n° 50-1 : Comparaison d’égalité et de similitudeEquative and similative constructions

 

Présentation générale

par Claudine Chamoreau* et Yvonne Treis**

* sedyl et cemca (cnrs-inalco-ird-meae), courriel : claudine.chamoreau@cnrs.fr

** llacan (cnrs-inalco), courriel : yvonne.treis@cnrs.fr



 

Ce volume réunit recueille 11 articles[1] présentant, excepté l’introduction, des études originales sur des langues à tradition orale (langues des familles afroasiatique, arawak, austronésienne, nakh-daghestanienne, chibcha, sino-tibétaine et toungouse ainsi que d’une langue créole) dont les constructions de comparaison d’égalité et de similitude n’avaient pas été étudiées jusque-là.

Les analyses se basent essentiellement sur des données recueillies sur le terrain par les auteurs et parfois complétées de données écrites issues de textes ou de grammaires publiés. Au-delà des objectifs descriptifs, les contributions proposent aussi une perspective comparative et typologique. D’un point de vue comparatif, plusieurs articles examinent, soit différentes langues en synchronie dans des perspectives génétique, dialectale ou aréale, soit différentes étapes d’une langue en diachronie : les dialectes de l’évène et des langues toungouses par Pakendorf, les créoles guadeloupéen et martiniquais ainsi qu’une perspective diachroniques par Jeannot-Fourcaud, l’arabe ḥassāniyya et l’arabe classique par Taine-Cheikh, le tchétchène, l’ingouche et le bats par Guérin, les langues de la famille chibcha par Chamoreau, les langues polynésiennes par Moyse-Faurie, le lizu et ses voisins le namuzi, le pumi, le nuosu, le kham tibetain, et le mandarin du sud-ouest par Chirkova, le mojeño trinitario et le mojeño ancien par Rose, le caijia dans un environnement aréal sinitique par Lu. D’un point de vue typologique, les différents auteurs discutent les constructions décrites par rapport aux typologies existantes, en particulier Haspelmath et al. (2017)[2], montrant les adéquations avec celles-ci ou les difficultés de classer certaines constructions, comme les différents types de constructions bi-propositionnelles, les constructions avec un standard générique, l’omission du paramètre généralement attestée pour la comparaison de similitude mais aussi largement présent en évène pour la comparaison d’égalité.

Les articles présentés ici se centrent sur les comparaisons d’égalité et de similitude, souvent en alliant à la description de ces types de comparaisons, celle des constructions de comparaison d’inégalité (Chirkova, Taine-Cheikh, Gúerin, Moyse-Faurie). De plus, deux articles (Pakendorf, Guérin) abordent les expressions de simulation. La dernière contribution (Rose) se consacre uniquement à la similitude.

Katia Chirkova aborde la morphosyntaxe des constructions de comparaison en lizu, une langue tibéto-birmane parlée dans le sud-ouest de la Chine. Elle décrit d’abord les quatre types de constructions : constructions comparatives de supériorité et d’infériorité, constructions superlatives de supériorité et d'infériorité, constructions de comparaison d’égalité et constructions de comparaison similative. Puis, elle place leurs caractéristiques distinctives dans une perspective typologique plus large. Les constructions sont caractérisées par leur diversité des moyens d’expression mais aussi par la coexistence de constructions concurrentes (en particulier pour les constructions d’égalité et de similitude). Les données de lizu suggèrent aussi quelques types nouveaux (tel que la construction comparative d’égalité générique). Au-delà de la description des constructions en lizu, cet article donne un aperçu des constructions typologiquement diverses dans les langues de la région où le lizu est parlé.

Catherine Taine-Cheikh, offre une description des types de comparaison en arabe ḥassāniyya. D’une part, elle s’attache à étudier la comparaison qui repose sur une évaluation quantitative qu’elle soit d’égalité ou d’inégalité, et, celle qui comporte une évaluation qualitative. Dans la comparaison de supériorité, le standard, nécessairement présent, est introduit par le marqueur mən et le paramètre fait appel à une dérivation morphologique spécifique (dite elative). Les comparaisons d’égalité et de similitude se différencient par leurs marqueurs de standard: il est gədd dans le premier cas, kīv dans le second. Mais la structure canonique est identique, il s’agit toujours du type comparé + marqueur de standard + standard dans lequel l’omission du paramètre est possible. D’autre part, l’article propose une analyse diachronique des marqueurs de comparaison, à la fois la question de leurs origines et celle des valeurs secondaires prises dans d’autres contextes. Les lexicalisations auxquelles ces marqueurs donnent naissance sont également discutées.

