Faits de Langues - Les Cahiers n°2 - 2010présentation générale

La diversité des langues n’a pas fini d’être cause d’étonnement mais aussi défi pour les linguistes, tant elle résiste à l’opposition simpliste entre « le même » (les universaux) et « l’autre » (une irréductible singularité des configurations propres à chaque langue). Avec Les Cahiers, la revue Faits de langue entend faire de cette question un enjeu de découverte, d’élaboration théorique, de réflexion, mais aussi de confrontation et d’investigation empirique.

Par les questions qu’elle entend traiter, la revue Faits de langue – Les Cahiers s’adresse à l’ensemble de la communauté des linguistes. Elle se veut un lieu où se côtoient et dialoguent la diversité des langues et la diversité des courants théoriques, dans un ton qui combine la vivacité des documents de travail avec la précision d’articles de référence. Pour aborder cet enjeu dans toute sa complexité, chaque numéro est construit autour de plusieurs rubriques qui sont autant d’éclairages de la question de la diversité des langues.

 

La rubrique Gros Plan présente un article où un équilibre, nécessairement fragile et provisoire, entre la singularité des données et la réflexion théorique débouche sur l’explicitation d’un programme de recherche. L’article de Zygmunt Frayzyngier présente une théorie syntaxique dont l’objectif premier est de rendre compte des ressemblances mais aussi des différences syntaxiques entre les langues. Faisant sienne la notion de signification grammaticale introduite par Roman Jakobson, et reprenant des notions qu’il a déjà élaborées précédemment, l’auteur pose que face à la transparence fonctionnelle, caractéristique essentielle des langues naturelles, et aux capacités cognitives, deux facteurs de convergence entre les langues, seul un petit nombre de traits spécifiques aux langues expliquent les divergences, et qu’ils portent sur l’encodage de domaines et sous-domaines fonctionnels, et sur les moyens de codage disponibles. L’auteur démontre, à travers des illustrations variées, la valeur heuristique et explicative du modèle ainsi élaboré.

 

La rubrique Dossier réunit des articles qui apporte de nouveaux éclairages sur une langue ou un groupe de langues, une catégorie ou encore une problématique théorique innovante ou peu connue. Dans ce numéro le dossier est consacré à la diathèse passive, avec deux articles complémentaires par les questions et les phénomènes étudiés. L’article de Sophie Vassilaki est consacré à la morphologie médio-passive en grec. Soulignant l’instabilité morphologique et référentielle de ces formes, l’auteure développe une comparaison systématique entre les constructions à morphologie médio-passive et les constructions intransitives proches. L’article de Joseph Deth Thach étudie le verbe tr?? (« toucher ») en khmer qui sert à former la diathèse passive (dans de nombreuses langues la diathèse passive repose sur un verbe qui a par ailleurs un contenu lexical). L’auteur situe cette construction passive avec tr?? par rapport aux autres emplois et valeurs et il montre qu’il n’y a pas, dans cet emploi, grammaticalisation de tr??. La construction passive doit être décrite comme un cas de constructions verbales en série. Dans les deux articles, une attention toute particulière est portée aux paramètres énonciatifs et discursifs qui caractérisent ces deux constructions.

 

La rubrique Langues une à une accueille des études portant sur des langues singulières, qu’il s’agisse d’explorer le statut d’une catégorie dans une langue, de mettre en évidence des phénomènes jusqu’ici ignorés ou encore de s’appuyer sur les données d’une langue pour bousculer des conceptions trop vite consacrées comme des évidences. L’article de Hélène de Penanros aborde la question de la préfixation en lituanien avec l’étude des verbes préfixés formés avec iš-. Un verbe préfixé est analysé comme le résultat d’une combinatoire entre la base et le préfixe considéré comme un prédicat. Cette combinatoire se met en place sur plusieurs plans, autonomes et articulés : lexical (identité sémantique de la base et du préfixe), sémantique et syntaxique. Cette approche permet de rendre compte de la diversité des verbes préfixés en iš- mais aussi des valeurs, parfois opposées, de certains verbes. L’article de Yoshiko Suto est une analyse des emplois inter-propositionnels de la particule to en japonais. Dans le prolongement des emplois de to coordonnant l’auteur montre que la relation que construit to entre les deux procès ressortit à un double mouvement : le second procès n’est actualisé que dans le cadre de sa mise en relation avec le premier, et, en retour, la prise en compte du second procès conditionne l’interprétation du premier. Ce qui justifie la caractérisation du rapport construit entre les deux procès comme contingent et nécessaire.

 

La rubrique Langues entre elles s’intéresse à la comparaison entre langues, qu’il s’agisse de mettre l’accent sur ce qui les rapproche ou au contraire sur ce qui les distingue. L’article d’Alexandru Mardale examine le marquage différentiel de l’objet dans trois langues romanes, l’espagnol, le roumain et le sarde, en recourant à une approche multifactorielle, montrant les limites des approches fonctionnaliste et sémantico-lexicale. Il examine plus particulièrement les corrélations entre marquage de l’objet et type de dénotation en jeu, montrant ainsi que le marquage différentiel de l’objet est incompatible avec les objets de type ‘propriété’. L’article de Denis Paillard étudie la pertinence de la notion de prédicat complexe pour décrire les verbes préfixés du russe et du khmer, les particules verbales de l’anglais et les constructions verbales en série du khmer. Dans ces trois cas, il est légitime de parler de prédicat complexe au sens où une même proposition met en jeu plus d’un élément prédicatif. Ce qui les différencie c’est le degré d’autonomie des éléments prédicatifs en jeu : il est minimal pour les verbes préfixés, relatif pour les particules verbales et maximal avec les constructions verbales en série (dans une CVS, chaque verbe doit être caractérisé comme un moment particulier de la construction d’un événement complexe).

 

La rubrique Débats est destinée à permettre la confrontation des points de vue et ouvrir un dialogue, y compris d’un numéro à l’autre. L’article de Jaïmé Dubé, Alan Ford et Rajendra Singh réexamine l’approche inspirée par la Théorie de l’Optimalité chez Marc Plénat (1996, 1997, 2008) sur les dérivés en -Vche. L’article propose une alternative à l’analyse de Plénat, en se fondant sur la Whole Word Morphology (R. Singh et A. Ford), et en mettant en œuvre les principes théoriques de Chomsky, Prince & Smolensky, Dressler, dans une perspective non consensuelle qui suscitera, nous l’espérons, une réponse dans les numéros suivants.

 

La rubrique Nouvelles lectures se penche ici sur Humboldt, qui suscite un intérêt croissant en France depuis une trentaine d’années. L’actualité de Humboldt réside notamment dans le fait que, dès le XIXe siècle, il a travaillé sur des langues naturelles jusque-là non décrites. La contribution d’Anne-Marie-Chabrolle-Cerettini porte sur les apports de Humboldt à la linguistique, par le croisement d’une notion de linguistique générale fondée sur la diversité des langues, et du concept de système.

La rubrique Terrains, dans une approche qui définit la notion à la fois comme une méthodologie spécifique et une façon particulière d’être linguiste, comprend un article d’Amina Mettouchi et Christian Chanard qui présentent un projet en cours de corpus oral des langues afro-asiatiques, et livrent à la communauté scientifique l’argumentation détaillée des choix méthodologiques et technologiques opérés en matière d’annotation, de métadonnées, de fonctionnalités de recherche, en vue de permettre l’émergence de projets similaires dans d’autres phylum linguistiques.