n° 54-1 : Recherches sur les langues finno-ougriennes : syntaxe, discours, contacts, corpusRésumés / Abstracts

Présentation générale par Outi Duvallon et Rea Peltola (p. 5)

Recherches sur les langues finno-ougriennes

Miestamo Matti, Shagal Ksenia, Silvennoinen Olli O. &Yurayong Chingduang : Le marquage de l’objet dans les propositions complétives sous négation : le cas des langues fenniques [Object marking in complement clauses under negation: The case of Finnic languages] (p. 11-39)

Résumé : Dans les langues fenniques, les verbes transitifs peuvent avoir deux types d’objets marqués par le cas : objet total et objet partitif. Dans les propositions négatives, cette distinction est neutralisée, tous les objets prenant le cas partitif. De plus, lorsqu’une proposition négative contient une subordonnée complétive positive, l’objet de la complétive peut être partitif même si un objet correspondant dans une proposition principale était total. Dans cette étude, nous examinons le phénomène du partitif de négation à distance dans ce type de contexte et testons l’hypothèse selon laquelle le choix du cas de l’objet dans les complétives sous négation reflète l’intégration structurale de la complétive dans la proposition matrice : plus la complétive est intégrée dans la principale, plus les objets ont tendance à être au partitif si la proposition principale est négative. Cette hypothèse est examinée dans des corpus de six langues fenniques : le livonien, l’estonien, le vote, le finnois, le carélien et le vepse. Les résultats de notre analyse conforment à l’hypothèse et montrent que dans les langues fenniques, le marquage de l’objet peut refléter le degré de l’intégration structurale entre la complétive et la proposition matrice.

Abstract: In Finnic languages, transitive verbs have two types of object, indicated by case: total and partitive. In negative clauses, the distinction between total and partitive objects is neutralized, and all objects take the partitive case. When a negative clause contains a positive complement clause, the object of the complement clause may be in the partitive even when it would otherwise be total. In this study, we examine the phenomenon in such complement clauses and test the hypothesis that case marking in complement clauses under negation reflects structural integration between the main clause and the complement clause: the more tightly the clauses are integrated, the more likely are objects to be partitive, when the main clause is negative. This hypothesis is tested with corpus data from six Finnic languages: Livonian, Estonian, Votic, Finnish, Karelian and Veps. The results of our study offer support to the hypothesis and suggest that object marking can reflect structural integration between the main clause and the complement in Finnic languages.

 

Kok Maria : On Finnic possessive suffixes and possessive reflexives with a special focus on Veps and Lud languages [Sur les suffixes possessifs et les réfléchis possessifs en langues fenniques, avec une attention particulière pour le vepse et le lude] (p. 41-77)

Abstract: This article examines the usage patterns and declining process of possessive suffixes in Finnic languages. Possessive suffixes are pronoun originated grammatical markers that have cognates in all branches of Uralic language. Alongside their main function as adnominal possessive markers, they are known to have a range of other meanings and functions, such as emphasizing the referent of a personal pronoun. The role of possessive suffixes has also been significant in the development of reflexive and possessive-reflexive pronominal constructions. Even in languages where no longer in use, possessive suffixes have left their mark on these constructions.

In Finnic languages, the use of possessive suffixes has either ceased or it is on decline, though the details of the declining process display variation across the languages. Several stages of decline can be observed, and they are accessed by comparing the same or similar text material, as well as grammatical descriptions of Finnic languages.

Résumé : Cet article examine l’utilisation et le processus de déclin des suffixes possessifs dans les langues fenniques. Les suffixes possessifs sont des marqueurs grammaticaux d’origine pronominale qui ont des équivalents dans toutes les branches des langues ouraliennes. Outre leur fonction principale en tant que marqueurs possessifs adnominaux, ils sont connus pour avoir une série d’autres significations et fonctions, telles que la mise en emphase du référent d’un pronom personnel. Le rôle des suffixes possessifs a également été important dans le développement de la construction pronominale réfléchie et de la construction possessive-réfléchie. Même dans les langues où ils ne sont plus utilisés, les suffixes possessifs ont laissé des traces dans ces constructions.

Dans les langues fenniques actuelles, l’utilisation des suffixes possessifs a soit cessé, soit est en déclin. Les détails du processus de déclin varient d’une langue à l’autre, et plusieurs stades de déclin peuvent donc être observés. L’article propose d’accéder à ce processus en comparant des textes identiques ou similaires dans les différentes langues fenniques, ainsi que des descriptions grammaticales de ces langues.

