n°26 : Les langues chamito-sémitiques (afro-asiatiques) (volume 1)

 

Résumés / Abstracts

 

Antoine Lonnet et Amina Mettouchi : Présentation générale (p. 5)

 

1. Phonétique, Phonologie et morphologie

Naïma Louali & Gérard Philippson : Deux systèmes accentuels berbères : le siwi et le touareg (p. 11)

Resume : Cet article propose une analyse du fonctionnement de l'accent dans deux langues berbères : le siwi (Egypte) et le touareg (tayert, Niger). La comparaison de ces deux systèmes révèle de notables différences puisque l'assignation de l'accent en siwi se fait sur une base essentiellement morphologique, alors que le touareg présente un accent prédictible sur des bases métriques (pieds binaires dominants à gauche).

Abstract : This article deals with a comparison of the accent systems of two Berber languages : Siwi (Egypt) and Tuareg (Tayert variety, Niger). These two systems exhibit conspicuous differences, since accent in Siwi is assigned on an essentially morphological basis, whereas accent in Tuareg is metrically-based (left-dominant binary feet).

 

Xavier Barillot & Sabrina Bendjaballah : Contraintes gabaritiques en somali (p. 23)

Resume : Les langues habituellement citées comme archétypes des langues gabaritiques, les langues sémitiques, ont une morphologie essentiellement non concaténative. Sur la base de cette observation, il est généralement considéré que morphologie non concaténative et morphologie gabaritique sont corrélées. Les résultats présentés dans cet article remettent en question l'hypothèse d'une telle corrélation. Nous montrons que le somali, langue couchitique à morphologie concaténative, présente des contraintes gabaritiques : concaténation et gabarits ne s'excluent pas nécessairement. Ainsi, notre analyse incite à considérer sous un angle nouveau les langues à morphologie concaténative. Dans un premier temps, nous présentons brièvement la notion de gabarit et les aspects de la morphologie du somali pertinents pour notre argumentation. Dans un second temps, nous mettons en évidence que certaines opérations dérivationnelles du somali sont régies par des contraintes gabaritiques. Nous présentons en détail les stratégies développées pour concilier contraintes gabaritiques et morphologie concaténative. Les données présentées dans cet article reposent sur un dépouillement exhaustif de dictionnaires de référence et sur un travail avec informateur.

Abstract : The languages that are generally considered templatic, viz. Semitic, are characterized by their essentially non-concatenative morphology. On the basis of this observation, it is often thought that non-concatenative and templatic morphology are correlated. The research presented in this article challenges the assumption of such a correlation. We show that Somali, a Cushitic language with concatenative morphology, exhibits constraints that are typical of templates. Concatenation and templates do not exclude each other. In this sense, our analysis contributes a new perspective for the investigation of languages with concatenative morphology. First, we introduce the notion template and relevant aspects of Somali morphology. Then, we show that certain derivational operations are constrained by templatic conditions, and give a detailed account of the strategies used to reconcile templatic constraints and concatenative morphology. The data are based on an exhaustive quantitative analysis of standard dictionaries and work with a native informant.

 

Catherine Taine-Cheikh : Du rôle de la quantité vocalique en morphogénie Réflexion à partir de l'arabe et du berbère de Mauritanie (p. 41)

Resume : Cet article porte sur la question du système vocalique (proto-)berbère et sur l'existence ou non d'une opposition de quantité à un stade ancien. Il propose quelques éléments de réflexion à partir du fonctionnement de la racine dans les dialectes berbères, par comparaison avec l'arabe. En arabe classique et dans la plupart des dialectes modernes, il existe une opposition de quantité pour les voyelles (brèves vs longues) qui joue un rôle au niveau de la dérivation verbale et, plus largement, au niveau des schèmes de la langue, mais pas au plan des racines — du moins théoriquement. Dans la réalité des faits, cependant, on s'aperçoit qu'en lieu et place de certaines consonnes (semi-consonnes et laryngales principalement), on trouve des réalisations vocaliques, parfois brèves, mais le plus souvent longues.

