n° 18 : Langues de diaspora ¨¨ langues en contact

 

Résumés / Abstracts

 

A. Langues de diaspora, langues en contact : quelques portraits

Drettas Georges : Grammaire et diaspora, considérations empiriques (p. 19)

Résumé : Dans cet article, nous proposons une mise en perspective des différents modèles diasporéiques, mettant en évidence deux traits prototypiques : la transmission d'une histoire dans la longue durée, et la référence à un territoire d'origine, réel ou imaginaire. Nous montrons par là-même que toutes les situations de migration ne sont pas vouées à produire un ensemble durable constitutif d'une diaspora. A la lumière de ces principes généraux, nous examinerons le cas grec, et ses différentes strates de diasporéisation.

Abstract : In this paper we put into perspective different diasporeic models by underlining two prototypical features: transmission of history in the long term, and reference to an original territory, be it real or imaginary. We therefore show that not all migratory situations are liable to create a diaspora. The case of Greek in the various stages of its diasporeisation is dealt with, in the light of those general principles.

Friedman Victor : Les marqueurs de frontière dans la grammaire du romani : Structure de la langue et conservatisme dans la Diaspora balkanique (p. 23)

Résumé : Cet article étudie le rôle de la grammaire comme marqueur de frontière linguistique, à partir des dialectes romani de la République de Macédoine. En 1829, J. Kopitar notait pour la première fois que le roumain, le bulgare et l'albanais donnaient l'impression d'avoir "une grammaire avec trois lexiques". De ce point de vue, la grammaire du romani balkanique présente deux parties, l'une ouverte aux influences balkaniques, l'autre non. Cet article évoque les mécanismes sous-jacents à ce phénomène, et cherche à en dégager les causes. Si le lexique de base est un marqueur de frontière bien connu, l'étude de la grammaire du romani montre que certains domaines sont plus perméables que d'autres : dans le système phonologique, c'est le cas des affriquées qui évoluent différemment selon les langues de contact, alors que les consonnes sourdes, héritées des langues indiennes, et n'existant dans aucune langue en contact, restent un trait phonologique distinctif. Un phénomène analogue esy observé concernant l'accent tonique. Au plan morphosyntaxique, le romani de Macédoine dispose dans son système verbal d'une variété de structures calquées et empruntées (futur, infinitif et conditionnel analytiques, ainsi que les comparatifs). Les systèmes substantival et pronominal, eux, ont fortement résisté au changement : malgré la tendance balkanique à une déclinaison analytique et au syncrétisme génitif-datif, le système flexionnel romani est conservateur et distingue bien les deux cas. En romani, le phénomène de la réduplication de l'objet suit des règles très spécifiques qui divergent du modèle balkanique, tout comme l'absence d'opposition datif-accusatif dans les pronoms clitiques.

Abstract : I discuss here the use of grammar as a linguistic boundary marker, with a focus on the Romani dialects of the Republic of Macedonia. In 1829, J. Kopitar first noted that Romanian, Bulgarian and Albanian give the impression of "one grammar with the three lexicons." Balkan Romani Grammar can be said divided in this respect : part of it is open to contact-induced change and part of it is not. This paper discusses the mechanisms and speculate on the causes of this phenomenon. Although core lexicon is an obvious boundary marker, a study of Romani grammar reveals that certain areas are more permeable than others. Thus, in the phonological system, affricates tend to take on the qualities of those of the primary contact language. On the other hand, these dialects maintain aspirated voiceless stops as a distinctive feature, a phenomenon inherited from Indic and not found in any of the contact languages. Similar phenomena are observed concerning stress. In the realm of morpho-syntax, Macedonian Romani allows many contact-induced constructions in the verbal system (future, infinitive and conditional analytic constructions, analytic comparative). In the substantival and pronominal systems, however, one note strong resistance to change : despite the Balkan tendency toward analytic declension and merger of the genitive-dative opposition, Romani maintains case markers and a strict genitive-dative distinction. The Balkan phenomenon of object reduplication in Romani follows very different rules that undermine its similarity to the other Balkan languages. So do the absence of a dative-accusative distinction in clitic pronouns.

Szulmajster Anne : Quelques caractéristiques typologiques du yidiche (p. 35)

Résumé : Le yidiche vivant depuis 10 siècles une situation de contact, l’étude de ses caractéristiques typologiques actuelles est pertinente pour le chercheur, notamment dans une optique comparatiste. On en examinera ici 6, qui sont susceptibles d’apparaître dans d’autres langues de Diapora et au-delà, dans d’autres langues mixtes. Parmi elles, 4 appartiennent à la langue même, une autre à la parole, et une autre enfin à l’interlangue. Ces caractéristiques, qui contribuent à octroyer au yidiche un certain profil, alimentent une réflexion sur l’équilibre d’un système linguistique évoluant historiquement par ruptures successives.