 

Grünthal Riho : Syntactic transfer and Russian influence in Veps [Transfert syntaxique et influence du russe sur le vepse] (p. 79-96)

Abstract: The current article examines Russian influence on Veps in the light of morphosyntactic change, morphological borrowing and the adoption of new categories. Spoken language has traditionally played a dominating role in the development of Veps and involved extensive variation. Conceivably, there is plenty of both dialectal and idiosyncratic variation in the adoption of Russian characteristics. Actual language contact is based on the intertwining of inherited and borrowed features, and multiple ways of adapting foreign patterns in morphological and syntactic rules. Consequently, the parallel use of Veps and Russian vocabulary and grammar has increased non-Finnic features in Veps.

In the current article prefixal verbs are analysed in more detail by a cross-analysis of verbal morphology in Veps and Russian. The borrowing of Russian verbal prefixes in Veps shows that, in principle, lexically ruled grammatical patterns are more easily borrowed than categories that influence morphological paradigms.

Résumé : Cet article s’intéresse à l’influence du russe sur le vepse du point de vue des changements et emprunts morphosyntaxiques et de l’adoption de nouvelles catégories. La langue orale a joué un rôle déterminant dans l’évolution du vepse et a été à l’origine d’une variation importante. L’adoption de propriétés du russe a abouti à une variation à la fois dialectale et idiosyncratique. À l’état actuel, le contact de langues se caractérise par l’imbrication de propriétés héritées et empruntées, et par différentes manières d’adapter les structures empruntées aux règles morphologiques et syntaxiques de la langue vepse. Comme conséquence de l’emploi simultané d’éléments du vocabulaire et de la grammaire vepses et russes, le nombre de traits qui ne sont pas d’origine fennique a augmenté en vepse.

Les verbes préfixés sont examinés en détail à l’aide d’une analyse croisée de la morphologie verbale vepse et russe. L’emprunt de préfixes verbaux russes en vepse montre qu’en général, les structures grammaticales qui sont d’ordre lexical sont plus facilement empruntées que les catégories qui ont trait aux paradigmes morphologiques.

 

Tavi Susanna : Assessing the memory walk method in fieldwork in Tver Karelia [Évaluation de la méthode des promenades de mémoire dans le cadre de travaux de terrain en Carélie de Tver] (p. 97-115)

Abstract: This paper presents a data collection method that has been utilized in fieldwork in Tver Karelia in the Tver Oblast of the Russian Federation. The memory walk method derives from cultural research concerning sensory memory. I have applied it to collect data on bilingual resources in the Karelian lexicon in the environmental context of Karelian villages. The research data contain nine memory walk interviews conducted in 2018. The method is evaluated using keyword analysis to assess the similarities and differences in the received lexical data. In the analyses, each of the interviews (target corpus) was compared with the remaining eight interviews (reference corpus) resulting in a list of keywords that either occur more often or more rarely in the target corpus than the reference corpus. As a result, only a few content words emerged in the analyses. Differences occurred in the use of particles, which are typical to speech data. The differences in the use of particles can be explained by bilingual resources: some speakers tended to use more Karelian and some more Russian words. In conclusion, the method seems to result in fairly consistent data despite the spontaneous nature of speech.

Résumé : Cet article présente une méthode de collecte de données, issue de recherches culturelles sur la mémoire sensorielle, qui a été utilisée lors des travaux de terrain en Carélie de Tver, dans l’oblast de Tver de la Fédération de Russie. La méthode des promenades de mémoire a été appliquée pour recueillir des données sur les ressources bilingues du lexique carélien dans le contexte environnemental des villages caréliens. Le corpus contient neuf entretiens réalisés pendant des promenades de mémoire en 2018. La méthode est évaluée à l’aide d’une analyse des mots-clés afin de déterminer les similitudes et les différences dans les données recueillies. L’analyse a consisté à comparer chacun des entretiens (corpus cible) aux huit autres entretiens (corpus de référence), ce qui a abouti à une liste de mots-clés apparaissant dans le corpus cible à une fréquence soit plus élevée, soit plus basse que dans le corpus de référence. Comme résultat, seuls quelques mots de contenu ont émergé des analyses. Des différences ont été observées dans l’utilisation de particules qui sont typiques des interactions orales. Ces différences peuvent être expliquées par des ressources bilingues : certains locuteurs avaient tendance à utiliser plus de mots caréliens, tandis que d’autres utilisaient davantage de mots russes. En conclusion, la méthode semble permettre de collecter des données relativement cohérentes malgré le caractère spontané des échanges oraux.