Partant de l'analyse qui a été proposée pour l'arabe classique, j'essaie de passer en revue les différents exemples d'altérations consonantiques que l'on peut observer dans les dialectes arabes et je les compare à celles qu'on trouve en berbère, en particulier dans les dialectes méridionaux qui apparaissent souvent plus conservateurs dans ce domaine.

Abstract : This article addresses the issue of the (proto-)Berber vocalic system and the problematic existence of a quantity opposition at a former stage. It offers some elements of reflection on the basis of the functioning of the roots in the Berber dialects compared to the Arabic language. In classical Arabic and in most modern dialects, a quantity opposition exists for the vowels (short vs long) that plays a role in verbal derivation and, more generally, in morphological patterning, but not at root level — at least theoretically. In actual fact, however, one realizes that instead of certain consonants (mainly semi-consonants and laryngeals), vocalic realisations can be found, sometimes short, but most of the time long.

Starting from the analysis that has been proposed for classical Arabic, I try to review the different examples of consonantal alterations that can be observed in the Arabic dialects and I compare them to the ones found in the Berber language, in particular in the meridional dialects that often appear more conservative in that regard.

 

2. Thèmes verbaux

Herrmann Jungraithmayr : Le paradigme verbal en –U dans les langues chamito-sémitiques (p. 65)

Resume : Dans certaines langues couchitiques et tchadiques, il existe un suffixe verbal –u (-o) qui dénote la subordination. Cependant, dans certaines langues tchadiques occidentales, il peut être marqueur à la fois d'indicatif et de subjonctif. En akkadien, -u marque la forme du relatif / subjonctif, tandis qu'en arabe il est devenu le signe général de l'imparfait de l'indicatif. Dans des dialectes modernes du sémitique — ainsi que dans de nombreuses langues tchadiques "sans suffixes" — le subjonctif peut être marqué par un accent ou ton particulier situé soit sur le thème verbal, soit sur le pronom sujet précédent. Finalement, dans la dernière étape de son évolution, cette catégorie peut être marquée par des morphèmes auxiliaires qui comprennent souvent des conjonctions.

Abstract : In some parts of Cushitic as well as in several west and east Chadic languages, there is a verbal suffix –u (-o) usually denoting subordination. In some west Chadic languages, however, this –u occurs in both the indicative and the subjunctive. In Akkadian, -u marks relative / subjunctive clauses, in Arabic, however, it has become the general marker of the indicative imperfect. In modern colloquials of Semitic — as in many suffixless Chadic languages — the subjunctive mood may be marked by accent or tone, either on the verb stem or on the preceding subject pronoun. The last stage in the evolution of this category is characterized by the appearance of auxiliary morphemes often including conjunctions.

 

Claude Boisson : Le thème verbal Piel de l'hébreu biblique, les universaux et le problème de l'invariant linguistique (p. 81)

Resume : On procède au réexamen de la forme verbale Pi'el de l'hébreu biblique au vu de données typologiques, et on propose de revenir à l'interprétation traditionnelle de cette forme. C'est une des formes grammaticales pour lesquelles le recours au concept d'invariant sémantique (signifié de puissance) doit être manié avec prudence.

Abstract : The verbal form Piel of biblical Hebrew is re-examined in the light of typological data, and it is argued that a return to its traditional interpretation is called for. Piel is one of the grammatical forms for which the concept of semantic invariant must be used with caution.

 

3. Genre, nombre, accord

Karim Achab : Le système de genre et son origine en berbère et en chamito-sémitique (p. 97)

