, a growing awareness of the complexity of spelling rules favours analyses bringing to light the mixed nature of the French spelling system.

 

Dieter Nerius : Les bases linguistiques de l'orthographe allemande et de sa réforme (p. 151)

Résumé : Cet article s'organise autour de cinq points : 1. Une définition et une brève description de la notion d'orthographe et des signes qui la composent; 2. La position du niveau graphique dans le système linguistique, la structure des principes orthographiques, de la fonction d'écriture à celle d'enregistrement; 3. La formation et la mise au point de l'orthographe de l'allemand, d'une courte caractérisation de son processus de développement, de sa standardisation au xixe siècle et des tendances de son développement au xxe siècle, jusqu'à la réforme de 1996; 4. Les principes et les buts d'une réforme de l'orthographe avec une analyse des facteurs qui déterminent son étendue; 5. Une description du contenu de la réforme de l'orthographe allemande de 1996 avec un état du processus de réalisation de son nouveau règlement.

Abstract : This article is organized around five main points. 1- A definition and a short description on the notion of orthography and of the signs which make it up; 2- The place of the graphic level in the linguistic system, and the structure of the orthographic principles, from the function of writing to the one of registering; 3- The genesis and focusing of the German spelling, from a short caracterization of its developmental processes to the 1996 reform, through its standardization during the 19th century and its following developpemental tendancies; 4- The principles and goals of an orthographic reform with an analysis of the factors determining its extent; 5- A description of the 1996 content reform of the German orthography, along with a state of the creation process of its new rules.

 

Martine Prost : L’écriture coréenne : entre phonographie et morpho-syntaxe (p. 163)

Résumé : Cet article traite dans une première partie de questions ethno-linguistiques liées au caractère digraphique de l’écriture coréenne (hangul, alphabet coréen + caractères chinois). La deuxième partie est une étude synchronique plus technique sur le mode d’opération du hangul. Elle tente de montrer en quoi ce système graphique est un espace permanent de négociation entre phonographie et morpho-syntaxe. Dans certains cas, les critères phoniques prévalent sur la sémiotique, dans d’autres, la transparence sémantique l’emporte.

Abstract : The first part of this paper deals with ethno-linguistic issues related to the Korean digraphic writing system (Hangul, Korean alphabet and Chinese characters). The second part is a synchronic and more technical study of the way the Hangul writing system operates. It tries to show that the procedure of graphic encoding is a space of permanent negotiation between phonography and morpho-syntax. In some cases, phonic criteria prevail over semiotics, whereas in others orthography gives more transparency to semantics.

 

Reza Mir-Sami : L'alphabet persan : une réforme nécessaire ? (p. 173)

Résumé : L'alphabet persan, emprunté à l'arabe avec quelques aménagements, fait l'objet d'intenses débats depuis plusieurs décennies. L'inadéquation et les difficultés posées par ce système fondé sur des racines consonantiques sont partagées, hormis quelques traditionalistes ou puristes, par tous les linguistes. Mais, sans parler de la situation politique, les points de vue divergent quant aux démarches à entreprendre. Il y a d'un côté les tenants de la continuité historique, de l'autre ceux qui souhaitent un changement radical de l'alphabet. Les premiers considèrent qu'il faudrait introduire progressivement des réformettes pour moderniser et standardiser l'alphabet. Les seconds estimant que la modernisation et la standardisation ne seraient envisageables qu'en adoptant, à l'instar des turcs, l'alphabet latin plus à même de "représenter" la langue et de répondre aux besoins actuels aussi bien sur le plan pédagogique que ceux liés aux nouvelles technologies.

Abstract : The Persian alphabet, which apart from a few necessary modifications, has largely been borrowed from Arabic, has been the object of acrimonious debate for several decades. All linguists, except a handful of traditionalists and purists, admit that a system based on consonantal roots is wholly inadequate for the transcription of Persian. But all political considerations put aside, opinions differ as to what steps are to be taken first. Some are in favour of historical inheritance while others are ready to approve a drastic replacement of the entire alphabet : to modernize and standardize the alphabet, the former would like to introduce small reforms in a progressive way while the latter think that modernization and standardization are only possible if the Latin alphabet is adopted , as was done by the Turks, since it is much more adapted to the representation of the language and would also answer the actual needs in the domains of educational methods and new technologies.