 

Edygarova Svetlana : The syntax of the Permic languages during the totalitarian regime in the Soviet Union [La syntaxe des langues permiennes pendant le régime totalitaire en Union soviétique] (p. 117-141)

Abstract: In this article, I investigate how the syntax of the Permic languages, Udmurt and Komi, looked during the totalitarian regime in the Soviet Union in the 1930s. In particular, I compare the Udmurt and Komi translations of the Russian text Speech of Comrade J. V. Stalin, published in December 1937. The main research framework of the article is studies on the language of Soviet Communism, also known as Newspeak, e.g. Thom (1989), Sériot (1985, 1986), and Young (1992). These studies claim that the Russian language of Soviet communism was characterized by heavy syntax, nominalization and elimination of verbs. In this article, I demonstrate how translations of Russian Newspeak into Komi and Udmurt changed the syntax of these languages, particularly in the Komi and Udmurt media of the 1930s. The article shows that the Permiс languages were modified for ideological propaganda purposes by mixing them with the Russian language. I also show how the syntax of the Udmurt and Komi languages affected the accuracy of translations.

Résumé : Cet article examine la question de savoir comment la syntaxe des langues permiennes, l’oudmourte et le komi, se présentait pendant le régime totalitaire en Union soviétique dans les années 1930. Plus précisément, il s’agit de comparer les traductions oudmourte et komie du texte russe Discours du camarade J. V. Staline, publié en décembre 1937. Le cadre théorique principal est fourni par des études portant sur la langue du communisme soviétique, connue sous le nom de Newspeak (« novlangue »), par exemple Thom (1987, 1989), Sériot (1985, 1986) et Young (1992). Ces études soutiennent que la langue russe de la période soviétique se caractérisait par une syntaxe lourde, les nominalisations et l’élimination de verbes. Le présent article démontre comment les traductions de la novlangue russe en komi et en oudmourte ont modifié la syntaxe de ces langues, en particulier dans le contexte des médias komis et oudmourtes des années 1930. Les modifications, faites à des fins de propagande idéologique, consistaient à mélanger les langues permiennes avec le russe. L’article montre également que les propriétés syntaxiques oudmourtes et komies ont affecté l’exactitude des traductions.

 

Serdobolskaya Natalia : The syntactic position of genitive modifiers in Beserman Udmurt [La position syntaxique des modifieurs génitifs en besserman] (p. 143-165)

Abstract: The paper is focused on the syntactic properties of genitive modifiers in Beserman Udmurt. Apart from the canonical genitive construction with obligatory possessive marking, genitive preposed to the head and head-adjacent (not separated by higher constituents), Beserman allows the structures where the genitive is non-adjacent to the possessum, the possessive suffix is absent, and the possessed nominal may be replaced by an anaphoric pronoun or a question word. Following Edygarova (2010) and Usacheva & Arkhangelskiy (2016), I propose to analyze these constructions in terms of external possession. The genitive in such constructions often has a meaning of a personal locative in terms of Daniel (2003). Thus, I claim that there are two different syntactic positions for the genitive. One of them is a position inside the NP, and another one is external to the NP. On occasion, both positions can be simultaneously filled in spontaneous speech.

Résumé : Cet article étudie les propriétés syntaxiques des modifieurs génitifs en oudmourte des Bessermans. En plus de la construction génitive canonique comprenant un suffixe possessif obligatoire ainsi qu’un génitif antéposé au nom tête et adjacent à celui-ci (non séparé par des constituants externes au syntagme nominal), on observe en besserman des structures où le génitif n’est pas adjacent au possessum, où le suffixe possessif est absent et où le nom tête peut être remplacé par un pronom anaphorique ou un mot interrogatif. En suivant les travaux d’Edygarova (2010) et d’Usacheva & Arkhangelskiy (2016), l’article propose d’analyser ces constructions en termes de possession externe. Le génitif y a souvent la valeur d’un locatif personnel, selon la terminologie de Daniel (2003). La thèse soutenue est alors qu’il existe deux positions syntaxiques différentes pour le génitif. L’une d’elles est interne au syntagme nominal, alors que l’autre est externe au syntagme nominal. Ces deux positions peuvent parfois être occupées simultanément dans le discours oral spontané.

 

Teptiuk Denys : Expression of reason and purpose via reported discourse in Finno-Ugric [Expression de la raison et du but à travers le discours rapporté dans les langues finno-ougriennes] (p. 167-195)

Abstract: This paper investigates the causal meanings arising from reported discourse in non-standard written online communications among six Uralic languages: Erzya, Estonian, Finnish, Hungarian, Komi, and Udmurt. Unlike previous studies focusing on non-locutionary functions of quotative markers, this study scrutinizes cases in which reported discourse preserves its locutionary function of presenting speech or thought but discursively conveys the additional meaning of reason or purpose.