Resume : En partant du berbère l'auteur de présent article défend l'idée selon laquelle les genres masculin et féminin étaient marqués morphologiquement de façon symétrique. Cette idée va à l'encontre des apparences morphologiques des données contemporaines dont seul le genre féminin est marqué. Ainsi, en berbère, le féminin est indiqué à l'aide de l'affixe discontinu t---t ou le préfixe t- tandis que le masculin est non-marqué. S'appuyant sur deux fonctions distinctes du genre, en tant qu'indicateur de catégorie (masculin et féminin) d'une part, et en tant qu'indicateur de fonctions sémantiques (voir Section 2) d'autre part, l'auteur exploite des données lexicales montrant que le masculin fut jadis indiqué par un affixe discontinu w---w et / ou à l'aide du préfixe w-, établissant ainsi une symétrie morphologique avec le genre féminin au niveau diachronique. L'hypothèse est ensuite généralisée à d'autres langues chamito-sémitiques. L'auteur conclut que l'absence de marques morphologiques qui caractérisent les noms masculins est la conséquence de la chute de l'affixe discontinu w---w en tant que suffixe d'abord et en tant que préfixe ensuite. Dans la section 1 sont présentées des données générales liées au genre en chamito-sémitique en rappelant les différentes hypothèses expliquant son origine ainsi que ses différentes fonctions morphologiques et sémantiques. Dans la section 2, l'accent est mis sur les différents champs sémantiques couverts par l'opposition de genre masculin / féminin en berbère. La section 3 est consacrée à la morphologie du système de genre concernant les noms. La Section 4 est consacrée aux données lexicales révélant l'existence du morphème w en tant que suffixe et en tant que préfixe en berbère, ainsi que dans d'autres langues chamito-sémitiques, plus particulièrement l'égyptien, ancien et moyen, (§ 5.1.), les langues sémitiques comme l'arabe et l'akkadien (§ 5.2.) ainsi que certaines langues couchitiques et omotiques (§ 5.3.). Dans la Section 6 l'auteur propose une origine démonstrative du système morphologique du genre dans les langues chamito-sémitiques. L'article propose aussi une analyse des marques de genre tel qu'elles se manifestent dans les catégories autres que le nom, comme les participes, les verbes, les pronoms et les adjectifs en berbère, dans une perspective comparative (Section 7).

Abstract : The author of the present article focuses on the origin and evolution of gender marking in Afroasian (or Hamito-Semitic) languages. Starting with data from Berber the author argues in favour of the idea that masculine gender marking, which is now unmarked morphologically, was once indicated with the morpheme w either as a discontinuous affix w---w, a prefix w- or a suffix –w. Such an analysis accounts for the morphological asymmetry between masculine and feminine gender marking displayed by lexical data in contemporary Berber as only the feminine is indicated morphologically either with the discontinuous affix t---t or the prefix t-. The discussion is based on two types of roles originally played by gender, as a category indicator (i.e. feminine and masculine) on the one hand, and as a semantic function indicator on the other (see Section 2). The hypothesis was then generalized to the rest of Afroasian languages. The author concludes that the unmarked morphology which is characteristic of masculine gender in Berber is in fact a consequence of morphological reduction. Section 1 provides a discussion of general data relative to the origin of gender in Afroasian. Section 2 focuses on the different functions originally ascribed to gender marking. Section 3 is devoted to the morphology of gender displayed by nouns including singular and plural. Section 4 provides a discussion of lexical data highlighting the role of the morpheme w as a masculine gender marker in Berber and in other Afroasian languages, including Old and Middle Egyptian (§ 5.1.), Arabic and Akkadian (§ 5.2.), as well as other languages from the so-called Cushitic-Omotic group (§ 5.3.). In Section 6 the author argues in favour of a demonstrative origin of the morphological system of gender in Afroasian. An analysis of the gender system displayed by categories other than nouns in Berber, including verbs, pronouns, adjectives, participles, within an Afroasian comparative perspective, is provided in Section 7.

 

Yishai Tobin : Le duel en hébreu: catégorie grammaticale et/ou lexicale? (p. 129)

Resume : Dans cet article, je présente une analyse basée sur le concept fondamental du signe saussurien; je postule qu'il existe une signification invariable ou "signifié" pour le morphème duel –ayim en hébreu, que l'on traduit traditionnellement par "deux" ou "une paire". Je montre que le duel est marqué (au sens de Jakobson) par un trait sémantique distinctif (Intégralité Sémantique) en rapport avec la perception des entités dans l'espace continu ou discontinu, le temps ou l'existence. Cette nouvelle signification explique tous les emplois du duel en hébreu (ceux qui signifient "deux" et ceux qui signifient "plus de deux"), ainsi que les autres anomalies et irrégularités dans la distribution du duel (contrairement à ce qui se passe avec le singulier et le pluriel) tant dans la grammaire que dans le lexique de la langue. J'illustrerai ensuite le fait que le duel et le numéral "deux" (dans sa forme contractée) utilisés chacun en association avec un nom pluriel désignent deux entités distinctes dans le discours hébreu. Ces deux formes possibles ne sont en effet pas synonymes mais il existe au contraire une distinction sémantique subtile entre elles.