Abstract : Since Yiddish has experienced 10 centuries of contact situation, the study of its present typological characteristics is relevant for searchers, especially on a comparatist point of view. We shall examine here 6 of them, which are likely to appear in other Diasporic languages, and further in other mixed languages. Among them, 4 belong to the language itself, another one to the speech, and the last one to the interlanguage. These characteristics contribute to confer on Yiddish a certain outline and nourish consideration on the equilibrium of a linguistic system historically  evoluating in successive ruptures.

Montaut Annie : Diaspora des langues en contexte multilingue : l’Asie du Sud (p. 53)

Résumé : Les nombreuses langues qui se perpétuent depuis des siècles en situation de diaspora dans le sous-continent indien (dont la dakkhini hindi/ourdou en milieu dravidien) font état d’un maintien linguistique remarquable. Il est sans doute dû au multilinguisme généralisé. Le plurilinguisme indien relève d’un multilinguisme organique et stratificationnel, l’usage des divers segments du répertoire étant régi par l’hétérogénéité fonctionnelle, traditionnellement non compétitif. En comparant la sociologie des usages  (variétés hautes et basses) en situation de diglossie ou bi-dialectalisme avec la situation de bilinguisme dans les communautés en diaspora, on s’explique mieux les changements formels qui interviennent dans les langues diasporisées. Ces changements partagent nombre de traits avec les processus de convergence liés au contact, parfois proche de la créolisation, et peuvent éclairer la dynamique du changement linguistique en milieu multilingue.

Abstract : The numerous languages spoken for centuries in diaspora within the Indian Sub-Continent (among which Hindi/Urdu Dakkhini in a Dravidian surrounding) exhibit a remarquable degree of language maintenance. This is probably helped by the multilinguial situation prevalent in India. Indian grassroot plurilingualism is of the organic and stratificational type, and the use of the various segments of the linguistic ‘repertoire’ obeys functional heterogeneity, in a traditionnally non competitive frame. Comparing the social use (high and low varieties) in diglossic or bi-dialectal situation with the bilingual situation prevailing among diasporic communities, we can better understand the formal changes occurring in the diasporic languages : such changes share a number of features with the process of convergence and contact obtaining in the area, sometimes close to creolization, and may cast some light on linguistic change in multilingual environments.

Vanhove Martine : Contacts de langues et complexification des systèmes : le cas du maltais (p. 65)

Résumé : La langue maltaise, à l’origine un dialecte arabe, a eu des contacts intenses et prolongés depuis le Moyen-Age avec le sicilien et l’italien, et, depuis le XIXe siècle, avec l’anglais. Ces trois langues étrangères ont joui, et continuent de jouir pour ce qui est de l’anglais et, dans une moindre mesure, de l’italien, d’un statut prestigieux pour des raisons socio-culturelles et économiques. De nos jours, alors que le maltais est devenu une langue écrite et demeure la langue maternelle des locuteurs, la plupart d’entre eux sont bilingues maltais - anglais et, très souvent aussi, trilingues maltais - anglais - italien. La pratique de l’alternance codique est aussi très fréquente.
Après avoir rapidement examiné les phénomènes bien connus de l’emprunt, du calque et des adaptations diverses aux systèmes exogènes liés aux contacts de langues, l’essentiel de l’article étudie la question de la complexification de certaines parties du système linguistique qui ne peut être imputée ni au lexique, ni à la morpho-syntaxe, ni à la sémantique des langues exogènes. En maltais, alors que le système nominal a subi des transformations relativement mineures, le système verbal, figé en ce qui concerne les procédés morpho-sémantiques de dérivation, a développé un système extrêmement raffiné pour l’expression de valeurs aspectuelles, modales et temporelles, fondé sur l’utilisation de verbes auxiliaires et de périphrases verbales. Le phénomène est illustré par l’analyse du sous-aspect duratif. Il est montré que les contacts de langues sont la cause indirecte (i) du développement interne du duratif, sémantiquement, mais non morpho-syntaxiquement, identique au duratif dans d’autres langues de la famille, et (ii) de la prolifération des périphrases verbales. L’introduction d’un auxiliaire duratif a également été encouragé par la perte des outils dérivationnels.

