n° 51-1 : Langues des Monts Nouba Languages in the Nuba MountainsRésumés / Abstracts

 

Présentation générale par Nicolas Quint et Stefano Manfredi (p. 5)

1. Typologie et comparatisme

Nicolas Quint & Stefano Manfredi : Les monts Nouba : une région riche de ses langues [The Nuba Mountain: a linguistically diverse region] (p. 9)

Résumé : Depuis Quint (2006), les langues parlées dans les monts Nouba n’ont jamais fait l’objet d’une synthèse générale en langue française. C’est ce que se propose d’effectuer la présente introduction. Dans une première partie, nous nous appliquerons à présenter les langues parlées aujourd’hui dans les monts Nouba, en mettant l’accent sur les variétés autochtones mais en mentionnant aussi les autres idiomes (en particulier différentes formes d’arabe) également pratiqués dans cette région. Dans une seconde partie, nous montrerons que, malgré leurs nombreuses différences typologiques et phylogénétiques, les langues des monts Nouba (ou tout au moins la plupart d’entre elles) présentent aussi des points communs et qu’il est également possible de concevoir les monts Nouba comme une aire de convergence linguistique. Nous conclurons enfin sur les perspectives qui s’ouvrent pour les recherches sur les langues des monts Nouba, à l’orée du second quart du 21e siècle.

Abstract : Since Quint (2006), no general account of the languages spoken in the Nuba Mountains has ever been published in French. This paper aims at filling that gap. In section 1, we introduce the various languages spoken today in the Nuba Mountains, emphasizing the importance of native tongues but also mentioning the other languages in use in that region, in particular several local varieties of Arabic. In section two, we show that, in spite of their many typological and phylogenetic differences, most of Nuba Mountain languages do share a significant amount of commonalities, allowing to conceive of the region as an area of linguistic convergence. We conclude on the challenges and prospects that future research on the Nuba Mountain languages is expected to meet on the brink of the second quarter of the 21st century.

 

Larry M. Hyman : A note on Nuba Mountain verb extensions [Une brève étude des types de dérivés verbaux attestés dans les monts Nouba] (p. 29)

Résumé : Cet article, qui se fonde sur les publications disponibles ainsi que sur la consultation de divers spécialistes, s’intéresse à la vaste palette de dérivés verbaux attestés dans les langues des monts Nouba, lesquels illustrent notamment les types fonctionnels suivants : causatif, applicatif locatif et datif, comparatif, passif, antipassif, réciproque et réfléchi, associatif et instrumental, vénitif, andatif, habituel, itératif et pluriactionnel. Au vu de la diversité des formes observées dans les différentes communautés linguistiques de la région, je propose des critères permettant de déterminer si un dérivé donné peut être rattaché à une ancienne forme reconstruite ou s’il s’agit d’une innovation récente. Je fournis également un tableau conséquent contenant les divers dérivés attestés et les comparant avec les formes reconstruites dans divers embranchements des phylums Niger-Congo, nilo-saharien, afro-asiatique et khoisan.

Abstract : Based on the available literature and personal communications with specialists, this paper surveys the rich occurrence of verb extensions in the Nuba mountain languages which mark different grammatical functions such as causative, dative and locative applicatives, comparative, passive, antipassive, reciprocal/reflexive, and associative/instrumental, as well as ventive, itive, habitual, iterative and pluractional marking. Given the diversity of forms among the different groups in the area, a set of guidelines is considered to determine whether specific extensions can be reconstructed or are recent innovations. An extensive table is provided which provides the forms of the reported extensions and compares them with those reconstructed in specific subbranches of Niger-Congo, Nilo-Saharan, Afro-Asiatic, and in Khoe.

 

2. Catégories grammaticales

Angelo Ali Naser & Sharon Rose : Ideophones in Moro [Les idéophones en moro] (p. 37)

Résumé : Cet article décrit la catégorie des idéophones en moro, catégorie dont on étudie à la fois les propriétés linguistiques et les usages, en se fondant sur des données provenant de la variété locale de Thetogovela. Sont notamment passés en revue les caractéristiques phonético-phonologiques des idéophones en moro, leur appartenance catégorielle, leur comportement syntaxique, leurs particularités sémantiques et leur degré de conventionnalisation au niveau du lexique. Les idéophones du moro expriment une vaste gamme de signifiés d’ordre sensoriel, impliquant notamment l’audition, le toucher, le mouvement ou la vue. Ils sont invariables, apparaissent normalement en fin d’énoncé et présentent de ce fait de nombreuses similitudes avec la catégorie des adverbes. Ces mêmes idéophones sont souvent introduits par des verbes supports signifiant notamment ‘faire’, ‘être’ ou ‘manger’, ce dernier étant plus spécifiquement lié au domaine visuel. Certains idéophones sont redoublés, et ce procédé est parfois associé à la notion de pluriactionnalité. Au point de vue phonique enfin, les idéophones se distinguent par le fait qu’ils présentent un éventail distributionnel de leurs obstruantes (allophones, positions…) plus riche que celui des autres catégories lexicales et aussi par un recours fréquent à des phénomènes à valeur expressive tels que l’allongement de certaines obstruantes ou la réalisation chuchotée de divers éléments.

