n°23-24 : Les langues austronésiennes

 

Présentation générale

par Elizabeth Zeitoun*

 

L’objectif de ce volume est de donner un aperçu des recherches linguistiques actuelles portant sur les langues austronésiennes.

Etant donné l’étendue de cette famille, on ne pouvait envisager de décrire toutes les langues, ni de présenter, même sommairement, tous les sujets qui alimentent les travaux de linguistique austronésienne.

J’ai donc été contrainte de faire des choix, et d’inciter certains contributeurs à traiter de sujets bien précis. J’ai voulu, par exemple, privilégier les études typologiques et aréales, qui donnent au volume une perspective linguistique d’ensemble et permettent de rendre compte de l’unicité des langues austronésiennes dans leurs variétés actuelles. J’ai aussi inclus des articles traitant de sujets ethnolinguistiques et sociolinguistiques que l’on ne peut ignorer puisqu’ils sont au cœur de l’actualité des populations austronésiennes.

Je me suis adressée principalement à la communauté francophone, n’acceptant que peu d’articles rédigés en anglais. Ceux que j’ai retenus me semblaient intéressants car ils traitent de phénomènes linguistiques que l’on retrouve dans des aires géographiques spécifiques mais qui s’inscrivent dans un cadre de linguistique générale. Ces articles ont été traduits (ou adaptés de l’anglais) par moi-même[1], relus par la plupart des auteurs et par mes collègues K. A. Adelaar, Isabelle Bril, Catherine Chauvin, Géraldine Poizat-Newcomb et Laurent Sagart.

 

Les articles qui ont été réunis dans ce volume sont très divers et les langues qui y sont étudiées nombreuses (voir en appendice la liste des langues citées). Un ordre de présentation n’était donc pas simple à trouver. Je me suis résolue, par souci d’adopter une démarche cohérente qui rende compte d’une certaine problématique (celle de la description de langues pour lesquelles il n’existe généralement pas de tradition linguistique bien établie), à regrouper ces articles en quatre grandes rubriques pour permettre une lecture thématique du volume.

 

En préambule, les langues austronésiennes sont situées dans un cadre géographique, historique et typologique. L’article intitulé "Les langues austronésiennes : situation géo-linguistique" se propose de visualiser la distribution géographique des langues austronésiennes par grandes aires régionales, de rendre compte des problèmes de classification, de retracer les grands parcours migratoires des populations austronésiennes et de faire une ébauche succincte des principaux traits linguistiques qui caractérisent cette famille de langues, en référence au proto-austronésien. "La parenté des langues austronésiennes" est un article provocant de L. Sagart, qui a pour objet de montrer, par le biais de la reconstruction phonologique, lexicale et morphologique, que la famille austronésienne serait génétiquement apparentée à la famille sino-tibétaine et ce faisant de reconstituer la préhistoire des populations ancestrales à ces deux groupes. Les trois articles suivants, "Typologie des langues austronésiennes de Taïwan" (E. Zeitoun), "Typologie syntaxique des langues des Philippines" (L.A. Reid et H.-C. Liao), "Typologie morpho-syntaxique des langues d’Océanie" (M.Ross), traitent des caractéristiques grammaticales principales au sein de trois grandes régions qui compte les foyers de langues les plus importants et/ou les plus nombreux. Une réponse est apportée par S. Starosta à la polémique qui sévit depuis de nombreuses années dans la littérature linguistique au sujet de la "transitivité et [de l’] ergativité dans les langues austronésiennes". Une étude beaucoup plus descriptive de N. Ossart suit sur "les systèmes de numération dans les langues austronésiennes", qui n’en conduit pas moins à un réexamen critique du système numéral du proto-austronésien.

 

