n° 51-2 : VariaRésumés / Abstracts

 

Présentation générale par Anaïd Donabédian et Reza Mir-Samii (p. 5)

1. Dossier : Temps et systèmes de numération

Schwer Sylviane & Hoppan Jean-Michel : Présentation du dossier (p. 9)

Gonzalez Carmen : Les systèmes numéraux en quechua et en aymara : une histoire de suffixes [Numeral Systems in Quechuan and Aymaran: a matter of suffixes] (p. 15)

Résumé : Les systèmes de numération quechua et aymara montrent de fortes similitudes, par exemple, une base décimale et treize lexèmes simples (numéraux cardinaux simples). Dans le cas du quechua, lors de la formation de numéraux cardinaux composés (avec deux lexèmes simples ou plus) deux ensembles sont identifiés : l’un où les cardinaux composés sont le résultat de la juxtaposition de lexèmes simples ; l’autre où à cette juxtaposition s’ajoutent des suffixes (/-yuq/ ou /-n/ ou /-wan/). Cet article étudie ces deux ensembles quechuas d’un point de vue diachronique et géographique et avance l’hypothèse que la présence des suffixes dans l’un d’entre eux découle d’un contact intense de cet ensemble avec l’aymara, qui lui, dans ses deux branches (aymara du sud et aymara du centre) adosse des suffixes à ses cardinaux composés d’une façon analogue à celle observée pour l’ensemble quechua suffixal.

Abstract : The Quechuan and Aymaran numeral systems show strong similarities, e.g., they have a decimal base and thirteen simple lexemes (simple cardinal numerals). In the case of Quechuan, when forming compound cardinal numerals (namely, numerals with two or more simple lexemes), two distinct sets can be identified: in the first, the compound cardinals are the results of the juxtaposition of simple lexemes. In the second, to this juxtaposition are added nominal suffixes: /-yuq/ or /-n/ or /-wan/. This paper is focused on studying these two numeral Quechua sets involving both diachronic and geographical considerations, and puts forward the hypothesis that nominal suffixes presence in one of them is a consequence of its intense contact with the other great Andean linguistic family, the Aymara. Indeed, Aymaran in all its components, as will be described, adds nominal suffixes to its compound cardinals similarly to the Quechua suffixal numeral set.

 

Hoppan Jean-Michel & Schwer Sylviane : De la protraction en maya ? [Is there overcounting in Maya?] (p. 39)

Résumé : Le terme "protraction" est un néologisme proposé à la fin du XXe siècle pour définir l’« opération qui désigne un nombre par son orientation vers une "borne" ». Aux côtés de quelques exemples tirés de langues asiatiques, les numérations mayas d’Amérique centrale sont généralement citées comme étant représentatives de ce rare type d’opération linguistique de construction du nombre.

Cela dit, l’analyse des motifs opératoires de cette sorte de numération maya (qui a cohabité depuis de nombreux siècles avec un type plus simplement additif de construction du nombre) ainsi que l’analyse des données des temps préhispaniques tout comme de l’époque coloniale nous ont amenés à remettre en question cette définition, du moins pour les langues de la famille maya. Notre étude met en effet en évidence que, s’il a effectivement bien existé, longtemps avant l’arrivée des Européens, le système dit « protractif » des numérations mayas est étroitement lié à un aspect du comput qui a abouti à mettre en œuvre une encapsulation des vingtaines, où il ne s’agit en réalité pas de désigner un nombre par son orientation vers la borne supérieure mais de procéder, de façon non-linéaire, par encapsulation des « nœuds » de la numération en vision d’antériorité rétrograde.

Abstract : Overcounting is a neologism which was proposed in the late XXth century to define « the operation that designates a number by its orientation towards a boundary ». With a few examples taken from Asiatic languages, Mayan numerations from Central America are generally given as representative of this uncommon type of linguistic operation to build words for numbers.

However, our analysis of the operative pattern in this kind of Mayan numeration (which has cohabited for many centuries with a more simply additive type of number construction) as well as the analysis of the data from pre-hispanic times and the colonial period brought us to question this definition, at least for Mayan languages. Our study indeed shows that the so-called "overcounting" system in Mayan numerations, if it was definitely present there a long time before the Europeans, was strongly associated to an aspect of the comput that sets to work an "encapsulation" of the vigesimal scores and where a number is actually not designated for its orientation towards the higher boundary but where the aim is to process in a non-linear way following an "encapsulation of the numerical knots" and looking for a retrograde anteriority.

 

Thouvenot Marc : La numération cardinale en nahuatl, aux XVIe-XVIIe siècles [Cardinal numbers in Nahuatl, 16th–17th c.] (p. 63)

Résumé : La numération nahuatl, vigésimale, est bien connue, en langue, depuis le XVIe siècle. Par contre, son expression graphique dans l’écriture pictographique, est moins bien connue. C’est cette différence que ce texte cherche à réduire, en présentant, conjointement, l’écriture de la numération de dénombrement et celle qui est dénominative. Les sources utilisées, pictographiques comme alphabétiques, sont diverses aussi bien spatialement que temporellement. Elles proviennent tout autant de Mexico-Tenochtitlan que de localités proches mais distinctes comme Texcoco, Chalco ou encore la région de Puebla. Certaines sources sont sans doute proches de l’époque de la Conquête, alors que d’autres ont été écrites un siècle plus tard.