 

Pascal Griolet : L’écriture éparse, chirashi gaki, ou la féminité dans l’écriture japonaise des temps jadis (p. 183)

Résumé : Le syllabaire japonais, qui est appelé kana, aujourd'hui utilisé conjointement avec les caractères chinois, compte 48 signes qui se présentent sous deux formes, hiragana (signes dérivés de la cursive chinoise) et katakana (constitués par abréviation du tracé des caractères chinois). Bien que l'origine de ces deux séries diffèrent, elles fonctionnent aujourd'hui en parallèle, les katakana jouant un rôle un peu analogue à nos signes italiques. Alors que les caractères chinois auxquels furent associés les katakana ont été longtemps considérés comme une écriture masculine, les hiragana furent, eux, appelés onnade, littéralement"main de femmes". Après avoir présenté et analysé un modèle de lettre dans un manuel de correspondance pour femmes du milieu de la fin du XIXe siècle, je tenterai de cerner la frontière entre écriture masculine et féminine — ainsi que ses ambiguïtés — et présenterai les règles du bon usage de l'écriture en kana qui ont été conçues au cours de l'histoire et la façon dont elles ont été appliquées.

Abstract : In today Japan, the syllabary called kana is used jointly with Chinese characters. It is made up of 48 signs representing two sets, hiragana (derived from the Chinese cursive script) and katakana (an abreviated line of Chinese characters). Despite a different origin, these two sets act today along the same line, katakana fulfilling a more or less similar function than our italics. For a long time, Chinese characters and katakana were considered like masculine scripts while hiragana were better called onnade, litteraly "women's hand". After having presented and analysed a model of letter coming from a women correspondence textbook dating from the mid-XIXth century, I will try to delineate the boundary — and its ambiguity — between the masculine script and the feminine one. Then, I will present the rules of the "bon usage" in kana as they were designed during their history, and the way they were implemented.

 

Viviane Alleton : Écriture chinoise : permanence et fragilités (p. 193)

Résumé : Aujourd'hui des centaines de millions de chinois lisent et écrivent en utilisant l'écriture chinoise. Celle-ci n'a pas fait obstacle aux adaptations de la Chine au monde contemporain. Cela s'explique par la maîtrise généralement acquise d'un tracé manuel qui constitue une base technique solide et par la construction des caractères à partir d'éléments récurrents permettant la mémorisation d'un vocabulaire étendu. Cependant la disproportion entre le nombre relativement limité des caractères "légitimes" et celui des combinaisons possibles d'éléments peut conduire à la prolifération des caractères. La maîtrise de l'inventaire n'est assurée que par l'action de l'Etat, motivée par la nécessité pour une Chine multilingue d'une écriture transcrivant une "langue commune".

Abstract : Today, hundreds of millions of Chinese read and write using the Chinese script which has not been an obstacle to the adaptation of China to the modern world. This may be explained by the command of a manual skill that offers a solid technical ground, and by the fact that characters are made of a limited number of "elements" that are used in different combinations. However the disproportion between the relatively limited number of legitimate characters and the number of possible combinations may lead to proliferation. The legitimation of the corpus is performed by the State, which needs to maintain the unity of a multilingual China by ensuring the unicity of the writing system, that transcribes a "common language".

 

Françoise Bottéro : Les variantes graphiques dans l'écriture chinoise (p. 205)

Résumé : Malgré plusieurs tentatives d’unification de l’écriture avec recours, en 221 avant notre ère, à l’autodafé des livres, en Chine ancienne l’usage des variantes graphiques est demeuré courant. Si certaines d’entre elles ont été engendrées par des erreurs d’écriture, la plupart ne correspondent pas à des graphies erronées. Liées à la création et à l’évolution des caractères, elles ont malgré tout un statut à part. Beaucoup d’entre elles coexistent, c’est pourquoi on ne peut pas se contenter de les associer uniquement au problème de l’évolution de l’écriture, comme le font la plupart des auteurs chinois. Dans cet article, je montrerai à partir d’une perspective historique et générale ce que l’on entend par variante graphique dans le cas de l’écriture chinoise et je présenterai le contexte de leur apparition, avant d’évoquer la situation actuelle en République Populaire de Chine et à Taïwan.