Françoise Guérin décrit les constructions de comparaison d’inégalité, d’égalité et de similitude dans des langues nakh-daghestaniennes, le tchétchène, l’ingouche et le bats. Les constructions de comparaison d’inégalité dans ces trois langues présentent un standard, toujours marqué par le cas comparatif (cas réservé exclusivement à l’expression de la comparaison), le paramètre est un adjectif. En revanche dans les constructions de comparaison d’égalité le cas comparatif est utilisé mais le paramètre est un nom ou un prédicat exprimant un procès, dans ce cas le marqueur de standard apparait sur le verbe non fini de la proposition subordonnée, l’emploi du cas comparatif exprime ainsi un rapport de quantité équivalente entre les deux procès. Pour sa part, l’ingouche se distingue du tchétchène car il n’emploie pas le cas comparatif mais utilise l’adverbe massal ‘tel, tellement, tant’ comme marqueur de standard dans une comparaison d’égalité quantitative qui signifie ‘autant que’ lorsque le standard est un nom. Les constructions de comparaison de similitude en tchétchène, en ingouche et en bats utilisent une postposition signifiant ‘comme’.

Brigitte Pakendorf décrit comment dans des variétés de l’évène, langue de la famille toungouse, un marqueur restreint à l’expression de l’égalité des dimensions mesurables (taille, longueur, âge, etc.) contraste avec un cas marquant la similitude et possédant une ample gamme de fonctions. Celui-ci permet l’expression de l’égalité des propriétés gradables et non-gradables, la similitude de manière, ainsi que la similitude des actions ou des états. L’évène présente des caractéristiques peu fréquentes, comme l’omission possible, pour la comparaison d’égalité, du paramètre, implicite dans le sémantisme du marqueur de standard. Ce travail décrit aussi une construction spécifique pour la simulation, attestée dans d’autres langues toungouses comme l’evenki.

Béatrice Jeannot-Fourcaud présente les différentes possibilités qu’offrent les créoles guadeloupéen et martiniquais pour exprimer la comparaison d’égalité et de similitude. Elle s’attache à décrire les emplois de kõ ‘comme’ en montrant qu’il est aussi bien utilisé pour la comparaison d’égalité que pour celle de similitude. Elle montre aussi les différentes valeurs sémantiques de cette unité en dehors de la comparaison : la causalité et la simultanéité, fonctionnant ainsi comme un subordonnant. Il existe de plus une structure qui utilise osiki uniquement attestée pour la comparaison d’égalité. Au-delà d’une description en synchronie dans les deux créoles, une perspective diachronique est proposée afin de faire le lien entre les emplois comparatifs en français classique de l’unité «comme», et les emplois de kõ dans des textes anciens.

Claire Moyse-Faurie décrit les constructions de comparaisons de similitude et d’égalité dans différentes langues polynésiennes. Ces constructions sont formées par des verbes spécifiques soit des verbes de ressemblance, soit des verbes démonstratifs de manière. Chacun de ces verbes couvre des domaines sémantiques spécifiques (ressemblance historique ou physique, similitude de comportement, identité complète, deixis de manière, etc.). Les verbes démonstratifs sont complexes et comportent un élément déictique, indiquant la distance entre le locuteur et l'interlocuteur et un élément ontologique référant à la réciprocité ou à la manière. De plus il existe des constructions de comparaison de similitude où est utilisé un marqueur de standard ‘comme’. Quelques langues utilisent le numéral ‘un’ comme prédicat pour l’expression d’identité complète.

Claudine Chamoreau montre que généralement aucune distinction formelle n’est réalisée entre les constructions de comparaison d’égalité et de similitude dans les langues de la famille chibcha. Seules quatre langues opèrent cette distinction et c’est toujours la comparaison d’égalité qui présente une construction spécifique. Toutes les langues chibcha étudiées dans cet article ont une construction avec un marqueur de standard pour exprimer des comparaisons d’égalité et de similitude. Dans ce type de construction, il est intéressant de distinguer les langues qui ont l’ordre constitutif attendu pour les langues SOV de celles qui ne l’ont pas. Cette distinction révèle une scission pertinente au niveau typologique, géographique et génétique dans les langues de la famille chibcha entre le pesh, les langues du nord et les langues du sud d’une part et les langues centrales d’autre part. Elle permet aussi de montrer que dans les langues de la famille chibcha, la position du standard par rapport au paramètre est identique à celle du syntagme postpositionnel par rapport au verbe et non celle de l’objet. De plus, dans différentes langues, l’égalité montre une construction bi-propositionnelle complexe.