Abstract : This paper presents an analysis based on the fundamental concept of the Saussurian sign in which an invariant meaning or a signifié will be postulated for the dual morpheme –ayim in Hebrew traditionally translated as "two" or "a pair". It will be shown that the meaning of the dual is marked (in the Jakobsonian sense) for a distinctive semantic feature (Semantic Integrality) revolving around the perception of entities in continuous or discontinuous space, time and existence. This new meaning will explain all of the uses of the dual in Hebrew (those meaning "two" and those meaning "more than two"), as well as the other anomalies and irregularities of the distribution of the dual (in contrast with the singular and the plural) both in the grammar and the lexicon of the language. It will further be illustrated that when both the dual and the numeral two (in its compound form) + a plural noun are used to designate two entities in Hebrew discourse, these alternative forms are not synonymous, and a subtle semantic distinction exists between them.

 

Alain Kihm : L'accord dans le groupe nominal en sémitique (p. 147)

Resume : Dans cet article, seul l'accord "local" est pris en compte, à savoir l'accord nom-adjectif au sein du groupe nominal. Cet accord, particulièrement en arabe standard, pose le problème du désaccord ou, pour lui donner son nom traditionnel, de l'accord "flottant", c'est-à-dire le fait que les adjectifs modifiant des noms qui ne réfèrent pas à des humains (à des humains masculins dans une variété plus conservatrice) prennent la forme du féminin singulier quel que soit le genre du nom. Les grammaires expliquent généralement ce fait en supposant que les pluriels brisés ont le genre féminin, à moins qu'ils ne dénotent des êtres "rationnels". Or, le pluriel brisé en soi ne saurait être en cause, puisque le même schéma d'accord se retrouve avec les pluriels sains.

On propose donc une autre explication, fondée sur une théorie minimale de l'accord en termes de copie de traits, et sur l'hypothèse que les racines deviennent des noms (substantifs ou adjectifs) dans le lexique en se combinant avec l'élément fonctionnel n, porteur de valeurs de genre ([+/–f]) et d'humanité ([+/–h]). Cet élément est non-spécifié dans les noms adjectifs. La pluralité ([+/–pl) s'associe à n en un faisceau de traits, dans le lexique également. Seuls les faisceaux de traits incluant [+h] et [+pl] sont copiables. Si [+h] est absent de la représentation lexicale du nom substantif, l'adjectif demeure non-spécifié pour le genre et le nombre. Cette non-spécification est associée à un exposant qui se trouve être identique à l'exposant du féminin singulier. L'accord flottant se révèle ainsi analogue à l'accord singulier du verbe avec un sujet neutre pluriel en grec ancien. La connexion à la fois sémantique et formelle entre le féminin singulier et le neutre pluriel, bien observée en indo-européen, mais présente aussi, semble-t-il, en sémitique, mérite une recherche approfondie.

Abstract : Only "local" agreement is considered in this article, namely noun-adjective agreement within the noun phrase. The problem with noun-adjective agreement, especially in Standard Arabic, is disagreement or, as it is conventionally known, "deflected" agreement : the fact that adjectives modifying plural nouns not referring to humans (human males in a more conservative variety) appear in the feminine singular irrespective of the gender of the noun. This fact is accounted for in traditional grammars by assuming that broken plurals have feminine gender unless they denote so-called "rational" beings. Yet, broken plurals per se are not at stake since the same pattern is found with sound plurals.

An alternative account is proposed, based on a minimal theory of agreement in terms of feature copy and on the assumption that roots become nouns (substantive or adjective) in the lexicon as they combine with the functional element n bearing values for gender ([+/–f]) and humanness ([+/–h]). In adjective nouns n is lexically unspecified. Plurality ([+/–pl]) forms a feature bundle with n also in the lexicon. Only bundles including [+h] and [+pl] can be copied. If [+h] is not present in the lexical representation of the substantive noun, the adjective remains unspecified for gender and number. Such unspecification is associated with an exponent which happens to be identical with the feminine singular exponent. Deflected agreement thus appears strongly reminiscent of singular verb agreement with plural neuter subjects in Ancient Greek. The semantic and formal connection of the feminine singular with the neuter plural, well observed in Indo-European, but also present in Semitic, it seems, deserves further investigation.