The results show that additional causal meanings are found across all languages of the sample in the contexts in which non-clausal quotative markers introduce reported discourse. The meaning of reason and purpose can be overtly marked by causal markers like reason and purpose conjunctions or implied in the context. On both occasions, a discourse unit presenting reason or purpose almost exclusively follows a discourse unit to which the reported justification is presented. Quotative particles among these Uralic languages show a preference for reported discourse conveying reason, except for the Permic self-quotative particles, which are attracted more to reported speech and thought conveying purpose.

Résumé : Cet article examine les valeurs causales qui émergent du discours rapporté. Le corpus étudié comprend des communications écrites publiées en ligne en six langues finno-ougriennes : erzya, estonien, finnois, hongrois, komi et oudmourte. Contrairement aux études antérieures, axées sur les fonctions non locutoires des marqueurs quotatifs, cet article examine les cas où le discours rapporté préserve sa fonction locutoire de représentation de paroles ou de pensées tout en transmettant une valeur discursive supplémentaire de raison ou de but.

Les résultats montrent que dans toutes les langues du corpus, de telles valeurs se retrouvent dans les contextes où le discours rapporté est introduit par une particule quotative. Les valeurs de raison et de but peuvent être indiquées explicitement par des marqueurs causaux tels que les conjonctions, ou elles peuvent rester implicites dans le contexte. Dans les deux cas, l’unité discursive présentant la raison ou le but a tendance à suivre celle à laquelle une justification est apportée sous forme de discours rapporté. Les particules quotatives montrent une préférence pour le discours rapporté exprimant une raison, à l’exception des particules auto-quotatives permiennes attirées davantage par le discours rapporté exprimant un but.

 

Horváth Csilla : From the kitchen to pop culture: The role of Mansi heritage speakers in language shift and language revitalization [De la cuisine à la culture pop : Le rôle des locuteurs d’héritage du mansi dans le changement de la langue et la revitalisation linguistique] (p. 197-212)

Abstract: Mansi is a severely endangered minority language spoken mainly by the Mansi, an indigenous people of the Russian North. Traditionally the Mansi were living on fishing, hunting, gathering, and reindeer breeding, but as a result of industrialisation in the region, they gradually moved to urban types of settlements. Since the beginning of the 21st century the heritage language speakers became visible as a distinctive category beside the group of Mansi native speakers. The Mansi heritage language speakers have less proficiency in Mansi, but they are more active and creative in negotiating the position of their language and culture. As a result of the heritage language speakers’ activity, Mansi is not only the language of the kitchen small talks, but also became the language of the contemporary indigenous pop culture.

Résumé : Le mansi est une langue minoritaire en grand danger de disparition. Ses locuteurs sont principalement des Mansi, un peuple indigène du Nord de la Russie. Traditionnellement, les Mansi vivaient de la pêche, de la chasse, de la cueillette et de l’élevage de rennes, mais en raison de l’industrialisation de la région, ils se sont progressivement installés dans des zones urbaines. Depuis le début du XXIe siècle, les locuteurs de la langue d’héritage sont devenus visibles en tant que groupe distinct des locuteurs natifs du mansi. Les locuteurs de la langue d’héritage maîtrisent moins bien le mansi, mais ils sont plus actifs et créatifs dans la promotion du statut de leur langue et de leur culture, contribuant ainsi à l’extension des domaines d’utilisation de cette langue. Grâce à leur activité, le mansi n’est pas seulement la langue des conversations de cuisine, mais aussi celle de la culture pop autochtone contemporaine.

 

Varia

Coulibaly Sékou : Tonologie du minyanka de Pénesso [The tonology of Minyanka of Penesso] (p. 213-245)

Résumé : Les langues sénoufo, dont le minyanka, sont généralement considérées comme des langues à trois tons : haut, moyen et bas. Cet article montre que la variété du minyanka parlée à Pénesso n’a que deux tons. Il passe en revue les différentes règles tonales attestées dans ce parler. En conclusion, il montre que ce parler n’est pas la seule langue sénoufo à n’avoir que deux tons.

Abstract: The Senufo languages, including Minyanka, are generally considered as having three tones: high, mid and low. This article points out that the Minyanka dialect spoken in Penesso has only two tones. It goes through the different tone rules attested in this dialect. In the conclusion, it shows up that this Minyanka dialect is not the only Senufo language which has only two tones.