Faits de Langues - Les Cahiers n°1 - 2009présentation générale

A partir de cette année Les Cahiers constituent un troisième numéro annuel de Faits de langues. L’équipe rédactionnelle en charge des Cahiers entend faire de la question de la diversité des langues un enjeu de découverte, d’élaboration théorique, de réflexion, mais aussi de confrontation et d’investigation empirique. Par les questions qu’elle entend traiter, elle s’adresse à l’ensemble de la communauté des linguistes. Les Cahiers seront un lieu où se côtoient et dialoguent la diversité des langues et la diversité des courants théoriques, dans un ton qui combine la vivacité des documents de travail avec la précision d’articles de référence.

 

Pour aborder cet enjeu dans toute sa complexité, chaque numéro annuel des Cahiers est construit autour de plusieurs rubriques, qui sont autant d’éclairages de la question de la diversité des langues. D’un numéro à l’autre, les rubriques peuvent varier.

 

Le premier numéro (1/2009) s’ouvre avec la rubrique Gros plan qui présente un article où un équilibre, nécessairement fragile et provisoire, entre la singularité des données et la réflexion théorique débouche sur l’explicitation d’un programme de recherche. Dans le prolongement d’un premier article paru dans le numéro de Faits de langues (29/2007) consacré à la réduplication, l’article d’Annie Montaut propose une description systématique des phénomènes qui, en hindi / urdu, relèvent, à différents degrés, de cette notion. Pour l’auteure, cet inventaire est indissociable d’une réflexion théorique sur les fondements de la réduplication. Elle défend la thèse que réduplication simple et réduplication en écho renvoient à deux modes de redéploiement de la notion correspondant au terme rédupliqué.

 

Le Dossier réunit une série d’articles qui, dans leur diversité, explicitent un programme de travail en cours sur une langue ou un groupe de langues, une catégorie, ou encore une problématique théorique innovante ou peu connue. Le Dossier de ce numéro réunit quatre articles sur deux langues mon khmères, le phnong et le khmer, langues qui, en raison de l’histoire tragique du Cambodge, sont restées largement hors du champ d’intérêt des linguistes mais qui, au cours des dernières années, a donné lieu à une série de travaux prometteurs à Phnom Penh et à Paris.

L’article de Sylvain Vogel, consacré aux idéophones du phnong, ne se contente pas de présenter un simple inventaire des phénomènes pouvant être regroupés sous cette étiquette. Il propose un ensemble de critères permettant d’identifier cette classe dans le cadre d’un continuum de formes qui, à des degrés divers, peuvent être considérées comme renvoyant à des procédés expressifs : réduplication totale (base – base), réduplication partielle (base – écho), idéophones (ou expressifs proprement dits). Pour l’auteur, les idéophones présentent un ensemble de propriétés qui leur confèrent un statut relativement autonome dans le système de la langue avec un mode de référenciation spécifique.

L’article de Somnoble Chan est consacré à mO:k, une unité dont l’appartenance catégorielle va du verbe à la particule discursive. La description de ce type d’unités doit-elle privilégier son statut de verbe (mO: k a une signification proche de venir en français), les autres emplois étant le produit d’une « désémantisation », ou doit-elle être formulée indépendamment de tel ou tel de ses emplois ? L’auteur défend la seconde position : la caractérisation de mok ne doit pas privilégier son interprétation comme verbe « de déplacement ». Par là, il s’oppose nettement à la théorie de la grammaticalisation très souvent utilisée pour décrire ce genre de phénomènes en particulier dans les langues d’Asie du Sud Est.

Première étude consacrée au syntagme nominal complexe en khmer, l’article de Dara Non décrit les séquences où la relation entre les deux groupes nominaux marquée par le relateur n?j est une relation « partie / tout ». L’auteur montre que la relation « partie / tout » n’est pas fondée sur les seules propriétés des termes en jeu, mais repose sur un mécanisme sémantique complexe mis en jeu par le relateur n?j. Les parties composant le tout peuvent être identiques, comparables ou encore radicalement distinctes les unes des autres.

