n° 4 : L'indéfini

Présentation générale

par Laurent Danon-Boileau et Mary-Annick Morel

 

Le présent numéro, consacré à "l'indéfini", revient sur un certain nombre de questions qui traditionnellement s'y rattachent.
A quelles classes rapporter ses marqueurs? S'agit-il de pronoms, de déterminants ou d'adverbes? Quel sens donner à la parenté fréquente des formes avec celles de la série interrogative, distributive, démonstrative et négative?
Comment caractériser l'opération elle-même?. Faut-il en limiter la portée au seul domaine du nom? Dans ce cas, l'indéfini correspond-il à la construction imprécise d'une référence 'spécifique' ou à celle d'une variable 'générique'? S'il s'agit d'un quantificateur d'un genre un peu particulier, comment préciser alors les indices contextuels qui guident le choix de l'interprétation? A moins, qu'il ne faille en faire le pendant nominal de la modalité du possible.
Mais il n'est pas sûr que l'incidence de l'indéfini se limite au domaine du nom, et l'on peut lire le marqueur comme l'indice local d'une opération qui engage l'organisation du prédicat ou de l'énoncé dans son ensemble. On cherchera alors à son préciser le rôle dans la structuration "informative" (tant dans l'opposition entre thème et rhème, que dans la mise en place du thème, ou bien, au sein du rhème, dans la relation verbe/objet). Mais il se peut encore que l'indéfini serve à stipuler le point de vue qui prend en charge la construction référentielle, qu'il s'agisse du seul énonciateur ou de la communauté dialogique.
Le numéro s'ouvre sur une définition du domaine tel qu'il apparaît dans la tradition grammaticale gréco-latine et évoque les difficultés rencontrées par les grammairiens face à l'hétérogénéité des marqueurs.

Guy Serbat rappelle le lien originaire entre indéfini et pronom personnel, puisque pour Priscien est "indéfini" tout ce qui n'est pas "défini" par rapport à la personne. Il s'agit en somme d'une construction qui construit la valeur d' un argument en contournant le repère naturel que lui fournit le système de la personne.
Si l'origine est claire, en revanche les limites de la classe ne le sont pas d'emblée. C'est du moins ce que montre Nathalie Fournier dans son analyse des grammaires classiques. Une opposition s'y dessine toutefois selon le degré d'autonomie du marqueur. Elle préfigure, bien sûr la différence entre déterminant et pronom d'une part, et celle qui oppose pronom-nominal (quelqu'un, quiconque) et pronom substitut (certains, quelques uns) d'autre part.

