Mary-Annick Morel et Laurent Danon-BoileauGrammaire de l'intonation. L'exemple du français.

 

De l'oral à l'écrit, il y a un monde. La différence est si grande que la description du français oral ressemble plus souvent à celle d'une langue exotique qu'à la grammaire du français écrit telle que nous la connaissons.
Cet ouvrage est le fruit d'une recherche pluridisciplinaire associant traitement informatique de la prosodie, analyse morphosyntaxique et lexicale, et énonciation. La spécificité de la démarche s'organise autour de deux points.
Un point théorique : la prise en compte du rôle crucial de l'intonation, lequel est ici mesuré et explicité. D'où le titre Grammaire de l'intonation.
Un point de méthode : l'analyse est fondée sur des textes oraux relativement longs recueillis dans des situations de parole différentes : discussions à bâtons rompus, interviews, dialogues argumentatifs, récits, interactions de service, consultations d'expert, exposés didactiques, etc.
De manière générale, entre l'effet de l'intonation et celui des indices morphosyntaxiques et lexicaux, il n'y a pas superposition, mais au contraire complémentarité.
Du point de vue structurel, l'agencement des segments de l'oral n'est ni une dislocation du schéma "Sujet Verbe Complément", ni une simple association du type "Thème Rhème". Ce sont essentiellement les indices intonatifs qui assurent la démarcation de l'unité fondamentale de l'oral le "paragraphe" et la cohésion interne de ses constituants majeurs le "préambule", le "rhème" et le "postrhème".
Quant à l'intonation, pour en saisir les effets, il convient de l'analyser selon ses différents indices. Chacun dispose en effet d'une valeur iconique.
Les variations - vers le haut ou vers le bas - de la mélodie (F0) indiquent la façon dont celui qui parle, en tant qu'énonciateur, se représente la pensée de celui auquel il s'adresse. L'intensité marque la manière dont, en tant que locuteur, il entend gérer son tour de parole. La spécificité de l'échange spontané oral réside, en effet, dans un double jeu d'anticipations: anticipation, d'une part, des attentes et des objections que l'énonciateur prête à celui auquel il s'adresse (coénonciation), anticipation de la revendication du droit de chacun à la parole d'autre part (co-locution). La durée relative d'une syllabe indique la représentation que celui qui parle se fait de l'état de la formulation des idées qu'il s'apprête à exposer sitôt qu'il aura dit ce qu'il est en train de dire. La pause-silence enfin permet, sur la base d'une attention supposée partagée, d'homogénéiser ce qui précède et de valoriser ce qui va suivre.
Mais un indice n'arrive jamais seul, et c'est essentiellement le couplage des indices qui permet de stabiliser les différentes fonctions de l'intonation dans une langue donnée, en l'occurrence ici le français oral spontané.