Abstract : The Maltese language, historically an Arabic dialect, has had deep and long contact with Sicilian and Italian since the Middle Ages, and with English since the XIXth century. These three foreign languages were prestigious for socio-cultural and economical reasons, a status which English, and Italian to a lesser extent, are still enjoying. Today, while Maltese has become a written language and remains the mother tongue, most Maltese speakers are bilingual Maltese - English, and quite often also trilingual Maltese - English - Italian. Code-switching is quite common too.
After quickly dealing with the well known phenomena of borrowings, loan translations and adaptations to the exogenous systems, due to language contacts, the core of the article examines the question of the complication of some parts of the linguistic system which cannot be traced back either lexically, morpho-syntactically or even semantically to the foreign languages. In Maltese, while the nominal system underwent minor changes in this respect, the verbal system, frozen as far as the semantic derivational processes based on morphology are concerned, has developed an extremely refined system for the expression of aspectual, modal, and temporal values, based on the use of numerous auxiliary verbs and verbal periphrasis. The phenomenon is exemplified by the study of the durative sub-aspect. It is argued that language contact is the indirect driving force of (i) the internal development of a durative, semantically identical but not morpho-syntactically to the durative of some other languages of the family, (ii) the proliferation of verbal periphrases. It is argued that the introduction of the durative auxiliary was also favoured by the loss of a derivational device.

Pury Sybille de : Le garifuna, une langue mixte (p. 75)

Résumé : Le garifuna est une langue "mixed" ou "mélangée". Son lexique est un composite qui révèle différentes situations de contact. Les Garifunas, qui furent déportés de St-Vincent (Antilles) vivent aujourd'hui sur la côte atlantique de l'Amérique Centrale (Bélize, Guatemala, Honduras, Nicaragua). La moitié d'entre eux ont émigré aux Etas-Unis pour raisons économiques. L'élite intellectuelle a mis en place une politique de défense de la langue qu'on ne peut comprendre hors de leur histoire qui est aussi l'histoire de leur langue.

Abstract : Garifuna is a "mixed" language whose lexicon is composed mainly of languages with which it has been in contact. The Garifunas, who were deported from the Lesser Antilles, live along the Atlantic Coast (Belize, Guatemala, Honduras, Nicaragua) and nowadays lot of them migrate to the United States. This minority is implementing politics of language revival which are only understandable through the study of its history.

B. Contact et structures linguistiques

Varol Marie-Christine : Calques morphosyntaxiques du turc en judéo-espagnol : mécanismes et limites (p. 85)

Résumé : La langue de diaspora développe-t-elle un rapport particulier au contact des langues ? Le judéo-espagnol (Turquie) est parlé dans un contexte communautaire plurilingue (turc ; français) et coexiste avec la pratique d’une langue-calque de l’hébreu de tradition ancienne. Deux calques du turc en judéo-espagnol (l’ordre déterminant / déterminé et la modalité médiative) sont analysés dans le cadre des théories du contact de langues et en rapport avec une situation de contact comparable (espagnol / quechua). La diffusion d’un élément de la langue 2 dans la langue 1 pose le problème : a) de la prise en compte de la diachronie de la langue 1 ; b) de la compatibilité des systèmes en synchronie. L’étude met en avant : a) le rôle identitaire de l’emprunt et du calque en judéo-espagnol ; b) la compétence des locuteurs dans la sélection des convergences et la résolution des divergences entre systèmes ; c) le fonctionnement de l’acquisition de nouvelles catégories cognitives au contact de la langue 2 (la prééminence du médiatif) et ses conséquences ; d) le rôle de la généralisation, de l’extension et de la remotivation, dans l’adaptation des éléments du système 2 au système 1.

Abstract : Does the diaspora language improve a special relationship with language contact ? Judeo-spanish (in Turkey) is spoken in a multilingual context (turkish ; french) and coexists with a traditional calque of biblical Hebrew. In this article two calques from turkish (the order determinant / determined ; the mediative modality) are analysed in the frame of the theories in language contact and in relation with a similar case of contact (castellano /quechua). The spreading of a syntactic element from language 2 within language 1 evidences two requirements : a) the necessity of studying the diachrony of language 1 ; b) the necessity of taking in consideration the compatibility between system 1 and system 2.  The present study eventually shows : a) the importance of cultural idendity in borrowings and calques phenomenas ; b) locutor’s ability in selecting convergences and solving  divergences between two linguistic systems ; c) the way  the acquisition of new cognitive categories works  (the mediative preeminence) and its consequences ; d) the role of generalisation, remotivation, and extension when adapting elements from system 2 to system 1.