Un des problèmes abordés par divers contributeurs est celui de l'interprétation qu'il convient d'apporter aux parentés récurrentes que les marqueurs de l'indéfini présentent avec celles de l'interrogatif, du distributif, du négatif, du démonstratif et du relatif.
Dans son article, Pierre Le Goffic examine le lien établi, tant en latin qu'en français, par le *kw- indo-européen, commun aux indéfinis, aux interrogatifs et aux relatifs. Rapportant le thème à une opération de parcours, il montre alors que les valeurs se déclinent selon que ce parcours implique la recherche d'une issue définie (c'est le cas de l'interrogatif), que celle-ci est laissée libre (c'est l'indéfini à valeur générique) ou bien qu'elle demeure captive ( c'est le cas du relatif avec antécédent).
Le lien entre distributivité et indéfinitude fait l'objet de deux analyses. La première, celle d'Alessandra Bertocchi et d'Anna Orlandini est centrée sur les marqueurs latins "alius" et "singuli", dont on sait qu'ils ont l'une et l'autre valeur. L'article montre en fait que le choix résulte de la nature du prédicat auquel ils se trouvent associés. Sylvie Mellet s'intéresse aux contraintes traditionnellement relevées pour "quisque" et pour "quis" : Elle montre en quoi celles-ci permettent d'infléchir l'opération centrale de parcours.
Les recouvrements observés entre indéfinis, interrogatifs et démonstratifs ne sont pas propres au domaine indo-européen. Plusieurs études, notamment sur le vietnamien, le japonais et le coréen, reviennent sur ces parentés et permettent d'en préciser la valeur.
L'indéfini semble, en effet, osciller entre plusieurs valeurs : du générique au spécifique indistinct, en passant par un prélèvement dont le principe n'est pas explicité. Ce sont les jeux co-énonciatifs qui déterminent le choix, comme le montre l'analyse de Phu-Phong Nguyen sur le vietnamien. Ainsi le marqueur "dâu", attaché à la construction d'une référence spatiale, peut être interprété soit comme indéfini (quelque-place), soit comme interrogatif (où?), soit encore comme un négatif. Tout se passe comme si le marqueur "dâo" constituait la trace d'un parcours que l'énonciateur ne souhaitait pas stabiliser (valeur polémique forte) et qu'il assertait le caractère indécidable de sa construction, quand il ne sommait l'autre de compléter son savoir à lui (interrogatif)
Raoul Blin pour sa part envisage pour le japonais la parenté entre démonstratif et indéfini. Il constate que, dans chaque ordre, les morphèmes sont composés de deux éléments : l'un (équivalent en gros à chose, humain, espace, temps) détermine le champ où doit s'inscrire la référence, l'autre la façon dont la co-énonciation doit servir de fondement à la propriété susceptible de singulariser ce que l'on cherche à construire. Dans le démonstratif "défini", le premier élément indique que la propriété différentielle est co-énonciativement définie. Dans le marqueur indéfini ce premier élément montre que l'opération est restée en suspens.
L'article de In-Bong Chang et Laurence Labrune constitue une suite naturelle à l'étude des parentés de l'indéfini, en élargissant l'analyse aux pronoms négatifs ou virtuels. Elles montrent en somme que, quand la singularité d'un individu s'estompe, la référence qui lui correspond tend vers l'expression d'une négation, ce qui n'est pas sans rappeller qu'en français si "une personne" et "un rien" sont des indéfinis positifs, "personne" et "rien" prennent valeur négative. L'absence de déterminant écarte toute idée de distinguabilité, et faute d'une propriété susceptible de le démarquer de ses pairs, l'identité de l'individu s'estompe au sein du domaine. Il se vide de tout contenu de sens, et vaut alors pour une négation.

Ceci, bien entendu, nous ramène au rôle de l'article dans la problématique contemporaine de l'indéfini. L'étude de George Kleiber rappelant les différents plans d'application de l'opposition défini / indéfini permet à ce propos de préciser la part opératoire qui revient au déterminant et celle qui revient au nom.
Nicole Le Querler s'attache, quant à elle, à définir ce qui distingue "tout", "chaque", "quelque" et "certain". Procédant par commutation à partir d'un corpus d'énoncés attestés, elle propose de distinguer selon qu'une expression indéfinie tend à globaliser, à discrétiser, à qualifier, ou à quantifier.
C'est encore à distinguer entre valeurs indéfinies que nous incite l'article Brenda Laca et Liliane Tasmowski-De Ryck qui notent que dans plusieurs langues romanes (espagnol, roumain, portugais, catalan et italien), en fonction d'attribut, les emplois du pluriel sans article renvoient aux propriétés de l'espèce dans sa généralité, tandis que l'article indéfini pluriel désigne des propriétés particulières qui déterminent des sous-classes.
On le voit, si certains articles se centrent sur le pronom, d'autres s'organisent autour du déterminant. C'est sans doute l'un des mérites du texte de Jacques Veyrenc que de tenter l'articulation des deux dimensions. Après avoir circonscrit l'opération correspondant à l'indéfini comme "la contrepartie assertive de l'interrogation", l'analyse se centre sur la forme des marqueurs du russe. Comme en japonais, on y retrouve deux morceaux : un classificateur, homonyme de l'interrogatif, qui définit un domaine référentiel, et un modulateur qui précise l'incidence éventuelle d'une propriété différentielle distinguant l'individu de ses pairs. Dans leur ensemble, ces indéfinis se répartissent en deux ordres distincts selon la nature de leur modulateur. On peut en effet opposer les indéfinis à valeur "fixe" (de type "un certain X") aux indéfinis à valeur "cursive" (de type "quel que soit X").
L'étude de Zlatka Guentchéva peut se lire comme un complément du travail de Jacques Veyrenc, puisque le marqueur bulgare "edin" (un), en fonction du contexte et du rôle qu'on fait jouer à la propriété différentielle, peut osciller d'une valeur de type "certain" (propriété connue du seul locuteur) à une valeur de type indéterminé pour les co-énonciateurs, ou générique ("n'importe quel").