Abstract : In ancient China, the use of graphic variants was a common phenomenon despite several attempts to unify the writing system. Though some variants resulted from writing errors, this is not true for the vast majority of allographs. Instead they have a special status while evidently being related to the creation and evolution of the writing system. Since many graphic variants coexist synchronically, it is impossible to reduce them to a diachronic phenomenon as is the usual practice among specialists in China. The present paper provides a definition of what counts as a graphic variant and describes the general and historical background for their appearance. Last but not least, it concisely discusses the present situation in modern China.

 

Jean-Marc Hilgert : Sémiologie de l’écriture électronique (p. 215)

Résumé : Cet article s’appuie sur une expérience pédagogique qui a mené à une réflexion sur la sémiographie. Les étudiants de la maîtrise FLE élaborent en équipe des logiciels multimédia d’apprentissage du français avec Hypercard,. Nous nous concentrerons ici sur les difficultés qu’ils rencontrent pour que l’utilisateur du logiciel puisse faire apparaître à l’écran la définition d’un mot du texte qu’il ne comprend pas en cliquant simplement dessus. La mise au point de cet hypertexte s’avère complexe parce qu’elle oblige à se soumettre aux règles d’une écriture électronique parfois contre-intuitive afin que son usage soit facile et intuitif. Cet écart entre deux formes d’écriture amène à revisiter la linguistique le statut du mot : chaîne de caractères et signe, token et type. Il mobilise également la psycholinguistique avec le concept de niveau cognitif. Les solutions proposées amènent à relativiser d'éventuels parallèles entre les opérations mentales et l’informatique.

Abstract : The origin of this communication is a teaching experiment which led to semiography. Student teams of postgraduation in French as foreign language have made French learning softwares using Hypercard. We will focuse our attention on the difficulties found by these students so that the user of the software have the definition of a word while clicking simply above. The hypertext building appeared complex because the students had to cope with non-intuitive electronic writing so that the use of the hypertext can be easy and intuitive. This difference between two forms of writting — natural and electronic ones — led to review the status of the word: at the same time character string and sign, token and type. It also mobilizes the psycholinguistics with the concept of cognitive level. Solutions for the hypertext founded on artifacts bring to relativize, on our level, eventual parallels between mental and computer process.

 

François Dausse : Acte d’écriture, de lecture et ponctuation (p. 223)

Résumé : L’approche du fonctionnement de l’écrit défendue ici repose sur la prise en compte du schéma communicatif qu’il implémente. L’accent mis sur le mécanisme cognitif précédant immédiatement l’écriture permet de montrer que cette dernière repose sur une linéarisation graphique d’une énonciation préconstruite dont seul est pris en note le niveau syntaxique. Le niveau énonciatif, dont la caractéristique est d’avoir déjà été dit, donc d’être reconstructible, n’est jamais pris en note. Seuls seront notés au moyen de ponctèmes les endroits où l’enveloppe énonciative n’est pas congruente avec le niveau syntaxique pour des raisons discursives. Cette approche permet d’unifier toutes les écritures selon une même matrice : la présyntaxisation. Elle attribue également au blanc un rôle fondamental d’introducteur du niveau syntaxique et permet une nouvelle analyse de l’écriture sans blancs de l’époque pré-moderne.

Abstract : The new approach to the functioning of written language proposed here is based on a better acknowledgment of the communicative mechanism involved in its use together with the focusing on the cognitive process preceding writing immediately. Writing is then seen as a graphical linearization of a cognitively preformated utterance whose syntactic level is taken down but not the discursive one. The latter is yet retrievable when reading as this level has formated the syntactic one. Conflicts between syntactic and discursive levels will result in the use of punctuation marks whose functions are then to reveal a problem while their graphical forms are to solve it.

 

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