Courthiade Marcel : Acquisition de particules périverbales par certains parlers de la langue rromani : essai de description (p. 101)

Résumé : Les contacts pluriséculaires du rromani avec diverses langues européennes ont causé l’introduction dans les formes locales de cette langue de diverses structures copiant des traits de base des langues de contact, par exemple des préverbes dans les région de langue majoritaire slave. De même, les particules hongroises et germaniques ont pénétré les parlers rrom locaux. Cet article a pour but de donner un aperçu de ce phénomène dans un large panorama de lectes rrom, tels qu’ils sont parlés en Hongrie et dans les régions de langues slaves et germaniques, avec une comparaison systématique du phénomène correspondant dans les langues-hôtes. Il en ressort que le rromani adopte facilement ce genre de particules avec leur valeur sémantique immédiate mais pas leur fonction grammaticale (surtout perfectivisation et emphase). L’introduction de telles particules n’est pas une simple affaire de calque sur la langue majoritaire, puisque un seul et même dialecte peut présenter des différences de chaque côté d’une frontière : par exemple « j’ai lavé » est rendu de préférence par isthovzom chez les KalajZi de Bulgarie et par thovzom chez ceux de Macédoine, bien qu’on ne relève pas de différence notable dans les équivalents bulgare et macédonien et que les Rroms des deux groupes connaissent cette spécificité. Il serait nécessaire d’étudier les différents contextes de manière plus approfondie pour pouvoir expliquer ces divergences. En outre, l’absence d’étude comparée de ce phénomène dans les langues majoritaires (hongrois, slaves et germaniques) continuera à entraver toute tentative de rendre compte de manière exhaustive de ce système complexe.

Abstract : The long-lasting contacts of Rromani with various European languages have lead to the introduction into its local varieties of several patterns mirroring some of the basic features of the contact languages as, for example, verbal prefixes in areas where Slavic languages prevail. Similarly, Hungarian and Germanic particles have entered local Rromani varieties. This paper attempts to provide an overview of this phenomenon in a wide range of Rromani lects as spoken in Hungary and areas of Slavic and Germanic languages, with systematical comparison of the equivalent phenomenon in the surrounding languages. It results of this confrontation that Rromani integrates easily this kind of particles along with their tangible semantic value but does not integrate their grammatical fonction (mainly perfectivization and emphasis). The integration of such particles is not merely a matter of loan translation, since one and the same dialect may behave differently on each side of a border: for example “I washed” is preferably rendered by isthovzom among Bulgarian KalajZi and by thovzom among Macedonian KalajZi, although the use of the Slavic equivalents does not differ basicly in Bulgarian and Macedonian and Rroma of both groups are aware of this specificity. A more in-depth exploration of the various back-grounds is needed to explain this kind of local discrepancies. In addition, any attempt of a full account for this complex system will be hampered by the lack of comparative study of this phenomenon in majority languages (Hungarian, Slavic and Germanic).

Perrot Marie-Eve : Bilinguisme en situation minoritaire et contact de langues : l'exemple du Chiac (p. 129)

Résumé : Cet article résume les travaux antérieurs de l’auteur sur le Chiac de Moncton, variété mixte issue du contact intensif du français acadien avec l’anglais en milieu francophone minoritaire (région sud-est du Nouveau-Brunswick, Canada). L’analyse s’appuie sur un corpus d’oral spontané constitué dans une école secondaire de langue française auprès d’un groupe d’adolescents. Basé sur une typologie des mots anglais attestés dans le discours, l’article montre les différents niveaux d’interpénétration des langues dans l’énoncé mixte. L’auteur examine les modalités d’insertion des éléments de la langue source dans la matrice acadienne en accordant une attention particulière à différents phénomènes de restructuration et en  soulevant chaque fois que cela s’avère possible la question de la motivation des emprunts.

Abstract : This paper is a synthesis of the author’s previous research on Chiac, a hybrid vernacular spoken in the city of Moncton (South-Eastern New-Brunswick) and resulting from the intensive contact between Acadian French and English. Spontaneous oral data collected among French-speaking adolescents are used for the analysis. After a description of the sociolinguistic situation, the article reviews the different kinds of English elements inserted in the Acadian matrix. The argument is based on a typology of the contact phenomena observed in the data with special emphasis on restructurations testifying to the autonomy of Chiac with respect to the languages of origin. The question of the motivation of the contact phenomena is also discussed.