Il eut été léger de consacrer une livraison de Faits de Langues à l'indéfini sans reprendre la question toujours actuelle de ses relations avec l'opérateur logique de quantification. Depuis Frege et Russell, la recherche d'une formulation adéquate constitue le coeur du débat. La question est ici diversement abordée.
Georges Rebuschi montre par exemple que ce calcul doit tenir compte de la structure des énoncés et de la place des syntagmes. Opérant dans le cadre de la Grammaire Générative il propose de traiter comme un cas marqué les emplois pour lesquels les compléments associés à l'indéfini existentiel tombent sous la portée d'un sujet quantifié universellement. (d'où sa proposition de recourir à la notion de contre-indice).
Préférant la théorie des quantificateurs généralisés (Barwise et Cooper 1981) Léonie Bosveld-De Smet tentent de mesurer l'incidence des types de procès (événement ou état localisable dans l'espace-temps, propriété transitoire ou permanente) sur l'interprétation des quantificateurs indéfinis associés à leurs arguments.
Quant à Henriëtte De Swart, élargissant le contexte pris en compte elle propose de rapporter le calcul à la structure générale des énoncés d'accueil. Elle souligne en particulier le rôle d'adverbes tels que "toujours", "rarement", "en général" sur l'interprétation des SN indéfinis et montre qu'une expression telle que "des N" ne reçoit de valeur générique que sous l'influence d'un opérateur à effet déontique.
Pour Francis Corblin, qui se situe dans le cadre de la DRT (Théorie des Représentations du Discours) développée par Kamp (1981) et Heim (1982), tout syntagme indéfini équivaut à la requalification d'un référent déjà constitué. Le lien entre la qualification et le référent fait alors l'objet d'une inférence par défaut. Dans la suite "Pierre attendait Marie. Une fille s'approcha. C'était Marie", c'est ce type d'inférence qui permet de rapporter l'expression "une fille" à la référence préalablement constituée par le nom "Marie".
La position de Jean-Blaise Grize, également préoccupé de logique naturelle, revient sur l'écart entre quantification existentielle en logique et emploi de l'indéfini en discours : contrairement aux mathématiques, souligne-t-il, la langue ne sait pas se donner des objets sans poser qu'on les pourrait distinguer. Puis, revenant sur l'opération linguistique, il s'efforce de caractériser les contraintes qui pèsent sur la nouveauté et l'originalité de la référence que l'indéfini permet d'instituer. En fait seules peuvent être introduites des entités que le contexte rend sinon prévisibles, du moins interprétables.

Avec la question de la nouveauté, c'est bien entendu celle du lien avec la structure rhématique et l'agencement d'ensemble de l'énoncé qui se trouve évoquée. Si la position de thème est peu compatible avec l'emploi de l'indéfini, certains exemples montrent toutefois que la contrainte n'est pas absolue.
Selon Anne Claude Berthoud, elle tombe dès lors que le thème est repris par un pronom démonstratif : "des hommes, c'est bête" "un chat, ça, j'adore".
En arabe il suffit d'une détermination qualitative ou quantitative, ce qui invite à penser, selon Djamel Kouloughli que le segment n'est alors plus un thème au sens classique du terme. Grossièrement dit, l'indéfini est donc indicateur de rhématicité.
Mais il convient encore, dans ce registre, de différencier ses emplois. C'est à cela que s'emploie Pierre Attal pour le français, tandis qu'Ulrika Dubos, pour le suédois, souligne comment le choix du marqueur indéfini permet de moduler la cohésion prédicat/argument et en même temps d'infléchir la lecture générique ou spécifique du complément.
L'opposition se retrouve dans l'étude que Lucien Kupferman, consacre au partitif "du" en français, puisqu'il distingue deux types de complémentation verbale, l'un 'générique', celui de "j'apporte de la viande" (le 'de' ayant alors valeur de déterminant, tandis que 'la' est générique), l'autre spécifique, celui de "je mange de la viande" (le 'de' ayant alors valeur de préposition tandis que 'la' est spécifique)
Mais c'est sans doute parce qu'il ne saurait malgré tout être cantonné au rôle de déterminant du nom, et qu'il règle pour une part l'organisation thématique de l'énoncé, que l'indéfini peut interrompre le jeu des accords même dans une langue à classe. C'est ce que montre Aliou Mohamadou dans son étude du marqueur "-dum" en peul. Associé au prédicat, ce marqueur d'indéfinitude défait la chaîne d'accord qui unit autrement le nom au prédicat, et initie un mouvement de dé-différenciation qui permet à l'énonciateur d'atteindre la généralité d'une classe au travers d'occurrences par ailleurs circonscrites.
On l'aura compris, l'indéfini n'est pas simple affaire de quantification. C'est encore ce que montre Isabelle Bril, en soulignant l'incidence nécessaire de la structure de l'énoncé. Dans une langue à classificateur tel que le nêlêmwa, il existe une différence tranchée entre quantification unitaire ('un X') et indéfini. En effet pour avoir valeur d'indéfini, une quantification unitaire doit s'inscrire dans le rhème d'un énoncé à structure explicitement présentative.