 

4. Actance et personne

Francesco Aspesi : Remarques sur l'appareil formel de l'énonciation des langues sémitiques (p. 171)

Resume : Selon Benveniste, "l'appareil formel de l'énonciation" est constitué par l'ensemble des "formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation". Dans ce travail, on se propose de rechercher, d'une façon très générale, des traces de l'énonciation dans la morphologie des langues sémitiques, en particulier de la corrélation de la personnalité et de la deixis spatiale dans la morphologie pronominale et nominale, ainsi que de la deixis temporelle dans la morphologie verbale.

Abstract : According to Benveniste "l'appareil formel de l'énonciation" is made up of the whole set of the "formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation". In this study, the author wants as a rule to find the marks of the pragmatic use of the language within the morphology of the Semitic languages.

 

Maria V. Tonietti : Problèmes de morphologie éblaïte dans une perspective comparative. ŠÈ à Ebla : pronom déterminatif-relatif ou préposition ? (p. 181)

Resume : Il y a trente ans, la plus ancienne langue sémitique connue à présent, l'éblaïte, a été découverte, et elle constitue un outil de grande importance pour les études de linguistique sémitique, en particulier ceux qui concernent le sémitique archaïque; en même temps que la compréhension de la langue éblaïte passe nécessairement à travers la comparaison sémitique. Ainsi l'analyse du caractère très particulier du pronom déterminatif-relatif sémitique est ici employé afin de mieux comprendre la fonction d'un élément morpho-syntaxique qui apparaît fréquemment dans les textes d'Ebla et qui a fait l'objet d'interprétations contrastées.

Abstract : Thirty years ago the most ancient Semitic language at present known, Eblaite, has been discovered; a very precious contribution to Semitic Linguistics studies, particularly to those concerning Archaic Semitic; at the same time the understanding of the Eblaite language is deeply based on Semitic comparative studies. In the present paper the analysis of the Semitic "determinative-relative" pronoun is used to better understand the function of a morpho-syntactic element frequently occurring in Ebla texts, which has until now been interpreted in very different ways.

 

Mauro Tosco : La naissance d'une catégorie morphologique : les clitiques sujet entre couchitique et langues romanes (p. 201)

Resume : Plusieurs langues couchitiques possèdent une série préverbale de "marqueurs sujet secondaires" : il s'agit généralement de clitiques, mais aussi parfois de mots phonologiquement indépendants. Dans cet article, je présente d'abord les marqueurs sujet du couchitique que je compare ensuite avec les clitiques sujet de plusieurs langues romanes. Il apparaît que dans les deux groupes de langues, les clitiques sujet sont employés avec des restrictions caractéristiques : leur paradigme est souvent incomplet, ou le même morphème est utilisé pour deux ou trois personnes. Je suggère que la géométrie universelle des pronoms personnels (développée par Harley & Ritter, 2002) pourrait répondre des similarités et de certaines différences entre les "marqueurs sujet secondaires" dans les langues, et pourrait même apporter des clés quant à l'universalité de leur développement historique et structurel.

Abstract : Several Cushitic languages have a preverbal series of "secondary subject markers" : they are generally clitics, sometimes phonologically independent words. In this article, the subject markers of Cushitic are first presented and then compared with the subject clitics of many Romance varieties. It is shown that in both language groups subject clitics display characteristic restrictions : their paradigm is often incomplete, or the same morpheme is shared by two or more persons. It is suggested that an analysis in terms of the Feature Geometry of Pronouns (as developed, e.g., by Harley and Ritter 2002) may well describe the cross-linguistic similarities (as well as certain differences) of the "secondary subject markers" and possibly suggest universal paths of their historical and structural development.

