Avant-propos (Historique du projet)
par Nelly Andrieux-Reix et Christian Puech
Université de Paris III Sorbonne Nouvelle; Res-syled
A l'origine de notre projet d'étudier les pratiques abréviatives, il y a eu le constat que nous employons tous des abréviations dans les activités d'écriture les plus banales du quotidien : liste d'achats à prévoir, de tâches à accomplir, de rendez-vous à ne pas oublier, notes prises au vol d'une communication téléphonique, d'une émission de radio, notes prises au cours d'une lecture, rédaction de brouillons divers…
Tous, même ceux qui affirment ne jamais écrire en abrégé, ce qui est doublement informatif :
— cette pratique d'abréviations, qui accède souvent à peine à la conscience, du moins à la mémoire, est entièrement spontanée (ce qui ne signifie pas qu'elle n'emprunte pas occasionnellement à des systèmes déjà répertoriés, très variables selon les formations intellectuelles reçues par leurs usagers);
— ceux qui en pratiquent peu — et il y en a — emploient les formes qui se trouvent être les plus fréquentes chez les autres utilisateurs.
Car — et ce fut là le constat déterminant dans notre choix d'étude —, ces abréviations spontanées que nous pratiquons tous sans avoir été formés aux méthodes de l'écriture abrégée, que nous pratiquons ordinairement pour notre seul et propre usage, donc à visée réflexive, sans souci de communication avec autrui, sont sensiblement les mêmes pour tous et s'avèrent ainsi décodables par tout lecteur improvisé qui maîtrise bien notre langue.
Il s'est révélé, en outre, d'étranges ressemblances entre nos abréviations spontanées du XXème siècle et celles qui étaient communément pratiquées dans les manuscrits médiévaux, où elles étaient le fruit non seulement de pratiques individuelles, mais d'un enseignement obligé.
D'où l'idée que nous avons eue d'aller débusquer les écritures abrégées partout où il pouvait y en avoir.
Ce qui nous a menés au constat qu'elles devaient ne pas être également possibles partout car il ne s'en observait jamais en deçà d'un seuil de maîtrise de la langue écrite.
Ce qui nous a aussi — et surtout — conduits à explorer toute sorte de champs encore largement ouverts à la recherche : dans des types de textes très variés, engagés dans des situations de production et des destinations aussi très différentes (messages électroniques, notes d'étudiants prises en cours…), ainsi que dans des codes graphiques autres qu'alphabétique, dans des codes de notre époque comme d'époques révolues.
Cela explique le caractère comme "éclaté" de cet ensemble d'études à partir d'un centre devenu effacé : de proche en proche, nous en avions fini par oublier de revenir à l'examen de nos pratiques quotidiennes; ce manque a pu néanmoins pu, in fine, être sinon entièrement comblé, du moins en partie réparé sous la forme d'une liste d'abréviations spontanées recueillies auprès d'une dizaine de scripteurs francophones, d'âges et de formations très variables.
Cette liste révèle bien des ressemblances avec d'autres relevés, preuve s'il en fallait que l'éclatement de l'ensemble des études rassemblées ici n'était qu'apparent : qu'elles soient ou non l'objet de codifications, et quelle que soit la nature du matériau graphique qu'elles travaillent, les pratiques abréviatives répertoriées mettent finalement toutes en œuvre un nombre réduit de procédures, où se révèle le poids du signifiant et l'importance de l'image elle-même : les lettres saillantes sont toujours celles qui restent prioritairement, même si elles peuvent ne correspondre à aucune prononciation (ex. pds pour poids, tps pour temps), de même que l'abrègement d'une écriture idéographique ne relève guère que d'une simplification du dessin.