A partir de données enregistrées, de sources écrites et d’élicitations, Yvonne Treis étudie la morphologie, la morphosyntaxe et l’emploi de six démonstratifs similatifs et équatifs en kambaata, langue couchitique. Le premier démonstratif de manière, hitt-íta ‘ainsi’ est un pronom, le thème du deuxième démonstratif, hittig-úta ‘ainsi’ n’est pas segmentable en synchronie, mais on peut supposer qu’elle résulte historiquement d’une forme compositionnelle contenant un élément *g ‘manière’. Les démonstratifs de manière sont principalement utilisés dans la fonction adverbiale et ont un système de cas pronominal réduit. Les deux peuvent être utilisés de manière interchangeable dans la fonction exophorique et endophorique, mais ils ont développé des emplois non déictiques distincts. Les qualificatifs démonstratifs hittigoon-á(ta) ‘tel(le), de ce genre’ et hittigaam-ú/-íta ‘idem’ sont dérivés d’une manière morphologiquement transparente à partir du deuxième démonstratif de manière. Enfin, le kambaata a deux adjectifs synonymes équatifs, kank-á(ta) et hibank-á(ta) ‘autant, si’. En tant que modificateurs adjectivaux de noms et en tant que modificateurs adverbiaux de verbes non graduables, ils identifient une quantité : en tant que modificateurs adverbiaux d’adjectifs, de verbes de propriété et d’idéophones de propriété, ils identifient un degré. Les démonstratifs de degré/quantité sont couramment utilisés non comme déictiques mais comme intensificateurs (‘très’).

Shanshan Lu se propose d’étudier trois constructions de comparaison d’égalité et deux constructions de comparaison de similitude en caijia, langue non classifiée parlée dans la province de Guizhou en Chine. Elle discute une caractéristique également détectée dans les langues sinitiques : la multifonctionnalité du marqueur de standard ta55 ‘et/avec’. Il peut par ailleurs fonctionner comme ablatif, bénéfactif, préposition comitatif, ainsi que comme une conjonction. Certaines caractéristiques sont typologiquement intéressantes comme l’ordre des constituants, en caijia, le standard précède le paramètre bien que la langue ait SVO comme ordre de base.

Françoise Rose étudie l’expression de la comparaison d’égalité et de similitude en mojeño trinitario, langue arawak parlée dans les basses terres de la Bolivie, et montre que la racine kuti qui exprime la comparaison similative se produit dans cinq constructions différentes, alors que la comparaison d’égalité n’a pas été trouvée dans un corpus de textes. L’étude s’attache à montrer le fait que cette racine est polycatégorielle. Ces deux fonctions principales sont celle de prédicat similatif ‘être comme, ressembler’ et de préposition similative ‘comme’. Cette racine kuti est également utilisée dans les composés verbaux, en tant que subordonnant, et en tant que marqueur épistémique. Deux questions majeures sont discutées tout au long de l’article : d’une part la caractérisation de cette racine polycatégorielle en synchronie, et d’autre part, son évolution diachronique via la grammaticalisation et la pragmaticalisation.

 

[1] Dont huit issus du programme Expression des comparaisons d’égalité et de similitude (2014–2018) de la fédération Typologie et universaux linguistiques : données et modèles (CNRS, FR 2559). La participation de Shanshan Lu a été proposée par le comité de rédaction de la revue afin de compléter l’éventail des langues proposées. Nous remercions le comité de rédaction et les relecteurs externes pour leur contribution à la qualité de ce volume, ainsi que David Roberts pour la relecture des articles écrits en anglais.

[2] Haspelmath M. & the Leipzig Equative Constructions Team, 2017, Equative constructions in world-wide perspective, in Y. Treis & M. Vanhove (eds), Similative and equative constructions: A cross-linguistic perspective, Amsterdam/Philadelphia, Benjamins, p. 9-32.