 

5. Dérivation et auxiliation

Zygmunt Frajzyngier : L'augment télique ("goal") dans les langues tchadiques (p. 215)

Resume : L'objectif de cette étude est de montrer qu'il existe dans certaines langues tchadiques une catégorie grammaticale qui n'a pas encore été identifiée jusqu'ici. Cette catégorie, que j'appelle ici "augment télique", permet d'indiquer la présence d'un argument dans la proposition. La catégorie est marquée par l'ajout d'un suffixe à un verbe transitif ou intransitif. L'augment télique est employé dans trois contextes différents : (a) lorsque l'argument sous-jacent d'un verbe n'apparaît pas dans la proposition; (b) lorsque l'argument d'un prédicat n'est pas marqué par l'ordre canonique des mots dans la proposition, par un marqueur casuel ou l'ajout d'une préposition; (c) lorsque le sémantisme du verbe n'exige pas la présence d'un argument (comme c'est le cas des verbes intransitifs).

Mon analyse démontre l'existence de cette catégorie, mais montre aussi qu'elle se distingue de ce que l'on appelle communément "l'applicatif" et explique pourquoi la catégorie ne se retrouve pas dans des langues qui présentent des systèmes grammaticaux différents. Enfin, mon analyse m'a permis de tirer des conclusions quant aux propriétés grammaticales des verbes.

Abstract : The study proposes that in some Chadic languages there exists a hitherto unrecognized grammatical category. The category, labelled here "goal", codes the presence of a goal in a proposition. This category is coded by adding a suffix to either a transitive or an intransitive verb. The category is used in three situations : (a) when the inherent goal of a verb does not occur in the clause; (b) when the goal of the predicate is not marked otherwise by linear order, case, or a preposition; (c) when the verb does not inherently imply the existence of the goal (intransitive verbs).

The study provides the evidence for the existence of the category; the evidence that the category is not the same as "applicative" as commonly understood; and an explanation of why the category does not occur in languages having different grammatical systems. Finally, the study draws conclusions for the inherent grammatical properties of verbs.

 

Abdallah Boumalk : Le morphème dérivatif s- en berbère (p. 231)

Resume : Le morphème dérivatif s- se caractérise à la fois par l'opacité de son statut et la souplesse de sa combinatoire en berbère. Les incidences de cet affixe apparaissent au niveau de la structure actancielle du prédicat par l'augmentation du nombre des arguments. C'est ce qui a amené les berbérisants à le considérer comme un transitivant. Mais la réduction des rôles actanciels peut aussi se produire dans des contextes déterminés. S'opèrent alors la lexicalisation des synthèmes et la perte de la valeur causative/transitive de cet affixe. Sa plasticité lui confère un pouvoir productif bien supérieur à celui des autres morphèmes dérivatifs en matière de création lexicale.

Abstract : The derivative morpheme is characterised by the opacity of its status and the flexibility of its combinatory in Berber. The effects of this affix are displayed at the level of the predicative actancial structure by the increasing number of arguments. The berberisants qualify it as a transitivant. But the reduction of actancial roles may also be produced in particular contexts. Thus, the synthemes are lexicalised and the formant s- loses its causative value. The derivative morpheme's plasticity gives it a productive power higher than other derivative morphemes'. Consequently, its importance consists in lexical creativity.

 

Kamal Naït-Zerrad : Procédés d'auxiliation et grammaticalisation en berbère (p. 241)

Resume : A côté de l'auxiliation temporelle qui permet de marquer l'antériorité, il existe en berbère des procédés d'auxiliation à valeur aspectuelle ou modale. Cette structure apparaît sous la forme V1 (auxiliant) + V2 (auxilié), où V1 et V2 sont en général des verbes conjugués, l'auxiliant pouvant parfois être un élément non-verbal. Certains verbes, outre leur emploi comme auxiliant, peuvent fonctionner également comme conjonction, relateur, etc. On retrouve ces phénomènes dans le reste du chamito-sémitique et dans beaucoup d’autres langues.

L’objectif de cet article est d’analyser les formes et les emplois de ces verbes dans un parler kabyle : les restrictions, la concordance des aspects et l’accord des sujets entre V1 et V2 y seront étudiés.