Khan Geoffrey : Quelques aspects de l'expression d'"être" en néo-araméen (p. 139)

Résumé : L’Araméen est une langue sémitique, qui, avant la période islamique, était parlée partout au Proche Orient. Quelques dialectes néo-araméens sont encore parlés dans diverses régions du Proche Orient, y compris la Syrie, le sud de la Turquie, le nord de l’Iraq et l’ouest de l’Iran. Beaucoup d'entre eux sont cependant au bord de l’extinction, du fait des migrations des locuteurs et de la domination croissante de langues avec lesquelles les dialectes sont en contact. Les dialectes néo-araméens de la région du Kurdistan ont été particulièrement touchés par ces facteurs. Dans cet article, je montre comment la morphologie et la syntaxe de l’expression de ‘être’ dans les dialectes néo-araméens de la région du Kurdistan ont été influencées par le contact avec le kurde, langue indo-européenne du groupe iranien. La prédication au présent était exprimée originellement en araméen par ‘une copule pronominale’, qui correspondait aux formes enclitiques des pronoms personnels. Cette copule a été réinterpretée dans les dialects néo-araméens du Kurdistan comme une forme verbale infléchie. Cela semble s'être developpé sous l’influence du kurde, dans lequel ‘être’ est exprimé par une forme verbale enclitique. Cependant, l’influence du kurde n’a pas entraîné le transfert direct de matériel morphologique, mais a agi comme un stimulant pour un developpement interne à l’araméen lui-même.

Abstract : ‘Some aspects of the expression of “to be” in Neo-Aramaic’
Aramaic is a Semitic language, which, before the Islamic period, was spoken throughout the Near East. Some neo-Aramaic dialects are still spoken in various regions of the Near East, namely in Syria, Southern Turkey, Northern Iraq and Western Iran. Many of these, however, are on the verge of extinction due to the displacement of the speakers from their original places of residence and due to the increasing dominance of languages with which they are in contact. The neo-Aramaic dialects in the region of Kurdistan have been particularly affected by both of these factors. In this paper it is shown how the morphology and syntax of expressions of ‘to be’ in the neo-Aramaic dialects of the region of Kurdistan have been influenced by contact with Kurdish, an Iranian language belonging to the Indo-European family. Predication in the present tense was originally expressed in Aramaic by the so-called ‘pronominal copula’, which consisted of cliticized forms of personal pronouns. This was reinterpreted in the neo-Aramaic dialects of Kurdistan as an inflected verbal form. This appears to have taken place under the influence of Kurdish, in which the ‘to be’ is expressed by a cliticized verbal form. The influence of Kurdish, however, does not invovle the direct transfer of morphological material, but rather it acts as a trigger for the internal development in Aramaic itself.

Dubois Sylvie : Attrition linguistique ou convergence dialectale : JE, MOI/JE et MOI en français cadien (p. 149)

Résumé : Cette étude présente une analyse variationniste des trois formes de pronoms sujets de la première personne au singulier JE, MOI/JE et MOI en français cadien. Les données proviennent du corpus sociolinguistique de français cadien/anglais cadien qui comprend 120 locuteurs bilingues nés et vivant dans quatre paroisses cadiennes en Louisiane. Notre but est de démontrer que la présence de la forme MOI employée seule ne résulte pas d'un changement linguistique isolé mais plutôt d'un processus d'attrition touchant tous les locuteurs ayant une compétence restreinte en français cadien, quel que soit leur âge. Nous voulons également montrer que l'usage de la forme MOI va de pair avec plusieurs types de stratégies linguistiques (régularisation et restructuration verbale non conventionnelle) utilisés par les locuteurs cadiens non restreints.

Abstract : In this study, we present a variationist analysis of the first person singular subject pronouns JE, MOI/JE and MOI in Cajun French. Our sample is made up of Cajun French speakers who were born, raised and still live in their home parish in Louisiana, USA. All the subjects are bilingual: they speak English and French fluently. Our goal is to demonstrate that the usage of the form MOI alone does not result in the emergence of an isolated language change but is instead derived from a linguistic interference process at work only in the speech of restricted speakers of Cajun French. We will also show that the use of MOI goes hand in hand with several kinds of linguistic strategies (unconventional regularization and verbal restructuring) used by Cajun French fluent speakers.