Pour les besoins de la démonstration, tout a été mis sur un même plan. Cela représente donc l’état de la numération et de son écriture sur une période d’un siècle après la Conquête et sur un espace étendu. Il serait, évidemment, souhaitable d’avoir une vision plus précise des particularismes et des évolutions qui se sont produites pendant ce siècle car on ne peut imaginer que la brutalité du choc de la Conquête et de la colonisation n’ait été sans effet sur le système que constituait la langue nahuatl et son écriture pictographique, et cela tout particulièrement dans le domaine de la numération.

Abstract : The vigesimal Nahuatl numeration has been well known, in language, since the 16th century. But its graphic expression in pictographic writing is less well known. It is this difference that this text seeks to reduce, by presenting, jointly, the writing of the referential numeration and that which is denominative. The sources used - both pictographic and alphabetic – are diverse both spatially and temporally. They come from Mexico-Tenochtitlan as well as from nearby but distinct localities such as Texcoco, Chalco or the Puebla region. Some sources are probably close to the time of the Conquest, while others were written a century later.

For the purposes of this presentation everything has been put together. This therefore represents the state of numeration and its writing over a period of a century after the Conquest and over a wide area. It would, of course, be desirable to have a more precise view of the local forms and developments that occurred during this century, because it is inconceivable that the brutality of the shock of conquest and colonization had no effect on the system that the Nahuatl language and its pictographic writing constituted, especially in the field of numeration.

 

Mahieu Marc-Antoine : Numération et repérage temporel en inuktitut du Nunavik [Numbers and Time in Nunavik Inuktitut] (p. 99)

Résumé : Bien que le système de numération inuit n’ait pas de limite structurelle, son utilisation effective se cantonne à des situations concrètes où les quantités en jeu sont faibles. En inuktitut (dialectes inuit de l’Arctique oriental canadien), ce système s’emploie traditionnellement très peu pour mesurer le temps qui passe. Sous l’effet des contacts avec les Occidentaux, la situation a partiellement changé, comme le montre l’expression des jours de la semaine et de l’heure. Cet article présente l’essentiel des données pertinentes pour le dialecte du Nunavik (Arctique québécois).

Abstract : Although the Inuit numeration system has no structural limits, its actual use is limited to concrete situations where the quantities involved are small. In Inuktitut (Inuit dialects of the Canadian Eastern Arctic), this system has traditionally had very little use in measuring the passage of time. As a result of contact with Westerners, the situation has partially changed, as shown by the expression of the days of the week and the time of the day. This article presents the essential data relevant to the dialect of Nunavik (Arctic Quebec).

 

Guérin Maximilien : Système de numération en wolof : description et comparaison avec les autres langues atlantiques [Numerals in Wolof : description and comparison with other Atlantic languages] (p. 121)

Résumé : Le système de numération du wolof (Atlantique, Niger-Congo) est décimal, avec un pivot additif 5. Ainsi, il y a des mots particuliers pour les nombres de 1 à 5, mais les nombres de 6 à 9 sont formés de 5 + une unité (1, 2, 3, 4). À partir de 10, le compte recommence. Le système est très régulier, seuls les nombres 20 et 30 ont des formes non prédictibles. Par ailleurs, malgré la relative proximité génétique des langues atlantiques, les systèmes de numération de ces langues présentent de nombreuses différences, notamment en ce qui concerne la structure des nombres complexes.

Cet article propose une description détaillée du système de numération du wolof (inventaire et statut des unités lexicales, structure morphosyntaxique des nombres complexes), ainsi qu’une comparaison avec les systèmes des autres langues atlantiques.

Abstract : The Wolof (Atlantic, Niger-Congo) numeral system is decimal, with an additive pivot 5. This means that there are special words for the numbers 1 to 5, but that 6, 7, 8 and 9 are formed by 5 + one unit (1, 2, 3, 4 respectively). From 10 onwards, the count starts again. The system is very regular, as only 20 and 30 have unpredictable forms. In addition, despite the relative genetic proximity between the members of the Atlantic family, the numeral systems of these languages display many differences, in particular with regard to the structure of complex numbers. This article provides a detailed description of the Wolof numeral system (list and status of lexical units, morphosyntactic structure of complex numbers), as well as a comparison with the systems of other Atlantic languages.