Pour décrire deux indéfinis/interrogatifs du khmer na: et ?Ej. Joseph Deth Thach s’approprie de façon créatrice la notion de « non individuation », en montrant qu’elle prend deux acceptions différentes. Avec naù, la non individuation signifie la désactivation (ou encore la mise en suspens) d’une individuation première, qui correspond à une forme d’indifférenciation d’un ensemble d’éléments préconstruits. Avec ?Ej, la non individuation signifie que l’on est en deçà de toute forme d’individuation : on a une opération de parcours sur une classe.

 

Les phénomènes dans leur singularité étant le lieu où s’éprouvent les constructions théoriques, la rubrique Langues une à une accueille des études empiriques portant sur des langues singulières, qu’il s’agisse d’explorer le statut d’une catégorie dans une langue, de mettre en évidence des phénomènes jusqu’ici ignorés ou encore de s’appuyer sur les données d’une langue pour bousculer des conceptions trop vite consacrées comme des évidences.

Anna Maria Ospina Bozzi traite d’un type de prédicat complexe en yuhup (Amazonie colombienne) qui, avec des phénomènes comme la composition de racines verbales, l’incorporation nominale et l’auxiliarisation – affixation de radicaux verbaux par ailleurs autonomes, relève d’une tension entre syntaxe analytique et syntaxe polysynthétique.

Antoine Guillaume étudie en cavineña (Bolivie) une série de suffixes qui associent à l’événement exprimé par le verbe un mouvement (de l’agent ou de l’objet), ce qui revient à inscrire le procès dans une dynamique spatiale relativement autonome. L’existence de ces suffixes tend à montrer qu’en cavineña (mais cela est vrai également dans d’autres langues amérindiennes et australiennes), un enchaînement d’événements est représenté non seulement dans sa dimension temporelle mais aussi du point de vue du positionnement des événements dans l’espace.

Renée Lambert Brétière soulève à propos de la langue fon (famille Niger Congo) une question jusqu’ici négligée : l’existence ou non en fon d’une classe d’adjectifs. Sur la base de critères purement syntaxiques, l’auteure identifie une classe réduite de lexèmes exprimant des qualités. De plus, cette classe peut être enrichie par des termes obtenus par dérivation régulière à partir de noms ou de verbes et présentant les mêmes propriétés syntaxiques.

Cédric Patin propose une étude sur la tonologie d’une langue non décrite jusqu’ici : le saghala du Kenya. Rendant compte, sous forme de règles et de contraintes ordonnées, de ce système qui combine déplacement tonal et propagation tonale, il met en œuvre la notion de domaine, et démontre, sur la base du syntagme nominal, que le déplacement tonal peut synchroniquement précéder la propagation tonale locale.

 

La comparaison entre langues différentes, Langues entre elles, donne lieu à des approches nettement divergentes. Certaines mettent l’accent sur ce qui les rapproche ou encore s’efforcent de réduire la diversité. D’autres, au contraire, privilégient ce qui les distingue.

L’article de Vittorio Springfield Tomelleri confronte trois langues (le russe, l’ossète et le géorgien) où l’expression de l’aspect est liée à la dérivation lexicale au moyen de préverbes d’origine spatiale. Pour l’auteur, la comparaison de systèmes aspectuels apparemment proches ne doit pas se limiter au plan morphologique mais doit s’élargir au plan sémantique et pragmatique sur la base d’un corpus large de données orales et écrites. Cet article offre une bibliographie importante sur la catégorie de l’aspect dans ces trois langues.

 

Les rubriques présentes dans ce premier numéro sont loin d’épuiser les approches possibles de la diversité des langues. Nous souhaitons que les prochains numéros accueillent des contributions proposant d’autres éclairages, et les remarques qui suivent ont pour seule fonction d’ouvrir quelques pistes.

La notion de terrain a donné lieu à de nombreux débats et malentendus : elle renvoie à la fois à une méthodologie spécifique et à une façon particulière d’être linguiste, sachant que la découverte d’une langue est indissociable de la découverte de l’espace où cette langue est inscrite.

La diversité des langues comme enjeu théorique sera abordée à travers des contributions de linguistes, mais aussi de spécialistes de disciplines voisines, dans une optique de débats.

La republication de textes anciens, méconnus ou oubliés, permettra de mettre en perspective les débats d’aujourd’hui et d’en proposer de nouvelles lectures. La revue pourra également présenter des comptes rendus de parutions récentes.