C. Langues et représentations collectives (la langue comme "territoire")

Hovanessian Martine : La langue arménienne et les récits du retour (p. 167)

Résumé : Nous aborderons la question des langues de diaspora à partir du phénomène de la dispersion. La vie en diaspora suscite non seulement de nouveaux usages de la langue mais aussi des utopies de retour.
Nous dégagerons de nos traversées de terrain, dans le recueil de témoignages oraux ainsi que de nos lectures d'écrits sur la mémoire arménienne des expressions identitaires relatives à la langue. Ces expressions nous permettent d'éclairer la notion si délicate de sentiment d'appartenance.
Le thème de "l'exil de la langue" sera traité à travers des figures multiples : le "sans retour possible", la condition d'étranger et la honte sociale qui l'accompagne, le rapport à la langue et la question de la transmission, le principe générationnel, les enjeux liés à l'institutionnalisation des lieux d'apprentissage et à l'organisation de la vie communautaire. Enfin, nous montrerons que le retour à la langue constitue en diaspora un enjeu important de maintien d'un lien social. Ce lien révèle un imaginaire de l'unité et du retour malgré les diversités des pratiques linguistiques liées aux mobilités migratoires d'un pôle à l'autre du regroupement.

Abstract : This paper deals with the question of diaspora languages from the vantage point of the phenomenon of dispersion. Life in diaspora not only creates new language-uses but also homecoming utopias. Our fieldwork, based on written and spoken testimonies enabled us, through the study of terms referring to the notion of identity, to shed light on the notions of "feeling of belonging" and "feeling of exile". Speaking Armenian, despite the diversity of situations, plays a role in maintaining social cohesion. This cohesion is based on the unitarian perspective of a community focussed on a utopian homecoming.

Among the themes addressed in this paper are: the impossible return, the status of foreigner and the social shame that goes with it, the relationship to language and language-legacy through transmission across generations, the role of institutions and of community life.

Duka Jeta : Pratique interdialectale en situation de diaspora : le lexique rromani ‑ témoignage en synchronie (p. 181)

Résumé : Précédé par une introduction de Marcel Courthiade, ce témoignage d'une locutrice native originaire d'Albanie relate différentes situations de contact interdialectal auxquelles elle a été confrontée. Ce récit met en évidence un paradoxe essentiel touchant à la diversification dialectale : même si une divergence ponctuelle ne remet pas en question la structure de la langue, elle peut fausser la communication par un contresens total. Les malentendus relatés ici illustrent des phénomènes de mutation lexicale générateurs de doublons, comme l'abandon de termes rromanis ayant perdu leur signification propre, puis la réintroduction de mots d'emprunt ; ou encore l'introduction d'un terme nouveau en même temps qu'un objet nouveau, avec maintien du mot ancien seulement pour désigner l'objet homologue traditionnel — la disparition de ce dernier entraînant celle du mot le désignant. On trouve ainsi formulés en termes linguistiquement naïfs des phénomènes qui apparaissent dans plusieurs études de ce volume.

Abstract : Preceded by an introduction by Marcel Courthiade, this testimony of a native speaker from Albania presents various situations of interdialectal contact. This non-linguistic narrative tackles phenomena that are dealt with in several studies published in this volume, and sheds light on a fundamental paradox of dialectal diversification: while a punctual divergence does not change the structure of a given language,  it can nevertheless drastically impede communication. The misunderstandings described here illustrate phenomena belonging to lexical mutation and the generation of pairs. Among them the neglect of rromani terms which have lost their proper meaning and the reintroduction of borrowings, the introduction of a new term alongside with a new object, while the traditional term designates the homologous traditional object, and ultimately disappears following the disappearance of the object itself.

Séphiha Haïm Vidal : Le ladino : de l'hébreu habillé d'espagnol ou le paradis calqué (p. 191)

Résumé : Dans cet article, nous entreprenons de montrer comment les Juifs espagnols et leurs descendants judéo-espagnols, au-delà de l'expulsion de 1492, ont respecté leur texte hébreu de base, celui de l'Ancien Testament en essayant de le transmuter en un espagnol qui conservât autant que possible toutes les caractéristiques de la langue originelle. Et ce, soit sous graphie latine, soit sous graphie hébraïque, celles-ci constituant en quelque sorte un masque pseudo-chrétien dans le premier cas, pseudo-juif dans le second, mais masque seulement, puisque dans l'un et l'autre cas, il s'agit de sauvegarder le message de base, le message mosaïque. C'est là le produit d'interférences entre deux cultures et deux religions, interférences qui existent également au contact d'autres langues, mais aussi dans l'Islam, où, on le sait, les Iraniens non arabophones durent recourir à une traduction littérale (calque) du texte coranique donnant ainsi sous habillage graphique arabe un texte iranien que j'appellerai islamo-iranien calque comme je nommerai judéo-espagnol calque le ladino dont il sera question dans cet article. C'est en quelque sorte à une véritable radiographie de nos textes que nous procéderons, un peu comme, grâce aux rayons rasants, on peut sous une toile de maître retrouver ses projets antérieurs ou ses repentirs.