Abstract : This article presents a descriptive study of ideophones in Moro, addressing both their structural characteristics and usage, with data from the Thetogovela dialect. We describe their sound patterns, word categorization and placement within sentences, and discuss their meaning and conventionalization. Moro ideophones convey a wide range of sensory meanings, including sound, touch, movement and visual patterns. They are uninflected and typically appear utterance finally, most closely resembling adverbs. Ideophones are often introduced by support verbs, including ‘do’, ‘be’ and ‘eat’, the latter for visual patterns. Ideophones may exhibit reduplication, which in some cases can correspond to pluractionality. The main distinctive sound pattern of Moro ideophones is a wider distribution of obstruents, as well as a performative use of expressive duration and phonation.

 

Gertrud Schneider-Blum & Birgit Hellwig : Property concepts in Tabaq: More than one road can lead to Rome [L’expression de la qualification en tabaq ou comment différents chemins peuvent mener à Rome] (p. 63)

Résumé : Dans cet article, nous nous intéressons aux interactions entre la catégorie morphologique des adjectifs, la sémantique de la qualification et les dépendants du nom en tabaq, une des langues nubiennes du Kordofan (phylum nilo-saharien), parlée au Soudan, dans le Nord-Ouest des monts Nouba. La catégorie grammaticale des adjectifs ne comporte en tabaq qu’un faible nombre d’items couvrant un éventail restreint de notions sémantiques et jouant de ce fait un rôle réduit dans la qualification, que l’on peut considérer comme la fonction définitoire de la classe des adjectifs. En revanche il existe en tabaq de nombreux items ayant une fonction qualificative et dérivés de deux autres catégories grammaticales, à savoir les verbes et les noms : la présente étude fait le point sur les différentes façons d’exprimer la classification en tabaq..

Abstract : In this paper, we investigate the interplay between the morphosyntactic class of adjectives, the semantics of property concepts, and the function of noun modification in Tabaq, a Kordofan Nubian language (Nilo-Saharan phylum) spoken in the north-west of the Nuba Mountains in Sudan. Tabaq has a small class of adjectives containing few semantic types, and playing only a limited role with respect to the core function of adjectives: the modification of nouns. By contrast, a large number of descriptive modifiers is derived from two other word classes, verbs and nouns, and this paper describes the different ways of coding property concepts in Tabaq.

 

3. Syntaxe

Thilo C. Schadeberg : Tmesis in Ebang (Heiban, Kordofanian) [Les phénomènes de tmèse en heiban (Niger-Congo, famille heibanienne)] (p. 79)

Résumé : Cet article fait le point sur un phénomène syntaxique complexe portant sur la place du sujet en heiban, une langue kordofanienne parlée dans les monts Nouba (Soudan).  Dans la construction étudiée, le sujet lexical, qui peut être constitué d’un nom ou d’un syntagme nominal entier, est inséré à l’intérieur du complexe verbal. Ce sujet est régulièrement inséré juste avant le radical verbal et après les marques de flexion relatives audit verbe. Je montre ici que la partie initiale de cette forme verbale discontinue part n’est pas un mot autonome mais une forme dépendante, ce qui donne à penser que la notion de mot morphologique et celle d’unité de base syntaxique ne coïncident pas forcément.

Abstract : This paper describes an intricate pattern of subject placement in Ebang, a Kordofanian language spoken in the Nuba Mountains (Sudan). In this construction, a lexical subject appears within a complex verb form. The lexical subject may consist of a bare noun or a whole noun phrase. The insertion point is immediately before the verb stem but after all inflectional morphology. The initial part of the discontinuous verb form is shown to be not a word but a bound form, suggesting that the notions of morphological word and syntactic atom need not coincide.