S'il est affaire de hiérarchie informative, l'indéfini est aussi enjeu de choix énonciatifs.
C'est du moins ce que montre Anne Salazar Orvig dans l'étude qu'elle consacre aux emplois de "on" et de "vous" dans le discours de patients hémiplégiques. Les deux pronoms désignent exclusivement l'énonciateur, mais il semble que les modulations répondent en partie à ce que Francine Mazière relève de son côté dans les énoncés de dictionnaire : la norme fait recours au pronom indéfini, alors que l'expression d'une généralité que l'énonciateur ne souhaite pas cautionner exige le recours au groupe nominal complet, auquel l'ensemble de l'énoncé sert alors de définition. L'indéfini est donc, en un sens, du côté du familier.
Ce qui vaut pour le pronom vaut d'ailleurs pour l'indéfini pluriel, du moins en italien et en corse, langues pour lesquelles Mathée Giacomo note les relations implicitement entretenues avec le monde de l'énonciateur.
A cette façon de voir on pourra sans doute associer les propositions de Jean-Jacques Briu pour l'allemand. On verra que l'interprétation est ici rapportée à un jeu énonciatif, l'indéfini soulignant le refus d'inscrire une construction référentielle dans le réseau préalablement construit par un texte et donc directement accessible à l'autre.
Ceci, bien sûr, n'est pas sans rappeler la valeur de 'certain', tel qu'on la rencontre dans 'certains pensent que...'. Il s'agit en somme d'un usage de l'indéfini qui en fait un quantifieur opérant au nom d'un principe dont la teneur n'est pas explicitée. C'est d'ailleurs ce que soulignent nettement les marqueurs du mooré, langue dans laquelle, comme l'explique Raphaël Kaboré, l'équivalent de "certain" se dit soit "morceau déchiré d'un ensemble" soit "éclat ôté d'un ensemble".

Il se pourrait que l'analyse de l'indéfini exige que l'on délaisse un moment l'opposition verbo-nominale. C'est du moins ce que suggèrent Jacqueline de la Fontinelle et Michel Aufray qui proposent d'étendre la catégorie pour regrouper l'opposition déterminé / indéterminé avec l'opposition perfectif / imperfectif. L'opposition défini / indéfini devient alors la marque d'un point de vue et l'expression d'une stratégie de discours.
On verra enfin dans l'entretien avec A Culioli la place que l'indéfini peut occuper au sein de la théorie des opérations énonciatives.