Succèdent à cette première rubrique, des études consacrées à l’analyse de problèmes phonologiques, morpho-syntaxiques et sémantiques. Dans l’article de K.A. Adelaar "Le siraya : interprétation d’un corpus datant du 17ème siècle", nous sommes confrontés aux problèmes que pose l’analyse d’une langue morte. Un tout autre thème est évoqué par F. Ozanne-Rivierre et J.C. Rivierre dans "Évolution des formes canoniques dans les langues de Nouvelle-Calédonie". La problématique de cet article est néanmoins quelque peu identique à celle du précédent : comprendre les changements phonologiques dans un groupe de langues à partir, dans ce cas précis, d’observations synchroniques. Les deux articles suivants, "Asymétrie des procédés d’affixation en maga rukai (Taïwan)" (T.-H. Hsin) et " Àla recherche d’affixes perdus en malais" (K. A. Adelaar) s’intéressent aux problèmes liés a l’affixation dans deux perspectives distinctes, synchronique et diachronique. Sont ensuite abordés dans "La réduplication en mwotlap : les paradoxes du fractionnement" (A. François) et "Les clitiques du sasak (Indonésie de l’est)" (P. Austin) les questions de l’interface entre la morphologie et la sémantique d’une part, la morphologie et la syntaxe d’autre part. Les deux articles suivants "Grammaticalisation d’un marqueur de définitude en saaroa" (P. K. Radetzky) et "Voix et rôles thématiques du tagalog" (J.-M. Fortis) mettent à jour les problèmes syntaxiques et sémantiques liés à la notion de définitude dans les langues dites de "type philippin", dont les verbes sont régis par un système focal. Dans "La préfixation du prédicat dans une langue multi-prédicative: l’exemple du malgache maha-" (H. Fugier) et "Relation Tête-Spécifieur et analyse en traits" (Ch. Randriamasimanana), les notions d’accord entre le verbe et le sujet sont aussi, entre autres, abordées à propos du malgache. Enfin, deux articles "Thématisation et focalisation dans les langues de Nouvelle-Calédonie : phénomènes discursifs et mécanismes évolutifs" (I. Bril) et "Convergence entre thème et focus dans les langues polynésiennes" (C. Moyse-Faurie) traitent de la thématisation et de la focalisation dans les langues mélanésiennes et polynésiennes.

 

Dans une troisième partie, deux articles sont consacrés à des études ethnolinguistiques. Ces deux textes, "Etude linguistique d'un chant rituel, penaspas, (puyuma-taiwan)" et "Dédoublement de la parole dans une séance chamanique palawan, ulit (Philippines)" rendent compte de la beauté des langues rituelles et nous ouvrent les portes des mystères chamaniques.

Les articles qui concluent ce volume mettent en lumière certains aspects d’ordre sociolinguistique (minoration des langues austronésiennes, dialectologie, pidgins et créoles). Dans "Recherche linguistique sur le malgache : quelques remarques critiques", les méthodes de travail linguistique sur des langues exotiques (et en particulier, le malgache) sont remises en cause par Ch. Randriamasimanana. "Les langues austronésiennes de Taïwan : peuvent-elles échapper à la minoration?" (C. Saillard) évoque la crise à laquelle sont confrontés la plupart des locuteurs austronésiens, à savoir la disparition à plus ou moins long terme de leurs langues et rend compte des moyens qui sont mis en place à Taïwan pour essayer d’enrayer cette situation. "Les pidgins/créoles du Pacifique-Sud et les langues austronésiennes" (J.M. Charpentier) retrace la naissance et l’évolution d’une langue pidgin, le Beach-la-Mar, qui subit à nouveau l’influence du substrat austronésien. Enfin, l’article sur "Le dialecte malgache de Mayotte (Comores): une discussion dialectologique et sociolinguistique" (N. Gueunier) propose une méthode pour identifier les dialectes malgaches de Mayotte, et retrace leur histoire.

 

Je conclurai en insistant sur les trois points suivants.

J’ai gardé intacte la transcription des exemples proposée par les auteurs. En revanche, pour faciliter la lecture de ce numéro, j’ai unifié les gloses : celles qui sont communes à l’ensemble des contributions sont regroupées en tête de volume ; seules celles qui sont spécifiques à un auteur sont indiquées dans son article.

Au cours de ce travail, j’ai envoyé chaque article à deux rapporteurs. Leurs commentaires critiques ont permis d’enrichir les sujets développés dans ce volume.

Enfin, on se rendra compte au fil des pages non seulement de la compétence des contributeurs dans leur domaine respectif, mais aussi du sérieux avec lequel ils ont participé à ce projet. Que soient donc remerciées toutes les personnes — mes collègues, les contributeurs, les rapporteurs et les membres de la rédaction de Faits de Langues — qui m’ont permis de mettre ce travail à exécution et de pouvoir finalement le terminer.

 

* Institut de Linguistique, Academia Sinica (Taïwan). Courriel : hsez@ccvax.sinica.edu.tw

[1] Dans les exemples empruntés à des ouvrages en anglais, la traduction originale a été conservée, pour éviter l’approximation supplémentaire qu’introduit la traduction en français.

 

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