 

Angelika Jakobi, Ali Ibrahim & Gumma Ibrahim Gulfan : Verbal Number and Grammatical Relations in Tagle [Du nombre verbal (pluriactionnalité) en taglé et de son interaction avec les rôles actanciels] (p. 99)

Résumé : En taglé, l’usage du nombre verbal, qui se traduit par le recours pour un même verbe à des radicaux singulier et pluriel distincts, outre le fait qu’il permet d’exprimer le contraste entre une action unique ou répétée, a aussi d’autres fonctions. En effet, le nombre verbal est aussi utilisé comme un outil morphosyntaxique permettant de coder différents rôles actanciels. Ainsi, le choix d’un radical singulier ou pluriel dépend également du nombre du sujet intransitif (S) et de l’objet transitif (P). Dans le cas des verbes dérivés applicatifs ditransitifs, le choix du radical se fait en fonction du rôle sémantique de chacun des deux objets. Lorsque ces deux objets jouent respectivement le rôle de bénéficiaire (B) et de thème (T), c’est le nombre de l’objet direct T (et non celui de l’objet indirect B) qui commande le choix d’un radical singulier ou pluriel pour le verbe. En revanche, quand l’objet indirect jouent le rôle d’expérimenteur (Exp), c’est lui (et non T) qui interagit avec le nombre verbal.

Si l’on compare d’une part le comportement vis-à-vis du nombre verbal des deux objets B et T de la construction ditransitive à bénéficiaire et d’autre part celui de l’objet P de la construction transitive, il apparaît que c’est P et T (et non B) qui commandent le choix d’un radical singulier ou pluriel pour le verbe. Le parallélisme du comportement de T et de P et le contraste établi avec B permettent de poser l’existence d’une construction à objet indirect, schématisée sous la forme T = P ≠ B.

Abstract : In Tagle, verbal number, as realized by singular and plural stems, has not only aspectual functions in expressing single and multiple events. Verbal number also serves as a morphosyntactic device encoding specific grammatical relations : The selection of a singular or plural stem is sensitive to the number of the intransitive subject (S) and the transitive object (P) participant. In derived ditransitive applicative constructions, the stem selection depends on the semantic roles of the two object participants. When they are assigned the roles of Beneficiary (B) and Theme (T), it is the number of the direct object T (rather than the indirect/applied object B) which selects a singular or plural stem. When assigned the roles of Experiencer (Exp) and T, however, the Exp (rather than T) interacts with verbal number.

When comparing the two ditransitive objects of the Beneficiary construction, B and T, to the object P and when taking their interaction with verbal number as parameter of the comparison, one finds that T and P (rather than B) interact with verbal number. The alignment of T with P and the non-alignment of B can be identified as indirect object construction, T = P ≠ B.

However, when the Exp role is assigned to the indirect/applied object and the T role to the direct object, Exp (rather than T) selects the singular or plural stem, i.e. Exp behaves like P. This alignment pattern, Exp = P ≠ T, is known as secondary-object construction.

 

Peter Jenks : Verbal and verbless copular clauses in Moro [Propositions copulatives en moro : avec ou sans verbe] (p. 117)

Résumé : La langue moro dispose d’un large éventail de propositions copulatives, lesquelles contrastent nettement entre elles sur le plan syntaxique. Certaines sont articulées autour d’un élément verbal, d’autres autour d’un prédicat non-verbal (ou pseudo-verbe) en partie fléchi sur le modèle des verbes, d’autres encore ne comportent aucun élément comparable à un verbe. Dans cet article, je montre que les propositions copulatives verbales et pseudo-verbales peuvent être considérées comme fondamentalement prédicatives. En revanche, les propositions copulatives dépourvues de verbe ne sont pas à proprement parler prédicatives et n’ont que des fonctions d’identification ou d’équation. Ceci étant posé, je m’applique à développer ici une analyse syntactique économique permettant de rendre compte de la distribution morphosyntaxique de ces différents types de propositions.

Abstract : Moro has a rich array of copular clause constructions which show clear contrasts in their syntactic makeup. One class of copular clauses contain verbal heads, others are headed by non-verbal predicates that bear some inflectional morphology which is shared with verbs, while a final group of copular clauses lack any words which could be identified as verbs. I show that verbal and verb-like copular clauses always contain a predicative core. On the other hand, verbless copular clauses lack predicative semantics, serving the functions of identification or equation. I provide a simple syntactic analysis which accounts for the morphosyntactic distribution of the different types of clauses.