Au terme de cette présentation, il nous a semblé possible de dégager quelques propositions d'ensemble.
De manière générale, l'indéfini semble répondre au souci de construire une prédication autour d'une entité nominale dûment fondée, bien que partiellement indifférenciée. L'indéfini, pronom (quelqu'un, certains, n'importe qui) ou déterminant (un, des, tout, chaque, quelque) fonde cette référence en explicitant ce qui la rend légitime.
D'un point de vue général une construction référentielle, quelle qu'elle soit, doit résulter du croisement de deux propriétés, chacune d'un ordre différent. Il y a d'abord une propriété définitoire, qui rattache l'individu à la classe dont il relève, et définit son type. Il y a ensuite une propriété différentielle, qui permet de distinguer un individu de ses pairs. C'est elle qui définit la singularité, la dimension d'"accident" inhérente à toute occurrence.
Légitimer une référence, c'est préciser, dans sa construction, la part qui revient au type et celle qui revient à l'accident. Si la deixis souligne la part de l'accident, le propre de l'indéfini est d'exhiber ce qui revient au type. Ce faisant, il permet que la référence puisse se lire, selon le contexte, comme singulière et spécifique, ou comme itérée, voire générique.
Mais souligner que la légitimation d'une référence tient à sa propriété définitoire n'est pas une opération uniforme. Il convient tout d'abord de distinguer selon que la légitimation d'une part et la construction référentielle elle-même sont ou ne sont pas solidaires.
Quand légitimation et construction sont solidaires (il s'agit en général de la première mention d'un individu) le contenu de la propriété définitoire figure à côté du marqueur indéfini ou dans ce marqueur lui-même. C'est ce qui se passe avec "un chien" ou "quelqu'un" dans "Il y a un chien / quelqu'un dans la cour". Dans son ensemble, le SN- ou le pronom- permet de créer une référence et de légitimer cette création en la rapportant au type correspondant à <chien> ou à la classe des <humains>. Mais le contour de la propriété définitoire se trouve alors nécessairement inscrit. Avec ce type d'emploi, l'indéfini (l'article 'un' en l'occurrence ou le pronom indéfini) devient indicateur de rhématicité, soulignant, comme l'on dit, la 'nouveauté' de l'élément introduit. Il prend la forme d'un déterminant 'simple' ou d'un pronom.
Mais légitimation et construction référentielle ne sont pas nécessairement solidaires. L'indéfini permet également de revenir sur une référence indépendamment constituée, en soulignant la part prépondérante de la propriété définitoire et le rôle accessoire de la propriété différentielle. Le marqueur est alors un pronom d'un autre type ou un déterminant morphologiquement étoffé.
Quand l'indéfini souligne le rôle secondaire de la propriété différentielle, plusieurs cas sont à envisager.
Tantôt, comme dans le cas de 'quiconque', le jugement qui rapporte la référence à son type repose sur un consensus. L'énonciateur préjuge de l'accord de celui auquel il s'adresse sur la non-pertinence des indications que fournirait la propriété différentielle, et l'emploi de l'indéfini se rapproche alors du générique.
Tantôt, au contraire le rôle prépondérant de la propriété définitoire résulte d'une déqualification de la propriété différentielle. L'équilibrage repose alors sur une discordance. C'est ce que l'on observe avec des indéfinis du type 'n'importe qui''. Dire 'N'importe quel linguiste sait que la question de l'indéfini ne se résume pas à l'article', c'est supposer que celui auquel on s'adresse opère au contraire, parmi les linguistes, une différence entre certains (qui limitent la question de l'indéfini à celle de l'article) et d'autres (qui la rapportent à un ensemble plus vaste), puis rejeter soi-même cette partition fondée sur les propriétés différentielles des deux groupes d'individus, afin de prôner l'homogénéité d'une classe rassemblée sous la bannière de la propriété définitoire. Cette déqualification entraîne parfois une dérive vers le dépréciatif (cf. Il parle à n'importe qui / Il dit n'importe quoi / Il traîne n'importe où / Elle s'habille n'importe comment).
Enfin, il arrive parfois, comme c'est le cas avec 'certain' dans 'certain renard gascon', que le déterminant étoffé manifeste l'existence d'une propriété différentielle réservant à l'individu un statut particulier au sein de sa classe, tout en soulignant cependant que l'énonciateur n'entend pas en faire le fondement de sa construction de l'objet, en raison notamment des effets argumentatifs qu'il souhaite tirer de la propriété définitoire mise en jeu. Dans 'certain renard gascon', 'certain' veut dire "un renard dont je connais la propriété différentielle d'être gascon, bien que d'autres le disent normand, mais qui ne m'intéresse, en tant que fabuliste, que par sa qualité de stéréotype, de parangon de forfanterie". Dans ce cas, c'est en somme pour des raisons d'agencement argumentatif que l'énonciateur décide de déchoir la propriété différentielle d'une place que, par ailleurs, il lui reconnaît dans la définition de la référence. Et si l'indéfini permet de pondérer la construction d'une référence spécifique en faveur de la propriété définitoire qui lui correspond, on conçoit que l'emploi de l'indéfini, malgré l'infléchissement qu'il imprime en faveur de la propriété définitoire, puisse malgré tout donner lieu à la construction d'une référence spécifique.

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