Abstract : Next to the temporal auxiliation which allows to mark the anteriority, there exists in Berber processes of auxiliation with aspectual or modal value. This structure appears under the shape V1 (auxiliant) + V2 (auxilié), where V1 and V2 are generally conjugated verbs, the auxiliant which can sometimes be a non-verbal element. Certain verbs, besides their use as auxiliant, can also work as conjunction, relator, etc. We find these phenomena in the rest of the Semito-Hamitic and in many of other languages.

The objective of this article is to analyze the forms and uses of these verbs in Kabyle : the limitations, the concordance of aspects and the agreement of the subjects between V1 and V2 will be studied here.

Philippe Bourdin : "Aller" et "venir" en somali : mise en perspective généalogique et typologique (p. 247)

Resume : Les clitiques directionnels soo et sii du somali font partie intégrante du "sélecteur", assemblage de morphèmes préverbaux qui ressortissent, d'une langue couchitique à l'autre, à diverses catégories grammaticales, dont celle de la déixis directionnelle (dd). En dehors de l'ensemble couchitique, des langues afro-asiatiques comme l'akkadien, les langues berbères et maintes langues tchadiques intègrent aussi la dd à leur système grammatical : elles le font selon des logiques de fonctionnement à la fois diverses et à certains égards remarquablement convergentes. Quant aux marqueurs soo et sii du somali, les grammaires de référence leur assignent un sémantisme qui évoque directement l'opposition entre venir et aller en français ou entre her et hin en allemand. Ces descriptions traditionnelles sont inaptes à rendre compte de la spécificité des deux clitiques, tout comme elles masquent les opérations abstraites, d'identification et de mise en altérité, qui s'avèrent fonder l'unité de la dd en tant que catégorie translangagière.

Abstract : The Somali directional clitics soo and sii are part and parcel of the "selector", a set of preverbal morphemes which is to be found in many Cushitic languages and which encodes directional deixis (dd), among other grammatical categories. Outside Cushitic, such Afro-Asiatic languages as Akkadian, Berber and many Chadic languages also embed dd within their grammatical fabric; in doing so, they follow logical patterns that are as diverse as they are, in some ways, remarkably similar. To describe, as grammars of reference tend to do, Somali soo and sii as the mirror-image of English come and go or German her and hin fails to do justice to the specific semantic configuration that they instantiate. At the same time, it obscures the abstract operations that turn out to be the very foundation of dd as a unitary crosslinguistic category, i.e. identification and differentiation.

 

6. Lexique

Abdallah El Mountassir : Lexique et perception de la réalité en berbère. L'exemple du terme aza½ar (p. 259)

Resume : A travers l'étude du terme azaghar attesté dans plusieurs parlers berbères, cet article veut monter comment le vocabulaire géographique et de l'espace contient un discours expressif sur la réalité. Cette expressivité s'explique par l'intervention de la perception visuelle dans la formation du lexique spatial berbère. La richesse lexicale concernant la dénomination géographique en berbère suggère que cette langue est extrêmement précise dans sa désignation de ce domaine d'expérience.

Abstract : Through the study of the word azaghar attested in several Berber languages, this article means to show how geographic spatial vocabulary contains an expressive speech about reality. This expressivity is explained by the importance of the intervention of visual perception in formation of spatial Berber vocabulary. Lexical richness concerning geographic denomination in Berber suggests that this language is extremely precise in this field of experience designing.

 

Dymitr Ibriszimow & Victor Porkhomovsky : Etudes ethnolinguistiques en chamito-sémitique : termes et systèmes de parenté (p. 269)

Resume : Le schème général et le système des codes des termes de parenté ont été élaborés pour l’étude des systèmes et des termes de parenté dans les sociétés qui parlent les langues chamito-sémitiques. Les exemples de l’analyse typologique des systèmes de parenté aussi bien que de l’analyse linguistique des termes de parenté sont présentés selon ces principes de base.

Abstract : A general scheme and system of coding of kinship terms has been developed for the study of kinship terms and systems of the societies speaking Hamito-Semitic languages. On this basis, examples for a typological analysis of kinship systems as well as for linguistic analyses of kinship terms are presented.

 

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