 

Darryl Turner : Towards a unified analysis of Katcha nominal modifiers [Une proposition d’analyse unifiée des dépendants du nom en katch] (p. 141)

Résumé : Cet article décrit et analyse la syntaxe des dépendants du nom en katcha. Les trois principaux dépendants du nom en katcha, à savoir les démonstratifs, les compléments de nom et les propositions relatives, s’accordent tous en genre avec leur nom référent (auquel ils se rapportent). Ils se voient également affectés d’une marque morphologique spécifique quand le nom référent a une fonction de complément oblique et ils peuvent apparaître dans des constructions dépourvues de nom référent, auquel cas ils ont une valeur pronominale.

Dans la présente étude, je défends l’idée qu’on peut faire entrer l’ensemble des dépendants du nom dans un cadre unique d’analyse pourvu qu’on admette les deux principes suivants : (i) les marques introduisant un complément de nom ou une proposition relative sont des allomorphes du démonstratif proche ; (ii) les démonstratifs du katcha sont fondamentalement des pronoms avant que d’être des déterminants. De cette façon, l’ensemble des dépendants du nom peuvent être conçus comme des syntagmes appositifs contrôlés par des pronoms démonstratifs. Il reste possible, dans le cadre de cette analyse, d’inclure les démonstratifs médian et éloigné dans le système et d’expliquer ainsi pourquoi, quoiqu’ils aient des formes différentes des autres dépendants du nom, ils présentent une distribution similaire à celle de ces derniers.

Dans la dernière partie de l’article, je replace mon analyse dans une perspective translinguistique, en comparant le phénomène observé en katcha avec le concept d’état construit, couramment utilisé dans l’étude des langues sémitiques mais qui semble pouvoir être également appliqué avec profit à diverses langues africaines.

Abstract : This paper presents a description and analysis of the syntax of nominal modifiers in Katcha. The three main types of nominal modifiers in Katcha, demonstratives, possessive noun phrases and relative clauses, all agree with their head noun in gender, are morphologically marked when their head noun is a peripheral argument of the verb, and can occur in ‘headless’ constructions where there is no overt head noun. In the latter case they have a pronominal interpretation.

The paper argues that a unified account of all nominal modifiers can be provided by adopting two premises: firstly, the possessive and relative markers are allomorphs of the proximal demonstrative; secondly, demonstratives in Katcha are pronouns rather than determiners. All nominal modifiers can then be characterized as appositional phrases headed by demonstrative pronouns. This characterization allows the inclusion of the medial and distal pronouns into the system, explaining why they have a different form to all other nominal modifiers, but identical distribution.

The final section adds cross-linguistic perspective by discussing the relationship between this analysis of Katcha and the notion of construct state, most familiar in Semitic, but which has been argued to be a concept appropriate to a number of African languages.

 

Suzan Alamin : Word Order and Agreement in Tagoi [ordre des mots et schèmes d’accord en tagoï] (p. 161)

Résumé : Cet article décrit en détail différents paradigmes, schèmes d’accord et phénomènes syntaxiques attestés en tagoï, une langue kordofanienne traditionnellement parlée dans la province soudanaise du Kordofan méridional. Après une brève présentation du tagoï (1re partie), j’introduis le système des classes nominales dans cette langue (2e partie) puis l’ordre des mots et les schèmes d’accord observés au niveau du syntagme nominal (3e partie). Dans une 4e partie, je traite de l’ordre des constituants au niveau des propositions et des phrases. Enfin, dans la 5e partie, je fais le point sur le contenu de cette étude, qui a pour but d’aider à mieux comprendre la grammaire, la structure et les principales caractéristiques typologiques du tagoï.

Abstract : This study provides a detailed description of word order types, agreement patterns and alternations found in Tagoi, a Kordofanian language traditionally spoken in South Kordofan. After a brief presentation of the language (section 1), the noun class system is introduced (section 2) and the word order and agreement patterns are examined at the noun phrase level (section 3). Section 4 gives information about the constituent order at clause and sentence level, while Section 5 summarizes the findings and conclusion of the paper. All in all, the paper aims at contributing to a better understanding of the grammar, structure and typological features of Tagoi.

 

4. Sociolinguistique et contact de langues

Mona Hashim, Suzan Alamin & Gertrud Schneider-Blum : Arabic borrowings in Tima [Les emprunts faits à l’arabe par le tima] (p. 175)

Résumé : Dans cet article, nous étudions les emprunts faits à l’arabe par le tima, une langue Niger-Congo parlée au Nord-Ouest des monts Nouba (ainsi que dans des communautés diasporiques dispersées dans tout le Soudan). Pour différentes raisons, mentionnées dans notre étude, la culture arabe tend à influencer de façon croissante les us et coutumes des Timas, et ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la langue tima, dont l’usage actuel révèle, à différents degrés en fonction des locuteurs et des contextes, la présence d’items lexicaux, de syntagmes voire de phrases entières empruntés à l’arabe. Dans un premier temps, nous analysons en détail les mécanismes phonotactiques et morphophonologiques d’adaptation des emprunts faits à l’arabe par le tima. Puis nous nous employons à définir les conditions sociolinguistiques qui régissent le contact des deux langues étudiées ici, à savoir l’arabe et le tima. Nous concluons qu’une approche axée sur la notion de répertoire semble la plus adaptée pour rendre compte de façon satisfaisante des usages linguistiques effectivement attestés de nos jours au sein de la communauté tima.

