n° 11-12 : Les langues d'Afrique subsaharienne (Dir. S. Platiel, R. Kaboré)

 

Avant propos

Raphaël Kabore & Suzy Platiel*

 

Vouloir présenter toutes les langues de l'Afrique sub-saharienne serait une gageure, vu leur nombre et leur diversité, et ce, d'autant que très peu de ces langues ont été décrites de façon suffisamment complète. Aussi avons-nous jugé plus judicieux de choisir les traits qui nous semblent les plus caractéristiques de cette aire linguistique pour en souligner la spécificité qui, particulièrement dans les domaines du comparatisme et de la phonologie, a conduit les chercheurs à mettre au point des méthodes d'analyse plus appropriées.

C'est ainsi que S. Platiel souligne les implications du caractère oral de ces langues et P. Renaud montre les limites des "descriptions linguistiques décontextualisées" et la nécessité de faire intervenir la dynamique sociale pour rendre compte de la variabilité et de la plasticité linguistiques.

C'est précisément pour ces raisons qu'il nous a paru important de réserver un chapitre entier à la dynamique des langues. Les articles traitant du comparatisme et de la dialectologie (S. Platiel, R. Boyd), insistent sur la fragilité des résultats obtenus avec les méthodes d'analyse classiques, fragilité particulièrement évidente en ce qui concerne la classification tandis que  les articles de R. Nicolaï et P. Boyeldieu ouvrent la voie à des techniques mieux adaptées à la spécificité africaine.

Dans le second volet de ce chapitre traitant de sociolinguistique, il a paru intéressant de montrer, parallèlement au développement et à l'expansion de deux langues de grande diffusion (H. Pasch et G. Dumestre), la naissance d'un hybride franco-africain (S. Lafage) et le statut d'une langue africaine en France (C. Van den Avenne).

Au-delà des différences, il existe cependant des constantes dans la quasi-totalité des langues africaines, sans doute liées à leur caractère oral, et c'est ce que nous avons choisi de privilégier dans les trois chapitres suivants.

C'est ainsi que dans le chapitre consacré au discours, sont traités :

— les différents éléments qui assurent une cohésion à l'énoncé. Cette cohésion peut être assurée par "[les] particules énonciatives, [la] ponctuation sonore, [l']accord de classes nominales et la morphologie verbale" qui dépendent de la situation et du contexte socio-culturel, comme le montre Th. Bearth en comparant deux langues très différentes. Elle peut aussi être assurée par "des distinctions de nature discursive liées à la hiérarchie informationnelle et à l'organisation de l'énoncé en thème et rhème (ou focus)" (D. Creissels & S. Robert),

— l'importance accordée à l'intention du locuteur en fonction du contexte situationnel, qui s'exprime soit par des particules énonciatives (F. Ameka), soit par différents procédés de focalisation (B. Caron);

— certains des classiques de la linguistique africaine dans le traitement de la prédication verbale : l'auxiliarisation de lexèmes verbaux (D. Creissels), la prédominance de l'aspect par rapport au temps (M. B. Attouman) et le rôle de ce qu'on a coutume d'appeler séries verbales (A. Delplanque);

— la complexité de l'expression de la négation qui révèle les différents choix possibles et permet de mieux rendre dompte de son rapport avec l'interrogation et l'altérité (R. Kabore, S. Platiel et S. Ruelland);

— la richesse des marqueurs locatifs (C. Grégoire) qui s'oppose à la pauvreté des connecteurs dans les phrases complexes (P. Roulon), toutes deux liées, ici encore, à l'adéquation dans l'oralité entre langue et situation de communication .

Dans le chapitre consacré aux mots, nous avons retenu :

— des catégories grammaticales comme les idéophones généralement considérés comme spécifiques des langues africaines, bien que ce types de qualifiants se retrouvent ailleurs avec les mêmes caractéristiques morpho-phonologiques (G. Dumestre);

— les procédés de formation de mots les plus fréquents : la grammaticalisation des termes de parties du corps transformés en fonctionnels locatifs (S. Ruelland), la réduplication qui touche toutes les catégories lexicales et qui est utilisée pour exprimer des valeurs cumulatives mais aussi, paradoxalement, des valeurs lacunaires (R. Kabore), la dérivation verbale, classiquement utilisée dans les langues bantu pour exprimer l'orientation du verbe, ainsi que le nombre et le rôle des participants, est ici analysée dans une langue où son érosion due à l'évolution phonologique a entraîné la création de procédés de substitution (C. Paulian).

— enfin, le fonctionnement des classes nominales, un système classificatoire spécifique à l'Afrique sub-saharienne qui se retrouve dans la plupart des langues du phylum Niger-Congo, est analysé à travers l'exemple du peul (A. Mohamadou).

Dans le dernier chapitre sur les sons, la plus grande importance a été donnée aux tons qui constituent l'une des caractéristiques les plus constantes des langues africaines et dont l'étude a permis des avancées théoriques remarquables (A. Rialland). Leur fonctionnement est analysé sur le plan diachronique en comparant plusieurs langues bantu (G. Philippson) et dans ses rapports avec les systèmes consonantiques (Tchagbalé, A. Mélis et S. Platiel). Par ailleurs, un article est consacré à différents systèmes d'harmonie vocalique conditionnée par les traits ATR, l'arrondissement et l'ouverture (R. Kabore et Z. Tchagbalé) et un autre aux alternances consonantiques dépendants de la morphophonologie (N. Nikiema).

 

* R. Kabore : Université de Paris III & S. Platiel : CNRS.

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