 

2. Langues une à une

Gaatone David : Les parents pauvres de la nominalisation en français [Two lesser known tools of clause embedding in French] (p. 145)

Résumé : Plutôt qu'une conjonction de subordination, que est un enchâsseur, un nominalisateur, puisqu'il peut introduire aussi une proposition sujet, où il ne relie ni ne subordonne. Il permet de transformer une phrase en terme de phrase, fonctionnant comme un nominal. Dans les contextes dont il est exclu, par exemple, derrière certaines prépositions, il est remplacé par ce que et le fait que/de, ses « parents pauvres », moins étudiés, qui sont eux-mêmes des variantes libres ou contextuelles. Ce que fonctionne comme mot unique, dépourvu de sens et pur instrument grammatical, contrairement à le fait que/de, qui autorisent des insertions et conservent dans, une certaine mesure, leur sens explicite, ce qui limite leur distribution à des contextes factifs.

Abstract : Rather than a subordinating conjunction, French que is an "embedder", a "nominalizer", since it can introduce a subject clause, where there is neither linking, nor subordination. It makes it possible to transform a sentence into the component of a sentence, functioning as a nominal. In some contexts, que is not allowed, for instance, with certain prepositions, and is then replaced by ce que and le fait que/de, his poor relations ("parents pauvres"), less investigated, and functioning as free or contextual variants. Ce que behaves like a single word, a grammatical instrument, devoid of any meaning, while le fait que/de allow insertions and keep some of their original meaning, which accounts for their incompatibility with non factive contexts.

 

SON Hyunjung & NAM Kishim : Fonctionnement sémantique du connecteur coréen -ko : temporalité, aspectualité et manière [Semantics of the Korean connective –ko: temporality, aspect and manner.] (p. 163)

Résumé : La langue coréenne dispose du connecteur -ko qui est généralement donné comme l’équivalent de et en français pour enchaîner deux propositions ou plus. Le connecteur -ko est polysémique dans la mesure où il peut déclencher un grand nombre d’interprétations régulières comme par exemple l’énumération, la succession temporelle, la simultanéité, la cause, la manière, etc. Dans cet article, nous nous intéressons plus particulièrement au rôle de -ko dans l’expression de la manière, à partir de l’hypothèse qu’une telle interprétation dérive de sa fonction temporelle de simultanéité. Pour ce faire, nous nous appuyons sur deux fonctions essentielles connues de -ko dans la connexion temporelle d’une part et dans la connexion par contiguïté d’autre part. Le but de cet article est de mettre en lumière comment la fonction temporelle de -ko, une fois combinée à certaines propriétés aspectuelles des propositions enchaînées, déclenche une interprétation dite de manière.

Abstract : This article aims to examine the Korean connective -ko, which is generally considered an equivalent of the French connective et. The connective ‑ko is semantically polyvalent, having several interpretations such as enumeration, temporal succession, simultaneity, causality, and manner. In this article, we examine the expression of “manner” by the connective -ko on the hypothesis that such interpretation is derived from the temporal function of simultaneity of -ko. We introduce two main functions of -ko, temporal connection and simple connection by contiguity and then show how the temporal function interacts with the aspectual properties of propositions connected by -ko to generate the interpretation of manner.

 

Gabriel Thiberge, Flora Badin & Loïc Liégeois: French partial interrogatives: a microdiachronic corpus study of variation and new perspectives in a refined pragmatics framework [Les interrogatives partielles en français : étude de corpus en microdiachronie sur la variation et nouvelles perspectives en pragmatique enrichie] (p. 179)

Résumé : Dans cet article nous présentons et analysons des données du corpus ESLO de français oral, constitué pendant deux périodes temporelles (1960-2010), permettant une exploration en profondeur des interrogatives partielles du français, dans une perspective de sociolinguistique enrichie. Grâce à une méthodologie originale d’extraction des données, nous avons pu constituer différents sous-corpus en fonction de l’âge des francophones, du contexte interactionnel et de la période temporelle. La combinaison de toutes ces données et l’analyse de fréquences brutes aussi bien que de modèles bayésiens apporte une lumière nouvelle sur la variation disponible aux locuteurs natifs et locutrices natives du français, quant à leur manière de former une interrogative partielle (position de l’élément interrogatif, inversion verbe-sujet, locution figée “est-ce que”). Cette variation a évolué au cours du 20ème siècle, et autant le groupe social (âge) du locuteur que les caractéristiques projetées sur le contexte interactionnel se combinent de diverses manières pour influer sur le type d’interrogative partielle produite.

Abstract : In this paper we report and analyse data from the ESLO corpus of oral French, constituted during two time periods (1960-2010), allowing for an in-depth exploration of French partial interrogatives under a refined sociolinguistic perspective. With an original methodology for extracting the data we were able to create several subcorpora based on age of the speakers, interactive context and time period. The combination of all the data and the use of raw frequencies as well as Bayesian modeling shed new light on the variation available to French native speakers as to how they can structure a partial interrogative (position of the interrogative element, verb-subject inversion, “est-ce que” idiom). This variation has evolved throughout the 20th century, and both the social group (age) of the speaker and perceived characteristics of the context of interaction combine in different ways to weigh on what type of partial interrogative people will use.