Abstract : In this contribution, we look at Arabic borrowings in Tima, a Niger-Congo language spoken in the north-west of the Nuba Mountains (as well as in the Sudanese diaspora). Due to several factors, outlined in the paper, Arab culture has been exerting more and more influence on the Tima way of life, especially with regard to the Tima language, where we find – to varying degrees – Arabic lexemes, phrases and whole utterances. A detailed analysis of the phonotactic and morpho-phonological adaptation of Arabic borrowings is followed by a discussion on the socio-linguistic setting of language contact, i.e. essentially a contact between Arabic and Tima speakers. Eventually, as we argue, a repertoire approach seems the appropriate way to tackle the issue of language use in today’s Tima society.

 

Siri Lamoureaux : Ethnic nationalism and gendered morality in the semiotic construction of the Moro language of Sudan [Du développement sémiotique de la langue moro (Soudan) : nationalisme ethnique et moralité genrée] (p. 197)

Résumé : Cet article, qui s’inscrit dans le champ de l’anthropologie linguistique, analyse des points de vue portant sur les liens entre langue, genre et nationalisme. En me fondant sur l’étude des idéologies linguistiques et de la fonction indexicale du genre, je m’attache à suivre le développement du concept de « langue moro », dans un contexte d’expansion d’un nationalisme moro à base ethnique et géographiquement implanté dans les monts Nouba (Soudan). Je montre comment, au niveau indexical, la « langue moro » est devenue progressivement associée à la notion d’autorité masculine. Les Moros revendiquent une identité nouba et chrétienne, contrastant avec les références dominantes de la culture arabo-musulmane. La production d’écrits moros d’inspiration chrétienne, contrôlés par une élite patriarcale, constitue le point de référence pour le sentiment ethnique et unitaire moro. L’élaboration de la langue moro, en tant qu’objet métapragmatique, entretient également des liens étroits avec les représentations morales ainsi qu’avec celles portant sur la place des sexes dans la société moro. Je mets ainsi à jour l’existence de deux registres de langue: la production de textes, considérée comme l’apanage des hommes et contrastant avec l’oralité, apanage des femmes. La société moro a ainsi recours à des idéologies fondées sur le genre pour développer un nouveau style écrit et parlé, le « moro biblique ». Ce moro biblique est issu d’un processus de standardisation marqué par l’interaction entre les deux registres de langue susmentionnés. Les débats idéologiques qui sous-tendent le moro biblique transparaissent à différents niveaux, tels que les discours métalinguistiques, ainsi que dans la langue employée tant dans le cadre de l’enseignement qu’au quotidien. De fait, au vu de l’importance politique prise par la standardisation de la langue dans une période marquée par de rapides changements culturels, même des projets apparemment neutres sur le plan idéologique se révèlent au bout du compte chargés de nombreuses implications morales.

Abstract : This paper brings together discussions on language and nationalism, with gender and nationalism. Drawing from ‘language ideology’ and ‘indexical gender’ from a linguistic anthropological approach, it traces the emergence of the “Moro language”, in the context of a Moro ethnic national movement, originating in the Nuba Mountains of Sudan, and how it became indexically linked with masculine authority. Moro identify as Nuba and Christian, as opposed to Arab and Muslim, the dominant identities. Christian literacy, spearheaded by patriarchal leadership became the frame through which Moro organized ethnic identity and unity. The constructed language, as the object of metapragmatic evaluation, is also tightly woven into norms of morality and gender within the community. Two registers are identified: textuality is normatively masculine and orality is normatively feminine. The Moro community draws on gendered ideologies to produce a new writing and speaking style, the “Moro Bible Language” (MBL). MBL results from the interweaving of the two registers in language standardization practices. Negotiating the ideologies that bring MBL to life occurs in metalinguistic discourse, teaching, learning and speaking styles. Since the politics of standardization are foregrounded, even seeming apolitical projects are laden with moral worth in the turbulent context of rapid cultural change.