Abstract : In this paper, we show how the Spanish Jews and their Judeo-Spanish descendents have respected their fundamental Hebrew text, that of the Old Testament, by trying to translate it into a Spanish that was to retain as much as possible the specificities of the original language. Both written forms, the latin one and the hebraic, are considered here as pseudo-Christian or pseudo-Jewish masks aiming at saving the original Mosaical message.
Such interferences between cultures or religions can be encountered in Islam as well: Iranians who could not speak Arabic opted for a literal translation of the Koran that enabled them to retain an Iranian text behind the mask of Arabic writing.

Donabédian Anaïd : Tabous linguistiques en arménien occidental : ‘gor’ progressif est-il ‘turc’ ? (p. 201)

Résumé : L'arménien occidental, langue parlée par les Arméniens de l'Empire Ottoman, devenue langue de diaspora au début du XXème siècle, connaît une particule gor qui, postposée aux formes verbales de présent ou d'imparfait de l'indicatif, leur confère une valeur progressive. Fréquente dans la langue courante, cette forme n'est pourtant pas admise par la norme, faisant même figure de véritable tabou, en tant que 'vulgaire', 'dialectale', 'inélégante', et pour finir 'turque'. En somme, la norme va jusqu'à dire que 'gor n'est pas arménien'. Alors que l'histoire de la forme montre que son origine ne peut se réduire à cela, l'étude du fonctionnement de cette forme dans la langue, elle, ne permet pas de le considérer comme un simple attribut stylistique, mais prouve au contraire que gor a une véritable place dans l'économie du système aspecto-modal de l'arménien occidental. Nous ne nous en tiendrons pas à ce constat, car si malgré tout la réputation de gor est si tenace, c'est qu'elle traduit un rapport à la langue qui est à notre sens typique d'une situation de langue dominée, et mérite d'être analysé en tant que tel. Enfin, au-delà de son intérêt sociolinguistique, ce phénomène a, au plan linguistique, des effets paradoxaux sur l'évolution du système.

Abstract : Western Armenian (WA), originally spoken by Armenians in the Ottoman Empire, became a diaspora language at the beginning of the 20th century. In WA there is a postverbal particle gor, compatible with present and imperfect, which conveys progressive meaning. Although often used in spoken WA, gor is strongly rejected by the normative use, as "dialectal", "vulgar", "inelegant", and finally "Turkish", i.e. not Armenian. The history of gor shows that even if it is undeniably linked to Turkish -yor, it is not properly a borrowing. Moreover, studying the functions of gor in WA, we find that it is really an integral part of the verbal system of WA. Nevertheless, gor's reputation is very strong, and it reveals an attitude toward WA that deserves to be studied as a characteristic feature of dominated languages. Finally, we will show that beyond its sociolinguistic import, this phenomenon has paradoxical effects on the verbal system's evolution.

Kasparian Sylvia : Parler bilingue-multilingue et identités : Le cas des Arméniens de la diaspora (p. 211)

Résumé : Dans cet article, après avoir décrit la dynamique identitaire, nous définissons notre conception de l'identité bilingue/multilingue à travers la situation des Arméniens de la diaspora. Ensuite, l’analyse d'exemples tirés de conversations spontanées, bilingues- multilingues d'Arméniens de Paris, nous permet d'illustrer comment cette dynamique identitaire est  révélée par le langage; comment le parler bilingue (longtemps ignoré par les puristes et la tendance normative) répond à des besoins ou stratégies communicatives des locuteurs basées sur un jeu identitaire.  Et enfin, comment ce jeu complexe d’affirmations et de négociations d’identités sociales (linguistiques, culturelles, ethniques, professionnelle,…) qui s'organise à deux niveaux identitaires (latent et ponctuel) révèle des éléments de la  réalité psychosociale des Arméniens de la diaspora: identités bilingues- biculturelles; tabou linguistique, droits et obligations et comportements sociolinguistiques reliés à chacune des langues et des cultures en contact.

 

Abstract : In this article, after describing the dynamics of social identities (linguistic,cultural,ethnic,professional..), I will define my concept of bi/multilingual identity through the situation of Armenians diaspora and illustrate how this identity dynamic is revealed by language: how bilingual speech fulfills communicative needs or strategies of speakers based on an identity negociation. Finally, examples taken from spontaneous conversations among multilingual Armenians from Paris will allow me to show how this complex social identity negociations in conversation, is organized, along two levels of identity, latent and punctual, and how it reveals elements of the psycho-social reality of diaspora Armenians: bilingual-bicultural identities, linguistic taboos, rights and obligations and socio-linguistic behaviors related to each of the languages in contact.

Drettas Georges : Grammaire et diaspora, norme et pratiques des Pontiques de l'ex-URSS (p. 223)

Résumé : En URSS, les Grecs pontiques, toutes origines confondues, étaient installés sur le pourtour méridional de l'Empire. Depuis les premières migrations vers la Grèce, en 1938-39, le mouvement devient massif depuis la chute de l'URSS. La situation linguistique des candidats au "retour" est complexe. Si la russophonie fonde une connivence interne au milieu pontique, les pontiques exclusivement russophones ont des difficultés à apprendre le grec, malgré une proximité typologique certaine, ce qui nous fait postuler que les différences morphologiques sont cruciales pour générer des difficultés d'acquisition relevant plus des marqueurs que des catégories concernées (comme l'aspect verbal). Les bilingues pontique-russe se heurtent, eux, à des difficultés dues au contact des deux variétés de grec, dont les structures diffèrent considérablement au plan phonologique, phonétique, morphosyntaxique et syntaxique (notamment : place de l'accent, ordre séquentiel des élements du SN, différences dans l'emploi des aspects). On observe ainsi un flottement qui peut être partagé par les deux catégories de Pontiques, mais n'affecte pas également tous les éléments du système, et qui prolonge une tradition ancienne de polyglossie de la société pontique, liée à une répartition des fonctions entre variantes.

Abstract : Pontic Greeks originally lived on the South borders of the Russian Empire. They have massively returned to Greece since the collapse of the USSR. Some of them are exclusively Russian-speaking, and others are bilinguals (Pontic-Russian). The former have problems learning Greek, despite the typological proximity of both languages. This enables us to postulate that acquisition problems of that kind are linked to the markers themselves rather than to the categories under consideration (aspect for instance). The Pontic-Russian bilinguals are also confronted with problems due to the contact of two varieties of Greek, whose structures considerably differ on a phonological, phonetic, morphosyntactic and syntactic levels (e.g. stress position, word order in NPs, uses of aspectual forms). Therefore, an old tradition of polyglossia remains vivid among both categories of Pontic Greeks, with differences inside each subsystem.

Conclusion par Nicolas Quint (p. 233)

Résumé : Les migrations font partie de la nature de l’espèce humaine et lorsqu’ils quittent leur demeure, les hommes emportent avec eux leurs langues et rencontrent d’autres hommes qui parlent d’autres langues : les déplacements de populations se traduisent donc généralement par de nouveaux contacts de langues, qui seront souvent lourds de conséquences pour les groupes linguistiques qui se côtoient.

Dans tous les cas considérés, l’analyse des rapports entre langues passe par la prise en compte de plusieurs critères, principalement :
— le type de contact (intensité des relations inter-communautaires, dynamique des groupes en présences).
— la nature des interactions entre langues (rapports entre langue dominante et langue dominée, maintien ou perte des frontières entre systèmes linguistiques).
— l’aspect psychologique et idéologique du contact entre communautés linguistiques (mouvements d’assimilation ou de résistance linguistique, changements de perception identitaire liés au multilinguisme).
Les communautés diasporiques constituent des objets particulièrement passionnants pour l’étude des contacts entre langues. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que ces cas spectaculaires ne sont finalement que l’exacerbation d’une tendance spontanée chez tout être humain : celle de moduler sa façon de parler en fonction du discours de l’Autre.

Abstract : Migrations are characteristic of mankind throughout history. When people leave their homeland, they always take their language with them, and then they usually encounter other peoples speaking other tongues. Population movements frequently lead to new language contacts, which often have major consequences for the communities concerned.
In all cases, the analysis of the relationships between two or more languages depends on the consideration of several criteria, particularly :
— the type of contact (intensity of linguistic intercourse between the communities; dynamic behaviour of the diverse groups that are brought together).
— the nature of linguistic interaction (relations between dominant and dominated languages; maintenance or loss of linguistic boundaries).
— the psychological and ideological aspects of contact between linguistic groups (acceptance or refusal of assimilation; changes in participants' sense of identity resulting from a multilingual environment).
Diasporic communities are particularly interesting for the study of language contacts. However, it should be borne in mind that these dramatic events are but the exacerbation of an innate faculty present in all humans : the ability to adapt their language in response to the way others speak.

 

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